I. INTRODUCTION
La rue de Rennes, tout entière comprise dans le VIe arrondissement de Paris, constitue l'un des axes majeurs de la rive gauche. Comptant cent trente-sept adresses et longue d’environ 1 200 m, cette pénétrante qui tient lieu d'avenue, bien qu'elle n'en porte pas le nom, met en relation directe les quartiers Montparnasse et Saint-Germain-des-Prés.

Très fréquentée par les automobilistes et le chaland, la rue de Rennes n’occupe pas une place de choix dans le paysage monumental de la capitale ni, souvent, dans le coeur des Parisiens1. Peut-être est-ce parce que, sur le plan de l’esthétique urbaine, cette voie ne présente pas de qualités remarquables. D’une part, elle ne peut s’enorgueillir d’ouvrir une perspective sur un monument : l’église Saint-Germain-des-Prés est en retrait et la tour Montparnasse, désaxée, n’entretient aucun rapport d’échelle avec la rue.


La rue de Rennes ne peut s’enorgueillir d’ouvrir une perspective sur un monument : l’église Saint-Germain-des-Prés est en retrait et la tour Montparnasse, désaxée, n’entretient aucun rapport d’échelle avec la rue.

D’autre part, si on poursuit l’inventaire de ses faiblesses, on doit faire état d’un traitement voyer plutôt pauvre : l'équipement des trottoirs et de la chaussée est minimal, et la rue ne comporte pas de plantation d'alignement. Enfin, la situation obstructive du centre commercial Maine-Montparnasse et le gabarit comparativement trop faible de la rue Bonaparte semblent verrouiller le trafic de la voie qui n'a d'issue que latéralement. Un temps rêvée comme élément majeur d’un nouvel axe nord-sud de la capitale, son prolongement jamais réalisé place cette rue au rang des voies commodes mais secondaires par rapport aux boulevards Montparnasse, Raspail ou Saint-Germain.

L’histoire de la rue de Rennes est en revanche particulièrement riche et stimulante. Certains épisodes de son aménagement ont marqué l’imaginaire, tel le dégagement de l’église Saint-Germain-des-Prés en 1868 (on a compté huit dessins, peintures et gravures différents représentant cet événement) ou le tracé insolite du pont en X proposé par Eugène Hénard, en 1903, dans le but de raccorder la rue de Rennes au réseau viaire de la rive droite. Au-delà de l’anecdote, l’histoire de cet axe est à la confluence des principes majeurs et des débats qui caractérisent l’urbanisme parisien de la seconde moitié du XIXe et du début du XXe siècles. La rue de Rennes constitue, en effet, un formidable observatoire pour comprendre le processus de fabrication du Paris moderne, associant des thèmes essentiels comme l'alliance délicate du chemin de fer et de la ville, l'aventure haussmannienne et la crise conceptuelle, riche en contrastes, qui l'a suivie. Du percement ardemment souhaité et vécu comme une libération au sentiment d’échec que suscite la non-réalisation de son prolongement, un siècle se déroule sans qu’une décennie ne puisse être associée à une remise en cause du projet ou à une polémique.


Le pont en X proposé par Eugène Hénard, en 1903, dans le but de raccorder la rue de Rennes au réseau viaire de la rive droite.

En dépit de sa richesse, l’histoire de la rue de Rennes a été peu racontée2. L’architecte Maurice Berry lui a consacré une communication en 1985. L’auteur aborde ce sujet sur le mode de la promenade, alternant faits historiques, anecdotes et souvenirs personnels. Aussi son propos, qui n'est pas référencé, souffre-t-il d’approximations3. Plus fouillée est l'étude que Sheila Hallsted-Baumert a donnée de la polémique née entre la Ville de Paris et l’Institut lors de la formation du double projet de prolongement de la rue de Rennes et de percement de la ligne 4 du métropolitain. Ses recherches n'ont porté cependant que sur une période très restreinte (1900-1903 environ) de l'histoire de la rue4. Enfin, l’étude que propose Pierre Pinon dans son Atlas du Paris haussmannien décrit avec pertinence les principaux aléas du percement jusqu’à son prolongement abandonné, mais elle reste succincte5.

La bibliographie disponible sur ce sujet étant relativement fragmentaire et de qualité inégale, nous nous sommes orientés vers un travail de fond, combinant une approche historique générale avec une étude à la parcelle, notre principale exigence étant de pouvoir varier le plus possible l’échelle d’analyse. Pour cela, nous avons à la fois exploité les archives relatives à la voirie, aux chemins de fer et au métropolitain, conservées dans les fonds classiques, et procédé au dépouillement des actes notariés versés aux Archives nationales, relatifs à chacune des adresses de cette rue. La presse, spécialisée ou généraliste, nous a été d'un grand secours, eu égard à la dispersion des sources et aux déficits occasionnés par l'incendie de l'hôtel de ville durant la Commune.


Nous avons procédé au dépouillement des actes notariés versés aux Archives nationales, relatifs à chacune des adresses de cette rue. La presse, spécialisée ou généraliste, nous a été d'un grand secours, eu égard à la dispersion des sources et aux déficits occasionnés par l'incendie de l'hôtel de ville durant la Commune.

Satisfaisant notre exigence de complétude, les sources, abondantes, qui ont été ainsi collationnées, ont révélé la complexité de l'histoire de la rue de Rennes et combien il était nécessaire de favoriser une approche chronologique. Notre analyse, augmentée d'un exposé liminaire sur l'histoire de la gare Montparnasse, s’articule ainsi en trois temps qui correspondent également aux trois tronçons réalisés ou abandonnés de la rue de Rennes : de Montparnasse au carrefour Vaugirard, de ce carrefour à la place Saint-Germain-des-Prés, et enfin, de cette place au quai Conti. L’analyse parcellaire que nous avons effectuée devrait paraître séparément, afin de ne pas alourdir notre propos, déjà très dense.


Principaux jalons de l'histoire de la rue de Rennes
(schéma Baptiste Essevaz-Roulet, fond de carte : plan de Paris de 1839 par Tardieu).



Ce travail de recherche a été effectué par Yoann Brault (Centre de Topographie historique de Paris, Archives nationales) et Baptiste Essevaz-Roulet (rueVisconti.com).

Cet article est originellement paru dans le Bulletin de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, 134e et 135e années - 2007-2008, pp. 179-285.

Nous avons présenté le résultat de nos recherches dans une conférence qui s'est tenue le 16 décembre 2008 à l'Ecole des Chartes (Paris).

La plupart des illustrations proviennent des archives personnelles des auteurs ou des photographies qu'ils ont prises de documents d'autres fonds d'archives durant leurs recherches. Beaucoup sont inédites et ne figurent pas dans l'article publié en 2008.

Notes :
1La rue de Rennes est jugée peu satisfaisante par ses riverains qui la trouvent bruyante, polluée et trop minérale. Mairie de Paris, plaquette Projet d’aménagement de la rue de Rennes - Suite de la concertation, 2009.

2L'article de Gaston Schéfer (« La rue de Rennes et les embellissements de Paris au XVIIIe siècle », Archives de l’Art français, tome VIII, 1916, p. 215-219) ne porte, malgré son titre, que sur des projets de percements dans le faubourg Saint-Germain, sans grand rapport avec la voie qui nous intéresse.

3Maurice Berry, « Pourquoi la rue de Rennes », Bulletin de la Société Historique du VIe arrondissement, séance du 14 mars 1985, p. 7-18.

4Sheila Hallsted-Baumert, « Une ligne peu académique : la ligne 4 et l’Institut de France », Métro-Cité, 1997, p. 87.

5Pierre Pinon, Atlas du Paris Haussmannien. La ville en héritage du Second Empire à nos jours, Paris, 2002, p. 142-143.

II. LE PREMIER TRONÇON : CONTEXTE ET FORMATION

Préhistoire de la rue de Rennes : le chemin de fer de l'Ouest et la gare Montparnasse

L'histoire de la rue de Rennes est indissociable de celle commune à la gare Montparnasse et à la ligne de chemin de fer qui lui est associée. Bien que notre intention ne soit pas d'étudier celles-ci en détail, il convient cependant de faire la lumière sur deux points qui ont déterminé la formation de la nouvelle voie : les menaces qui ont pesé dès l'origine sur le maintien de la ligne, du fait des difficultés rencontrées par la compagnie concessionnaire, et les raisons qui ont présidé au choix du site sur lequel allaient être implantés les deux premiers « embarcadères » de la ligne.


Paris en 1832, avant la rue de Rennes.

Dix-huitième liaison de l'histoire ferroviaire française, la ligne Paris-Versailles a pour vocation originelle de satisfaire un triple objectif : assurer la desserte touristique de l'ancienne cité royale6, soutenir un projet d'ordre économique7 et cautionner un enjeu stratégique8. Les premiers projets de liaison sont élaborés dès les années 1820 : par Villiers du Terrage (1825)9 puis par la compagnie Couret-Pléville (1829)10. Cependant, c'est surtout au cours de la décennie suivante que les propositions abondent : entre 1830 et 1836, une dizaine de projets est communiquée à l'administration11. Aucun, néanmoins, ne convainc. Aussi le conseil général des Ponts et Chaussées charge-t-il l'ingénieur en chef Desfontaines de soumettre une nouvelle proposition de tracé. Celui-ci, s'inspirant en partie du projet de Richard12, propose d'établir une connexion au niveau d'Asnières entre le chemin projeté et celui de Paris à Saint-Germain, en cours de réalisation, dont le terminus parisien doit être alors rue Tronchet, sur la rive droite. Consultés en février 1836, les conseils municipaux de Versailles et de Paris approuvent ce tracé13, ayant exprimé chacun le voeu que « le chemin de fer destiné à les réunir se développât sur le rive droite de la Seine, et que son point de départ fût le plus voisin possible des beaux quartiers de la capitale »14. Le 1er mai, le conseil général des Ponts et Chaussées, attentif à l'avis que vient d'émettre les deux municipalités, admet le tracé à l'unanimité15.

Dès le 11 mai 1836, Passy, ministre des Travaux publics, sensible aux avantages que Versailles pourrait retirer d'une desserte ferroviaire16, présente à la Chambre des députés un projet de loi relatif à sa réalisation. Toutefois, sept des neuf membres de la commission parlementaire désignée pour son examen le rejettent (6 juin 1836). Entre autres réserves qu'il exprime à cette occasion17, Salvandy, rapporteur de la commission, dénonce une situation de monopole en faveur de la rive droite dont on craint qu'elle abrite, à terme, toutes les têtes de ligne du pays. Or il semble impossible aux membres de la commission « de ne pas regarder comme contraire aux intérêts municipaux de cette vaste capitale, une mesure qui tendrait à déshériter ses quartiers divers au profit d'un seul, peu commerçant, quoi qu'on ait dit, et fort excentrique, mais opulent, monumental, et plus fait pour les habitations de luxe que pour les transactions du négoce et de l'industrie »18. En outre, les habitants de la rive gauche font également pression : durant les débats, ils adressent aux Chambres une pétition revêtue de 3 918 signatures en vue d'obtenir la nouvelle gare19. Attaché au principe que le chemin de fer soit accessible à « toutes les classes de l'immense population parisienne », Salvandy plaide en faveur d'un embarcadère situé au carrefour de la Croix-Rouge – soit au coeur de la rive gauche – comme le préconise, entre autres, l'auteur d'un des projets concurrents, Alexandre Corréard20. Le ministre et son directeur général des Ponts et Chaussées, Legrand, ménagent alors une ouverture surprenante : ils offrent aux parlementaires de mettre simultanément en adjudication un chemin pour chaque rive. Le 13 juin, le projet de loi donne lieu à un débat mouvementé où partisans des deux options de tracé discutent âprement21. La loi est finalement votée le 9 juillet 1836 ; les deux lignes devront être achevées dans les trois ans22.

Le 26 avril 1837, le préfet Rambuteau, par délégation du ministre des Travaux publics, procède à leur adjudication23. Le tracé rive droite échoit à un consortium formé par les frères Rothschild24. Quant à la rive gauche, la concession pour 99 ans est remportée par les banquiers Berr Léon Fould, son fils Benoît Fould-Oppenheim, et Auguste Léo25. Le 24 mai, une ordonnance approuve l'adjudication26. La « Société anonyme du chemin de fer de Paris à Versailles (rive gauche) » (PVRG) est constituée les 14, 17, 18 et 19 août suivants. Pour la réalisation technique de la ligne, les associés acquièrent, moyennant 40 000 F, l'étude du tracé de Corréard et lui offrent de diriger les travaux. L'ingénieur refuse, comme il l'expliquera plus tard27. Aussi font-ils appel à l'ingénieur des Ponts et Chaussées, Auguste Perdonnet, initiateur du premier cours de chemin de fer en France à l'École centrale des arts et manufactures. Le 27 décembre 1837, le tracé définitif est approuvé28.


Première page de l'acte validant le tracé définitif de la ligne PVRG
aboutissant à la « gare de la chaussée du Maine ».
Archives de Paris, D2S9 17, cliché Baptiste Essevaz-Roulet.


Corréard avait estimé la dépense à 3,8 millions de francs29. Par sécurité, le fonds social de la compagnie s'élève à 8 millions de francs, en 16 000 actions. Le lancement de la société sur le marché boursier se révèle une opération très fructueuse30. Cependant, les coûts (notamment les terrassements et les ouvrages d'art) sont tels que la compagnie épuise son capital en peu de temps, tandis que la moitié des travaux est achevée. On estime qu'il faudra 15 ou 16 millions pour couvrir la dépense31. Le chantier est pratiquement suspendu. Un emprunt est lancé, mais dans une conjoncture politique et économique difficile, il n'est pas couvert. La volatilité du titre fait peser les soupçons sur l'intégrité des Fould et de leurs associés, l'affaire fait bientôt l'objet d'un procès retentissant. Pour couper court au scandale, le gouvernement accepte de prêter à la compagnie une somme de 5 millions à 4 % d'intérêt. Le projet de loi est présenté le 4 juin 1839, mais la commission parlementaire s'y oppose. Le 8 juillet, Dufaure, ministre des Travaux publics, considérant qu'il serait excessif de déchoir la société de sa concession, est finalement suivi par la Chambre qui accorde le prêt. La loi est adoptée et rendue exécutoire le 1er août 1839. Les travaux reprennent, mais dans l'économie et l'empressement ; le 10 septembre 1840, le chemin de fer de Paris à Versailles par la rive gauche de la Seine, dont la gare terminus est alors située à la barrière du Maine, est finalement ouvert à l'exploitation.


La barrière du Maine, avant le chemin de fer.
Musée Carnavalet, cabinet des estampes, cliché Baptiste Essevaz-Roulet.


La rivalité des deux compagnies (PVRG et PVRD) les place dans une situation commerciale difficile. Au surplus, les concessionnaires du PVRG peinent à rembourser l'emprunt qu'ils ont contracté auprès de l'État. Aussi, dès 1841, et notamment en 1846 (loi du 21 juin)32, plusieurs projets de fusion sont discutés voire établis, mais diverses circonstances entravent leur application33. Le 8 juin 1847, Jayr, ministre des Travaux publics s'y emploie de nouveau, en concédant cette fois la ligne de Paris à Rennes, par Chartres et Laval34. Son projet de loi provoque une mobilisation sans précédent, dénonçant les pressions qu'exercent les concessionnaires du PVRD, accusés de vouloir phagocyter leurs concurrents et de supprimer l'embarcadère de la chaussée du Maine35. Alarmé, le conseil municipal prend alors une délibération tendant à protéger les intérêts de la rive gauche (9 juillet)36. Le 20 juillet, Alexis Vavin, député de l'ancien XIe arrondissement, met ses collègues en garde contre une fusion réalisée par les « financiers » du PVRD qui, immanquablement, chercheront à « attirer toutes les marchandises, tous les voyageurs à la gare de la compagnie Saint-Germain [la gare Saint-Lazare], de prélever sur tout ce mouvement un tribut considérable par le péage de Paris à Asnières, et enfin de supprimer le chemin de la rive gauche »37. Face à une telle opposition, le projet de loi est rejeté, et il est décidé que l'État financera la réalisation de la section de chemin de fer entre Versailles et Chartres.

Il semble cependant que les concessionnaires du PVRD aient continué d'intriguer, James de Rothschild notamment38. Dans les premiers jours de l'année 1848, ceux-ci obtiennent du ministre des Travaux publics un traité pour l'exploitation provisoire de la section de Versailles à Chartres. La proposition est soumise à la Chambre des députés le 29 janvier, mais la révolution de Février empêche la discussion. Finalement, la loi du 29 avril 1849 autorise le ministre des Travaux publics à exploiter le chemin de Versailles à Chartres (inauguré le 5 juillet suivant), jusqu'à ce qu'il soit statué définitivement sur la concession du chemin de Paris à Rennes. Le 7 décembre 1850, Bineau, ministre des Travaux publics, demande à l'Assemblée législative de l'autoriser à concéder à une compagnie anglaise le chemin de fer de l'Ouest. Le chemin de Versailles à Rennes est concédé au profit de Samuel Morton Peto, Charles Samuel Stokes et associés par décret présidentiel du 16 juillet 185139. Une société anonyme est ensuite constituée les 20 et 26 janvier 1852 au capital de 650 millions40.



Les années au cours desquelles la ligne PVRG est réalisée correspondent à une époque riche en réflexions, en propositions et en débats, parmi lesquels la question du site d'implantation de l'embarcadère occupe une place déterminante. Chaque proposition ou presque cherche à satisfaire une exigence fondamentale : établir la plus parfaite proximité entre la gare et le centre41. Toutefois l'éventualité d'une implantation centrale n'est pas sans soulever certaines réticences42 et difficultés. Elle se heurte en effet à un quadruple obstacle, à la fois d'ordre technique, foncier, fiscal (les barrières d'octroi) et spatial (les possibilités d'extension). Aussi l'implantation à l'extérieur de la ville s'impose-t-elle souvent comme une solution de compromis43. Surtout, l'obstacle que présente le surcoût qu'occasionne un percement au coeur de la ville constitue une difficulté qui, selon les frères Seguin, ne paraît pas devoir être « imposé[e] comme obligation à une compagnie »44. Tout aussi critique, Auguste Perdonnet, dans les premières lignes du chapitre qu'il consacre aux gares de terminus, interroge son lecteur : « Doit-on s'imposer de grands sacrifices pour placer ces gares dans l'intérieur des grandes villes à proximité du centre, ou bien les établir à moins de frais dans les faubourgs ou même en dehors des villes ? (…) C'est renoncer sans doute à une partie des avantages qui s'attachent à la construction des chemins de fer que de ne pas les prolonger jusqu'au milieu-même des grands centres de population. Mais dans quelle énorme dépense n'entraîne pas l'établissement d'une gare de départ dans les quartiers commerçants d'une capitale ? [...la surface qu'elle doit occuper], et les constructions que nécessite le trajet du chemin tout au travers de la cité peuvent coûter des sommes énormes. (…) D'un autre côté, si l'éloignement des gares est sans importance réelle pour le public, lorsque la ligne est d'une grande longueur, on doit craindre que les voyageurs, obligés de se résigner pour parvenir aux nouvelles voies de fer, à de véritables voyages en omnibus, ne préfèrent, pour de courtes distances, les anciennes routes. Mais encore faut-il, même pour des lignes qui desservent les environs des grandes villes, craindre de payer trop cher un certain accroissement de mouvement. C'est en comparant ainsi les produits à l'intérêt du capital dépensé que la compagnie de Saint-Germain s'est décidée très sagement, à notre avis, à renoncer à la prolongation projetée de la voie jusqu'à la rue Tronchet, et celle du chemin de Versailles (rive gauche) à la construction de la ligne jusqu'à la place Saint-Sulpice. »45

En réalité, cette « sage décision » lui a été plutôt imposée. Quant à la place Saint-Sulpice, c’est le site proposé à l’origine par la compagnie du PVRG pour y établir son embarcadère. L'article 2 du cahier des charges annexé à l'ordonnance du 24 mai 1837 stipule finalement que « le chemin de fer partira du côté occidental de la rue d'Assas, traversera la rue de Vaugirard sur une arcade qui embrassera la largeur de cette rue ; il sortira de Paris près de la barrière du Maine »46. Mais les difficultés financières amènent un nouveau changement. La loi du 1er août 1839, qui permet de sauver la compagnie en lui accordant 5 millions, décide également de fixer le point de départ à la barrière du Maine (art. 8), de sorte que la compagnie soit dispensée de poursuivre des acquisitions trop onéreuses à l'intérieur de Paris, pour l'amener à la hauteur de la rue d'Assas. La compagnie établit ainsi son embarcadère au-delà de la limite d'octroi, à proximité de la barrière du Maine, à l'emplacement de ce qui aurait dû être l'avant-dernière station de la ligne47. Pour compenser l'inconvénient de la distance avec le centre, les concessionnaires du PVRG créent une société en commandite, le Service général des omnibus de la rive gauche, destinée à transporter les voyageurs à travers la capitale jusqu'à l'embarcadère excentré de la barrière du Maine48.

Mais cette solution ne paraît sûrement pas satisfaisante, tant aux yeux des concessionnaires que des usagers. Après seulement quelques années d'exploitation, le rapprochement de la gare du centre géographique de la capitale devient un impératif. Deux propositions se succèdent. Ainsi, la loi du 21 juin 1846 qui a tenté, en vain, de réaliser une fusion entre les deux compagnies, prévoit de remédier au problème de l'éloignement en imposant à la future compagnie de prolonger la voie dans Paris sur une distance de 1 000 m et d'établir une gare de voyageurs entre la rue de Sèvres, la rue d'Assas et le jardin du Luxembourg. Toutefois, un groupe d'habitants de la rive gauche s'oppose, lors des débats préalables au vote, à cette décision : « Pourquoi cet horizon si étroit où l'on veut renfermer Paris ? Le centre des affaires s'étendra avec le développement de la ville elle-même. Quel esprit nierait aujourd'hui que dans quelques années la population n'ait porté au loin de l'enceinte actuelle de nouveaux centres et de nouvelles constructions ? »49 Aussi proposent-ils d'établir la nouvelle gare sur la rive sud du boulevard Montparnasse50, en vain, puisque la proposition de loi est votée sans les modifications requises ; mais sa non-application condamne le transfert de la gare pour une paire d'années. Est-ce à une nouvelle intervention des habitants de la rive gauche ou à une réminiscence de leur proposition qu'il faut attribuer l'intention de l'État, début 1848, d'établir le nouvel embarcadère sur la rive sud du boulevard Montparnasse ? Aucun élément ne permet de l'affirmer ; reste que cette proposition est soumise par le ministre des Travaux publics à la Chambre des députés le 29 janvier 1848, dans le cadre d'un traité prévoyant l'exploitation provisoire de la section de Versailles à Chartres par la compagnie du PVRD51. Le débat ne peut avoir lieu, mais l'idée survit puisque le Gouvernement provisoire, dans le cadre du décret du 27 février 1848 portant création d'ateliers nationaux, décide par arrêté que le terminus sera transféré52. Ce nouvel élan, qui rapproche la gare du centre, exige des travaux de grande ampleur. Près de cent cinquante ouvriers maçons et tailleurs de pierre y sont occupés journellement, tandis qu'un nombre presque égal de terrassiers et de charretiers transportent des terres pour former une rampe et un remblai de 8 à 9 m d'élévation afin de relier l'embarcadère au viaduc jeté sur le chemin de ronde, le boulevard extérieur et la chaussée du Maine53. Le 29 mars 1848 a lieu à l'Hôtel de Ville l'adjudication des travaux de construction de la nouvelle gare. Les travaux sont évalués à 800 000 F54. Conformément à l’accord passé avec l’État, Peto, Stokes et leurs associés concessionnaires du chemin de fer de l'Ouest, reprennent en 1851 le chantier de la nouvelle gare qui sera inaugurée le 7 juillet 185255.



Genèse et ouverture du premier tronçon de la rue de Rennes

Quelques années seulement après l'ouverture à l'exploitation de la ligne PVRG, la nécessité d’une percée facilitant l'abord de la gare et sa mise en relation avec le centre se fait sentir. Plusieurs facteurs ont participé à révéler ce besoin, qu'il s'agisse de l'emplacement marginal du nouvel embarcadère de l'Ouest, de sa fréquentation croissante, de l'émergence d'un discours prônant une meilleure intégration des gares dans le maillage urbain ou de la forte mobilisation des habitants de la rive gauche. Il convient désormais de discerner et de décrypter les processus de décision par lesquels le premier tronçon de la rue de Rennes, anticipé dès 1846, est finalement réalisé au tournant des années 1853-1854.


Embarcadère provisoire du chemine de fer de l'Ouest (en bas à gauche) alors situé à la barrière du Maine en 1846. Collection Baptiste Essevaz-Roulet.


Au cours de la décennie 1840, l'indigence des communications des gares entre elles et avec les centres urbains est peu à peu dénoncée, tandis que chacun entrevoit désormais l'important développement que le chemin de fer est appelé à connaître. Paradoxalement, pour Paris, aucun des grands projets d'ensemble de cette période, malgré la modernité qui les distingue, ne prévoit l'établissement de percées en relation avec ce nouveau type d'équipement56. Sur le plan des dégagements, l'idée même de « place de gare » ne parvient pas à s'imposer57. Quelques solutions novatrices affleurent cependant, mais de façon ponctuelle. Ainsi, en 1838, l'ingénieur Bourla, dans son projet de gare située dans l'ancien enclos Saint-Lazare, propose d'ouvrir une place et une nouvelle voie entre l'embarcadère et l'entrepôt du Marais, récemment construit (auj. quai de Valmy)58. À Nîmes, en 1840, la nouvelle gare est associée dès sa conception à une avenue qui s'intègre dans un plan d'extension de la ville59. À Paris, l'administration réfléchit en 1842 à la façon de dégager la gare Saint-Lazare ; elle provoque une enquête qui conduit à l'ouverture de la rue du Havre, large de 20 m, ordonnée en septembre 184360. En mars 1846, l'idée du futur boulevard de Strasbourg, reliant la gare de l'Est au boulevard Saint-Denis, est posée61. En février 1847, lorsque l'emplacement de la gare de Lyon est arrêté par l'État, la Ville s'engage à établir une voie de communication directe entre le chemin de fer et la place de la Bastille ; ce sera la rue de Lyon, ordonnée le 27 novembre suivant. C'est dans ce creuset de propositions tâtonnantes que le projet de percement de la rue de Rennes va se former.

Ce sont des particuliers qui, les premiers, ont réclamé cette réalisation. Nous avons évoqué plus haut comment, à l'occasion des débats préalables à la loi du 21 juin 1846 portant concession de la ligne de Versailles à Rennes, un groupe d'habitants de la rive gauche, condamnant l'intention manifestée par la commission parlementaire de prolonger la voie ferrée dans Paris sur une distance de 1 000 m, a formulé une contre-proposition tendant à l'édification du nouvel embarcadère sur la rive sud du boulevard Montparnasse62. À la volonté des parlementaires de rapprocher la gare du centre géographique de la capitale, quitte à l'implanter « dans un cul-de-sac sans issues convenables », ceux-là opposent la nécessité de favoriser les communications ou d'en établir de nouvelles entre la gare et les autres embarcadères, mais encore entre elle et le reste de la ville. De sorte que l'implantation du nouvel embarcadère sur le boulevard Montparnasse présenterait l'avantage de le mettre en relation « à droite avec le débarcadère d'Orléans, à gauche avec celui de la rive droite ». Ainsi formulent-ils avec une précocité frappante l'une des idées phares de la décennie suivante, la mise en réseau des gares parisiennes. Ce parti-pris ne constitue pas le seul point remarquable du projet. « Pour compenser l'inconvénient de la distance » de la nouvelle gare avec le centre, ses auteurs proposent en effet d'ouvrir en face du débarcadère « une grande voie de 15 à 16 m de largeur sur des terrains nus et qui déboucherait sur les rues de Vaugirard, de Cherche-Midi et surtout la rue du Bac », tracée aux frais de la compagnie du chemin de fer63 (voir figure ci-dessous). Ce projet devait paraître d'autant plus réalisable qu’une préfiguration de la percée existe déjà au moyen d’un passage établi entre le boulevard Montparnasse et la rue de Vaugirard, à travers une grande parcelle peu bâtie. Cette double proposition, on l'a vu, ne fait pas souche dans l'esprit des parlementaires, mais elle porte en germe l'ensemble des principes qui caractérisent les décisions à venir.


À gauche, esquisse du tracé proposé en 1846 par le groupe d’habitants de la rive gauche. À droite, le tracé du premier tronçon de la rue de Rennes, décrété en 1853. En pointillé grisé, le prolongement de la rue Saint-Placide tel qu’il apparaît dans le plan annexé au décret, et en pointillé noir, tel qu’il a été réalisé. Schéma Baptiste Essevaz-Roulet.


La décision de l'État de prolonger la ligne jusqu'au boulevard Montparnasse (arrêté du 27 février 1848) s'accompagne d'une seconde initiative : un projet de percement à établir en face du nouvel embarcadère. L'administration en avait-elle évoqué le principe auparavant ou s'agit-il d'une mesure de circonstance ? On l'ignore. Reste, à en croire Lazare, que la Ville n’est pas même consultée sur ce projet64. Décidée dans l'urgence, cette nouvelle voie, une fois passées les journées de Février, n'échappe pas à l'observation méticuleuse de la procédure préalable à son ouverture. Le 22 juillet 1848, le plan de percement est déposé au bureau des Ponts et Chaussées de l'Hôtel de Ville65. Un registre d'enquête est ouvert jusqu'au 11 août afin de recevoir les observations auxquelles le projet pourrait donner lieu66. Celui-ci diverge de la proposition de 1846 qui, rappelons-le, permettait de gagner la rue du Bac. Ici, c'est le carrefour formé par les rues du Regard, Notre-Dame-des-Champs et de Vaugirard que vise la rue proposée, afin de multiplier les possibilités d'orientation des flux de circulation. Longue de 380 m, large de 20 m, elle doit s'achever, au nord, par deux pans coupés établis à angle droit, préfiguration sans doute d'une régularisation du point de jonction. Au droit du boulevard, deux autres pans coupés développant 53 et 67 m de façade sont axés en fonction des rues de l'Arrivée et du Départ qui encadrent la gare. Louis Lazare, en rendant compte du projet, observe que ceux-ci sont « tracés d'une manière irrégulière », et que de « leur étendue hors de toute proportion avec ce qui s'est fait jusqu'à ce jour » résulte une disposition « peu satisfaisante » et même « choquante »67. Il semble ignorer le motif principal d'un tel tracé. Cet évasement considérable manifeste visiblement une tentative timide de créer, à cet endroit, une place, rendue nécessaire par l'absence de cour précédant la façade principale. Nous ignorons les suites données à l'enquête et la position que l'administration adopte à l'égard de ce projet. Il paraît cependant qu'elle y travaille encore en décembre 1849, ce dont la presse rend compte : « L'embarcadère devant être terminé à la fin de la campagne, c'est-à-dire vers la fin du mois d'avril, l'administration vient de prendre des mesures afin que l'accès de la gare et la circulation aux abords du monument soient aménagés le plus avantageusement possible, et pour cela les dispositions suivantes vont être mises à exécution : une rue large de 10 mètres [pour 20 mètres], portant le nom de rue de Rennes, s'ouvrira sur le boulevard Montparnasse en face du débarcadère, traversera des terrains occupés en ce moment par des tuileries, et ira déboucher directement au carrefour que forment la rue de Vaugirard, la rue Notre-Dame-des-Champs et la rue du Regard. »68 Notons que c'est la première fois que l'appellation « rue de Rennes » est mentionnée, bien qu’elle ne soit encore que provisoire69.

Le silence de l'administration, qui succède à ces premières démarches, n'empêche pas la presse de s'enthousiasmer : « Le mouvement que cette gare va créer donnera à ce quartier une animation qu'il est loin d'avoir aujourd'hui, et il deviendra le point de départ et d'arrivée d'une circulation qui trouvera un débouché dans la nouvelle rue de Rennes qui se fraye lentement entre le débarcadère et la rue de Vaugirard. »70 Cependant, face à l'inertie des autorités, un sentiment d'inquiétude point peu à peu. En juin 1851, tandis que l’aménagement du nouvel embarcadère touche à sa fin, « un grand nombre de propriétaires » adresse à la Ville une pétition afin « que l’on fasse de suite le percement d’une rue qui, partant de l’embarcadère du chemin de fer de l’Ouest sur le boulevard du Mont-Parnasse [sic], aboutirait à la fontaine dite du Regard »71. En février 1852, la Revue municipale manifeste également son désarroi72. En juillet, saisissant l'opportunité d’une visite de la gare, organisée pour le ministre des Travaux publics, le maire du XIe arrondissement ancien exprime publiquement le voeu que la rue soit prochainement ouverte73. Ces atermoiements peuvent s'interpréter de diverses manières : sans doute la Ville répugnait-elle à engager ses finances dans un projet pour lequel elle n'avait pas été consultée et qui, de fait, ne semblait concerner que l'État et la compagnie avec laquelle il avait traité. Par ailleurs, l'administration a sans doute cédé à un certain attentisme. L'histoire récente de la ligne PVRG démontrait l'incertitude qui pesait sur le maintien de l'embarcadère de l'Ouest, maintes fois menacé d'abandon ; le risque était grand d'ouvrir une rue pouvant devenir bientôt inutile.



Cette période d’attente est propice à l'émergence d'un débat riche en contre-propositions, lesquelles, visiblement, nourriront la solution finalement retenue. Dès l’instant, en effet, où le projet de percement de la rue de Rennes est rendu public, des voix s’élèvent, stigmatisant l’étroitesse de vue de l’administration qui semble sous-estimer les répercutions que l’exploitation du chemin de fer de l’Ouest est sur le point d'engendrer quant à la structure urbaine de la rive gauche74. Ainsi, dès août 1848, Lazare exprime son regret de voir le nouvel axe s'arrêter au carrefour de Vaugirard : « Il y aura certainement là un encombrement fâcheux de piétons et de voitures. »75 Aussi propose-t-il de pousser la percée jusqu'à la rue d'Assas, ce qui permettrait de diriger le flux vers le carrefour de la Croix-Rouge « qui offre de nombreux débouchés et dont l'élargissement sera prochainement exécuté »76. Bientôt, un autre projet éclipse cette première proposition. Considérant, désormais, qu'il convient d'éviter le carrefour de la Croix-Rouge « toujours si encombré et cause première de nombreux accidents », Lazare propose de relier entre elles les rues d'Assas et de la Chaise afin de faciliter les communications entre la nouvelle gare et la rive droite via le pont du Carrousel77. Ainsi confère-t-il au projet une dimension non plus seulement locale mais proprement urbaine78. Soumise en décembre 1849, une autre vue, tout aussi ambitieuse, a un impact visiblement plus décisif sur le travail de l'administration : il s'agit d'établir une liaison entre la gare et la rive droite par la rue du Bac et le Pont-Royal, en perçant une nouvelle rue « qui portera le nom de rue de Brest »79 prenant son origine au carrefour Vaugirard pour déboucher sur la rue du Cherche-Midi, dans l'axe de la rue Saint-Placide. Lazare reprend à son compte ce projet en mars 1852, observant que cette réalisation « offrirait aux voyageurs et aux voitures de chemin de fer une issue directe pour se rendre au Pont-Royal, au Carrousel, au Palais-Royal et à la Bourse »80. L'idée du prolongement de la rue Saint-Placide est également défendue par le maire du XIe arrondissement ancien, le 7 juillet 1852, devant le ministre des Travaux publics81. À la fin de l'année, la chose est entendue : l'ouverture de la rue de Rennes sera associée au prolongement de la rue Saint-Placide ; « ce sera la grande artère qui sera suivie par le courant commercial qui s'établira de la rive droite à la rive gauche »82.

Outre l'intérêt qu'ils présentent quant à l'histoire-même de la rue de Rennes, ces différents projets révèlent une rupture : le passage, au milieu du siècle, d'une appréhension fragmentaire de l'espace urbain à une pensée globalisante et dynamique. En quelques années, le statut de la rue de Rennes évolue radicalement : d'objet isolé, exclusif (en rapport à la gare qu'elle dessert), elle se mue en un segment constitutif d'un réseau transfluvial. Aussi le pas est-il pleinement franchi lorsqu'en 1852 la liberté de passage à travers le complexe palatial du Louvre est ressentie comme « rendue indispensable par la création du chemin de fer de l'Ouest, que les quartiers du centre, de l'est et du nord de Paris doivent pouvoir aborder facilement, si l'on veut que ce chemin produise des effets utiles », quitte à rendre carrossable le pont des Arts pour favoriser les échanges83.

L'empereur, qui peut avoir joué un rôle déterminant – quoiqu'inappréciable – dans la formation du projet final de la rue de Rennes, partage ce nouvel état d'esprit : « Pour point de départ de ce qu'il y avait à faire, il considérait d'abord que les têtes ou les gares de chemin de fer étaient désormais les véritables portes de la ville, au lieu des anciennes barrières par lesquelles débouchaient les routes nationales, qui allaient descendre au rang de voies de communication de second ordre. Il fallait relier ces portes nouvelles afin que le passage de l'une à l'autre, c'est-à-dire d'une région de la France à une autre région, fût commode et rapide à travers le centre commun ; il fallait de ces points principaux d'arrivée, projeter jusqu'au coeur de la grande cité de larges artères. »84 Le plan dit « colorié » (1853), sur lequel nous reviendrons, est manifestement empreint de cette exigence de relier les gares au centre : la rue de Rennes s'y trouve prolongée jusqu'au carrefour de la Croix-Rouge, la rue de Rouen (auj. Auber) se développe de la gare Saint-Lazare jusqu'au Louvre, le boulevard Magenta, de la place du Château-d'Eau (auj. République) à la gare de l'Est, la grande rue de Saint-Germain-l'Auxerrois à la gare du Nord, l'élargissement de la rue Mazas en boulevard (auj. Diderot) aux abords de la gare de Lyon, le boulevard Saint-Marcel face à la gare d'Austerlitz.



Après cinq années d'incertitude, le bien-fondé du projet, porté par un contexte favorable, parvient à s'imposer. Le maintien de l'embarcadère de l'Ouest et les modalités de financement de la percée sont finalement assurés lorsqu'en juin 1852 le conseil d'administration de la société anonyme des Chemins de fer de l'Ouest s'engage à participer au percement de la voie projetée85. Dès lors, les décisions s'enchaînent sans heurt jusqu'à la promulgation du décret. Le 23 juillet 1852, le conseil municipal accueille favorablement le projet et propose qu'il soit déclaré d'utilité publique86. Ses membres en débattent de nouveau le 17 octobre suivant87. Le plan, copié le 22 octobre88, est déposé à la mairie du XIe arrondissement ancien entre le 3 et le 20 novembre, afin de satisfaire à la procédure habituelle de l'enquête89. Le 17 décembre, la Ville donne son approbation définitive90
. Enfin, le 9 mars 1853, le décret d'ouverture de la rue de Rennes, déclarée d'utilité publique, est signé au palais des Tuileries91.




Plan de 1853 annexé au décret de percement de la future rue de Rennes.
Clichés Yoann Brault et Baptiste Essevaz-Roulet.


Ni le décret ni la légende du plan92 (voir titre du plan précédent) qui lui est annexé ne mentionnent le nom de la rue nouvelle, bien que celui-ci ait été donné par la presse dès 1849, comme on l'a dit, et qu'il ait été perpétué, dès lors, par les commentateurs du projet. La « rue à ouvrir en face de l'embarcadère du chemin de fer de l'Ouest » présente 20 m de large. Deux grands pans coupés (33 m et 44 m, soit environ 20 m de moins que sur le projet présenté en juillet 1848) définissent un large évasement devant la gare, perpétuant l'idée d'une place qui ne dit pas son nom. À l'extrémité nord du nouvel axe, six autres pans coupés forment une place polygonale de 55 m sur 49 environ au lieu du carrefour existant. À l'ouest de ce noeud, le tracé du prolongement de la rue Saint-Placide est indiqué en pointillés93, puisqu'il s'agit-là d'une opération distincte de celle décrétée94. Ainsi l'administration a-t-elle pris acte des nombreux projets réclamant ce prolongement, ce qui illustre, peut-être, l'attention qu'elle portait aux débats.

Huit parcelles doivent être expropriées pour la formation de la rue de Rennes et six autres pour celle de la place. Parmi les édifices qui doivent disparaître, on note l'hôtel du duc de Montmorency-Laval, l'un des fleurons de l'architecture nobiliaire du règne de Louis XVI (Cellerier architecte), édifié sur le boulevard Montparnasse.



Le 3 juin 1853, la Ville décide de porter la largeur de la rue de Rennes de 20 à 22 m, sans que l'on sache les raisons qui ont motivé ce changement. Louis Lazare proteste contre cette dimension qui lui paraît encore insuffisante « parce que cette rue est appelée à servir de déversoir au débarcadère de l'Ouest qui, dans un avenir peu éloigné, aura pris une importance que l'Autorité municipale devait prévoir »95. Les opérations préalables au percement de la nouvelle voie débutent peu après. Les décisions du jury d'expropriation96 concernant les huit parcelles nécessaires à la formation de la rue97 sont rendues les 6 juillet et 26 août. Les quatre grandes parcelles côté gare, font l'objet d'une expropriation partielle, contrairement aux quatre autres, plus étroites, expropriées en totalité. La démolition des six immeubles situés sur le passage de la rue a sans doute lieu en novembre 185398. Aucune expropriation n’est prononcée pour la création de la place au nord de la rue projetée. L'administration semble ainsi en différer l'aménagement complet.

Il semble que la Ville se soit efforcée de limiter la dépense. Le détail estimatif des travaux de viabilité, établi en septembre 1853, est communiqué par l'ingénieur ordinaire à son administration le 17 février 185499. Estimée à 67 000 F, l'intervention consiste en l'établissement d'une chaussée non pas pavée, mais seulement empierrée, de 14 m de largeur, flanquée de deux trottoirs de 4 m dont seules les bordures seraient posées, le dallage ou le bitumage de cette portion de la voie devant s'exécuter ultérieurement, au fur et à mesure du lotissement. Au surplus, l'ingénieur propose d'ajourner la construction de l'égout (dépense estimée à 44 000 F) jusqu'à l'époque où la nouvelle rue serait bâtie, les eaux ménagères devant s'écouler d'ici-là en surface, jusqu'à l'intersection Rennes-Vaugirard100. Le 31 août 1854, un arrêté préfectoral autorise l'ouverture du chantier suivant le détail estimatif précité tout en ordonnant de porter à 5 m la largeur des trottoirs et de réduire celle de la chaussée à 12 m afin d'économiser 2 000 F sur la dépense101.

Les travaux, réalisés en régie, débutent le 25 septembre 1854 et ne durent qu’un mois102. La rue de Rennes, telle qu'elle paraît sur La vue générale de Paris, prise de l´Observatoire, en ballon de Victor Navlet, affecte l'aspect d'une césure minérale traversant une vaste étendue de verdure103. Cette impression durera peu. Les premières parcelles sont vendues par la Ville en août 1855, à l'extrémité nord de la rue sur la place partiellement formée, avec obligation de bâtir dans l'année104.




La rue de Rennes, telle qu'elle paraît sur La vue générale de Paris, prise de l´Observatoire, en ballon de Victor Navlet, affecte l'aspect d'une césure minérale traversant une vaste étendue de verdure.


Quelques années plus tard, le carrefour Rennes-Vaugirard subit de nouvelles transformations, sans jamais être conformé au projet décrété. La rue Saint-Placide est prolongée (décret du 16 février 1859), mais selon un tracé différent de celui projeté105. Entre décembre 1861 et janvier 1862, l'intersection, jusque-là empierrée, est pavée afin de faciliter l'entretien106. Enfin, la fontaine de Léda107, située à l'encoignure de la rue du Regard, disparaît, et le bas-relief d’Achille Vallois qui l'ornait est déposé pour être installé en janvier 1862 au revers de la fontaine Médicis108 dans le jardin du Luxembourg, où « il ne ferait que contribuer encore à l'embellissement de ce beau jardin »109.


la fontaine de Léda, située à l'encoignure de la rue du Regard et de la rue de Vaugirard, disparaît, et le bas-relief d’Achille Vallois qui l'ornait est déposé pour être installé en janvier 1862 au revers de la fontaine Médicis dans le jardin du Luxembourg, où « il ne ferait que contribuer encore à l'embellissement de ce beau jardin ».


La question du financement de la percée s’est réglée progressivement. Parce que la rue de Rennes doit profiter directement à une entreprise commerciale (la société anonyme des Chemins de fer de l'Ouest), cet objet est, dès l'origine, matière à hésitation et conflit, comme cela a été le cas, par ailleurs, lors des pourparlers préalables au percement du boulevard Sébastopol110. Ici comme ailleurs, la répartition des coûts de l'opération s'est définie par étapes successives. En 1848, Vavin, alors conseiller municipal111, expose qu’il y a lieu que la Ville de Paris prenne à sa charge les dépenses de nivellement, de pavage et d’éclairage de la rue tandis que les frais d'établissement des trottoirs doivent incomber aux riverains112. Cette proposition, agréée le 9 février 1849 par la commission municipale, sera maintenue, malgré l'ajournement du projet113. Toutefois, pour Lazare, ce n'est pas la Ville qui doit se charger de cette dépense, mais l'État, « ainsi qu’il s’y est engagé lors de la création du chemin de fer »114. Cet « engagement » qui nous fait défaut débouche sans doute, en décembre 1849, sur un accord de cofinancement établi entre le ministre des Travaux publics et Berger, préfet de la Seine (agissant comme représentant de la Ville), mais nous en ignorons le principe115. Observons que la participation de l'État aux grands travaux de la capitale est alors chose récente (opérations de la rue de Rivoli et du boulevard de Strasbourg)116. En juillet 1852, le plan de financement de la rue de Rennes est défini. Selon la presse, le coût du percement est évalué à 300 000 F. Sur cette somme, la Ville propose de prendre à sa charge les deux tiers de la dépense (200 000 F), tandis que la Compagnie du chemin de fer, dans sa séance du 10 juin précédent, vote une subvention de 40 000 F, le surplus devant être supporté par l'État117. L’opération revient finalement à 737 311,69 F, somme précisée par Haussmann lui-même en mars 1856 dans une lettre adressée au ministre de l’Intérieur118. En définitive, la dépense est prise en charge dans des proportions à peu près identiques (67,9% pour la Ville 28,5% pour l'État) la part de la subvention de la Compagnie étant passée quant à elle de 13,3 % à seulement à 5,4%. En ce qui concerne la Ville, les frais sont couverts, ainsi que d'autres opérations de voirie, par un emprunt de 50 millions de francs qu'elle a contracté en avril 1852 auprès de la Caisse commerciale de Paris119.



Le prolongement de la rue de Rennes au-delà du carrefour Vaugirard est réclamé dès l’achèvement des travaux, nous y reviendrons. Cependant, le doublement de la dépense par rapport à ce qui avait été projeté en 1852 a sans doute pour effet de geler les perspectives de réalisation de ce projet. De plus, des craintes pèsent un temps sur l’avenir du trafic de la gare. L’état d'abandon presque accompli de l'embarcadère des marchandises est signalé, en 1855, par les trois maires de la rive gauche dans une réclamation adressée au ministre de l'Intérieur. La Compagnie des chemins de fer de l'Ouest paraît en effet avoir l'intention de transférer l'ensemble du service d'exploitation de son réseau vers la gare Saint-Lazare et aux Batignolles, au mépris de l'engagement qu'elle avait contracté. Informé, le 29 juin 1855, de la démarche des trois magistrats, le ministre des Travaux publics prescrit une enquête sur cette « importante affaire » et enjoint la compagnie de ne rien modifier, en attendant, au service de la gare Montparnasse120. Le 5 octobre suivant, il informe son homologue de l'Intérieur que, sur son invitation, la compagnie a arrêté un nouvel ordre de service réglant la marche des trains entre Paris et Laval, laquelle s'effectuerait désormais exclusivement à la gare Montparnasse. Aussi, espère-t-il mettre un terme aux craintes des trois demandeurs. De plus, il invite Haussmann « à provoquer du conseil municipal les mesures propres à dégager les abords de cette gare en élargissant et en rectifiant les voies qui font suite à la rue de Rennes », eu égard à « l'insuffisance des débouchés de la gare du Mont Parnasse [sic]»121. Le ministre des Travaux publics aspire sans doute à renforcer l’attractivité de la gare et donc stimuler le trafic. Il demande au ministre de l'Intérieur de bien vouloir insister auprès du préfet « pour donner à cette importante affaire une prompte solution ». Sans nouvelle de sa requête, il réitère sa demande le 25 février 1856. Enfin, le 6 mars, le ministre de l'Intérieur exhorte Haussmann à l'informer de ses intentions.

Le préfet répond que la Ville avait déjà « fait d’assez grands sacrifices pour l’ouverture-même de la rue de Rennes ». De fait, « la rue de Rennes [a été] percée dans la plus grande partie de son parcours à travers des terrains nus, dans un quartier excentrique, où les propriétés n’avaient pas une grande valeur (…). Pour continuer cette rue et l’amener au centre du faubourg Saint-Germain, à travers des propriétés bâties, fort chèrement louées, il faudrait faire des dépenses énormes que ne comporte pas l’état des finances de la Ville, consacrées (…) pour plusieurs années à des opérations de voirie de premier ordre, déjà décrétées d’utilité publique ». On sait en effet que le préfet s'est efforcé de hiérarchiser les opérations de voirie dont la réalisation lui était proposée. En outre, il suppose que « le conseil municipal se refuserait à entreprendre aucun élargissement ou aucun percement de rue se rattachant à la rue de Rennes, à moins que l'État ne voulût concourir à la dépense dans une très forte proportion »122. Sans doute, s'agit-il ici d'une manoeuvre destinée à obtenir de l'État une subvention qui n'est jamais venue.


Lettre du 13 mars 1856 adressée par le préfet Haussmann au ministre de l'Intérieur au sujet de la question du prolongement de la rue de Rennes. Cliché et montage Baptiste Essevaz-Roulet.
6Il faut à cette époque deux heures trente pour faire le trajet par la route de Sèvres. La construction d'une ligne de chemin de fer qui relierait rapidement et avec une forte capacité de transport Paris à Versailles serait en mesure de donner aux Parisiens la possibilité de redécouvrir le château (en cours de restauration) et le parc. Pierre Bouchez, Paris Saint-Lazare à Versailles Rive Droite. Saint-Cloud à Saint-Nom-la-Bretèche, Paris, 2007, p. 10. Le trafic public est estimé à un million de voyageurs par an ; il devrait tripler, voire quadrupler, estime-t-on, après l'ouverture de la ligne. Le Moniteur universel, n° 160 (8 juin 1836), p. 1337.

7La ville souhaite alors redevenir un lieu de foire important et servir d'entrepôt pour les blés de la Beauce. Michèle Lambert, « Le chemin de fer et la banlieue (1837-1914) », Les cahiers de la recherche architecturale, n° 38-39 (1996), p. 95-106. Legrand, directeur général des Ponts et Chaussées, s'exprimant sur la ligne Paris-Versailles en juin 1836 déclare : « Versailles possède de grands bâtiments qui peuvent devenir le siège d'industries importantes ; Versailles, par l'établissement du chemin de fer peut devenir une ville industrielle ; Versailles est en outre une ville de plaisance, une ville que la munificence royale dote d'établissements nouveaux et en feront une des merveilles de l'époque et qui doivent attirer dans ses murs une foule d'étrangers. Qu'avions-nous donc à faire ? À rapprocher le plus possible Versailles du centre des affaires, des plaisirs de la capitale et des lieux où abonde la population flottante de notre capitale. » Le Moniteur universel, n° 166 (14 juin 1836), p. 1427.

8La préfecture est le siège d'une nombreuse garnison. BnF, VP-35402. Alexandre Corréard, Projet de chemin de fer de Paris à Tours (par Chartres)...présenté à l'administration des Ponts et Chaussées (le 20 janvier 1834 et le 15 février 1835), Paris, 1835, p. 27.

9Édouard de Villiers du Terrage, Notice sur un chemin de fer de Paris à Versailles projeté en 1825, par M. Devilliers, Paris, 1835.

10Michèle Lambert-Bresson, « Les premiers projets d'implantation de chemins de fer dans Paris. Les lignes de Paris-Orléans et de Paris-Versailles », Karen Bowie (dir.), La modernité avant Haussmann. Formes de l'espace urbain à Paris, 1801-1853, Paris, 2001, p. 265-279, p. 267.

11Un « avant-projet » de chemin de fer de Paris à Orléans, établi sur la rive gauche, avec embranchement sur Versailles, est présenté en 1830 et suivi d'un concours public ; mais cette première tentative officielle demeure sans suite, n'ayant d'ailleurs pas reçu l'assentiment du conseil général des Ponts et Chaussées. Le Moniteur universel, n° 132 (11 mai 1836), p. 1056. Voir aussi AN, F14 8865, 8866, 8902, 8903 et 11169. Michèle Lambert-Bresson, art. cit. (2001), p. 265-279 ; Pierre Bouchez, op. cit., p. 12-14.

12Ce projet a passé avec succès l'épreuve des enquêtes, mais est écarté par le conseil général des Ponts et Chaussées à cause « de la grandeur des pentes ». Le Moniteur universel, n° 132 (11 mai 1836), p. 1057.

13La proposition de Desfontaines leur fut soumise en même temps que quatre autres projets. BAVP, 1788 (1836). Rapport sur l'administration générale de la ville de Paris, présenté au conseil municipal par M. le comte de Rambuteau, préfet de la Seine, le 5 février 1836, Paris, 1836. Voir également BnF, VP-35403. Alexandre Corréard, Projet du chemin de fer de Paris à Tours (par Chartres)...présenté à l'administration des Ponts et Chaussées le 30 septembre 1835, Paris, 1836, p. 65.

14Le Moniteur universel, n° 132 (11 mai 1836), p. 1057.

15« En effet, le point du départ est placé plus près de la population active et de la partie de la capitale avec laquelle Versailles a le plus d'intérêt à se mettre en rapport ; que s'il est plus long, comme voie de fer [qu'un tracé par la rive gauche], le trajet à parcourir sur le pavé pour arriver des centres d'activité de la population à l'origine du chemin de fer est moins considérable. » En outre, ces mêmes observateurs estiment ce projet avantageux du point de vue « des secours que pouvaient se prêter l'une à l'autre, dans les jours d'affluence, les compagnies qui exploiteraient les deux directions unies ». Le Moniteur universel, n° 160 (8 juin 1836), p. 1338.

16« Vous savez, Messieurs, avec quelle impatience la ville de Versailles attend l'exécution d'une entreprise sur laquelle elle fonde de légitimes espérances : l'année dernière, vous avez accordé à la ville de Saint-Germain ce moyen de prospérer ; vous ne le refuserez pas cette année à une cité intéressante qu'une succession d'événements a fait déchoir de son ancienne splendeur, mais qui, grâce aux bienfaits de la munificence royale et à l'ouverture de la communication nouvelle dont nous provoquons l'établissement pourra du moins remonter par degrés au rang dont elle est descendue. » Le Moniteur universel, n° 132 (11 mai 1836), p. 1057.

17La longueur du parcours, le peu de localités desservies, le péage que la nouvelle compagnie devrait acquitter auprès celle concessionnaire du Paris-Saint-Germain et les dangers nés de l'encombrement qui pouvait résulter de cette double circulation.

18Le Moniteur universel, n° 160 (8 juin 1836), p. 1337-1338.

19Le Moniteur universel, n° 181 (29 juin 1836), p. 1528.

20Sur Corréard, voir Georges Ribeill, La révolution ferroviaire. La formation des compagnies de chemins de fer en France (1823-1870), Paris, 1993, p. 58-63. Initialement, Corréard n'était pas favorable à l'implantation d'un embarcadère sur la rive gauche. Alexandre Corréard, op. cit. (1835), p. 46-47. Le projet de Corréard se distingue de ses concurrents sur un point majeur : celui-ci prévoyait le prolongement de la ligne jusqu'à Tours et même Bordeaux. Corréard prétend avoir commencé l'étude de cette ligne dès 1830. BnF, VP-30460. Alexandre Corréard, Chemin de fer de Paris à Bordeaux. Note explicative pour démontrer l'antériorité des projets de M. Corréard sur ceux des ingénieurs de l'administration, Paris, 1844, p.1. En outre, le ministre des Travaux publics s'était engagé, en présence d'une délégation de pairs et de députés concernés par ce projet , à présenter un projet de loi relatif à ce projet (2 mars 1836). Alexandre Corréard, op. cit. (1836), p. 53, 71-72. Toutefois, lorsque le ministre s'exprime à la tribune de la Chambre, il écarte d'emblée la proposition de Corréard car, dit-il, celui-ci « devait rester en dehors de la comparaison » ne constituant qu'une section d'une ligne plus grande, celle du Paris-Tours. Legrand, directeur général des Ponts et Chaussées est plus disert sur les raisons de ce choix : « L'intention du gouvernement avait été d'établir un chemin sur la rive gauche de la Seine ; mais il ne consentirait pas ce chemin comme un chemin spécial de Paris à Versailles, mais comme la tête d'une grande ligne de Paris à Tours ; cette ligne n'était pas encore en état d'être présentée à la Chambre ; l'administration avait attendu que les formalités fussent complètes pour vous les présenter. Ainsi notre intention était d'autoriser un chemin de Paris à Versailles sur la rive droite de la Seine et plus tard une ligne de Paris à Tours passant par Versailles ». Le Moniteur universel, n° 166 (14 juin 1836), p. 1439.

21Le Moniteur universel, n° 166 (14 juin 1836), p. 1422-1432.

22Bulletin des lois du royaume de France, 2nd sem. 1836, t. XIII, n° 444, p. 143-146.

23Le texte est annexé à l'ordonnance du 24 mai 1837. Bulletin des lois du royaume de France, 1er sem. 1837, t. XIV, n° 512, p. 435-439.

24La ligne PVRD sera ouverte à l'exploitation le 2 août 1839. Pierre Bouchez, Paris Saint-Lazare à Versailles rive droite ; Saint-Cloud à Saint-Nom la Bretèche, Paris, 2007.

25Nicolas Stoskopf, Les patrons du Second Empire. Banquiers et financiers parisiens, Paris, 2002, p. 170-175.

26Bulletin des lois du royaume de France, 1er sem. 1837, t. XIV, n° 512, p. 411-439.

27BnF, VP-13751. Alexandre Corréard, Chemin de fer de Paris à Versailles (rive gauche). Causes de la ruine de l'entreprise et réponses critiques aux attaques de la compagnie, Paris, 1er mars 1839, p. 32-35.

28AD de Paris, D2S9 17. Rapport de Legrand, directeur général des Ponts et Chaussées, au préfet de la Seine. Observons que dès le 8 mai 1837, les Fould demandent au conseil général des Ponts et Chaussées l'autorisation d'étudier la poursuite de la ligne vers Tours. Frédéric Barbier, op. cit., p. 104.

29Alexandre Corréard, op. cit. (1er mars 1839), p. 3.

30Frédéric Barbier, Finance et politique. La dynastie des Fould, XVIIIe-XXe siècle, Paris, 1991, p. 103-104.

31Alexandre Corréard, op. cit. (1er mars 1839), p. 3.

32La loi du 21 juin 1846 donne aux deux compagnies (PVRG et PVRD) la concession des chemins de fer de l'Ouest à condition qu'elles fusionnent. Mais l'opération n'a pas lieu.

33Journal des chemins de fer, des mines et des travaux publics, n° 367 (3 février 1849), p. 68.

34Celle-ci a été votée le 26 juillet 1844. Bulletin des lois du royaume de France, vol. 29, Paris, février 1845, p. 180, n° 11 388.

35« L'administration et la compagnie [PVRD] sont aujourd'hui d'accord sur l'inutilité d'employer d'immenses capitaux à traverser des quartiers où la population est allée chercher le calme et le repos, pour jeter les embarras d'une grande circulation où elle existe déjà. » BnF, VP-25267, Les habitants de la rive gauche de Paris à Monsieur le ministre des Travaux publics, Paris, 24 avril 1847.

36« Le conseil, considérant que l'intérêt de la circulation et celui de la sûreté publique dans Paris commandent impérieusement que les lignes de chemins de fer soient reparties entre les divers embarcadères existants à la circonférence de la capitale, et suivant leurs directions naturelles ; considérant que les trois arrondissements de la rive gauche de la Seine ne peuvent pas être déshérités des avantages inhérents à cette répartition généralement adoptée ; qu'il a été plusieurs fois solennellement promis par l'administration supérieure, à la tribune des deux Chambres, que plusieurs lignes de chemins de fer, et notamment celles de l'Ouest, aboutiraient exclusivement à l'embarcadère du chemin de Versailles (rive gauche), et qu'un droit acquis résultait à cet égard de la loi votée à la fin de la session dernière, après l'expiration du terme assigné aux deux compagnies de Versailles pour opérer leur fusion ; est d'avis que l'embarcadère du chemin de fer de Paris à Versailles (rive gauche) soit, ainsi que le conseil en a déjà émis le voeu le 29 mai 1844 la seule tête du chemin de fer de Paris à Chartres et dans l'Ouest de la France ». Alexis Vavin, Discussion sur le projet de loi qui a été présenté à la Chambre des députés relativement au chemin de fer de l'Ouest et qui tranchait d'une manière injuste et désastreuse pour les intérêts de la rive gauche la question d'embranchement et de tête de ligne, Paris, s. d. (1847), p. 3.

37Alexis Vavin, op. cit., p. 2.

38BnF, VP-10991, Victor Considérant, Embargo-Rothschild sur le chemin de fer de l'Ouest, Paris, s.d. (1847).

39Annuaire-Chaix : annuaire officiel des chemins de fer publié par l'administration de l'Imprimerie centrale des chemins de fer, Paris, 1851, p. 88-93, 323-357.

40Frédéric Barbier, op. cit., p. 108.

41Michèle Lambert-Bresson, art. cit. (2001), et, du même auteur, « Lignes et implantations », Karen Bowie et Simon Texier (dir.), Paris et ses chemins de fer, Paris, 2003, p. 78-81.

42Certains esprits timorés désirent que les gares soient éloignées le plus possible du centre. Tandis que le cahier des charges du 9 juillet 1836 stipule que chaque chemin du PVRG pourra pénétrer dans Paris jusqu'à 1 500 m du mur d'enceinte, lors des débats à la Chambre des Pairs, Humblot-Conté et le baron Mounier protestent contre la pénétration exagérée des deux lignes dans Paris.
Pour celui-ci, « c'est un des grands inconvénients de ces chemins de fer que de pénétrer jusque dans l'intérieur de la capitale. Les routes sont faites pour conduire d'une ville à l'autre et non pas de pénétrer dans l'intérieur des villes. Quand on fait une route, on n'élargit pas les rues de la ville où la route va aboutir ; la route ne conduit que jusqu'à la barrière. Il me semble qu'il devrait en être de même pour les chemins de fer. L'avantage que prétendent trouver les concessionnaires à rapprocher le point de départ ne peut s'appliquer qu'à un petit nombre d'individus ; il faudra toujours que la généralité fasse un trajet assez long pour atteindre les chemins de fer. Cet avantage n'est donc pas de nature à compenser tous les inconvénients qui résulteront du mouvement des machines, et les dépenses qui résulteront des percées à travers les quartiers habités. » Le Moniteur universel, n° 132 (30 juin 1836), p. 1537.

43Michèle Lambert-Besson, art. cit. (2001).

44Camille et Marc Seguin, Observation sur les différents projets de chemins de fer de Paris à Versailles par la rive gauche, Paris, s. d. (1836), p. 20.

45Auguste Perdonnet et Camille Polonceau, Portefeuille de l'ingénieur des chemins de fer, Paris, 1843-1846, p. 470-472.

46Le cahier des charges est annexé à l'ordonnance du 24 mai 1837. Bulletin des lois du royaume de France, 1er sem. 1837, t. XIV, n° 512, p. 435-434.

47AD de Paris, D2 S9 17. Rapport de Legrand relatif à l'approbation du tracé définitif de la ligne (27 décembre 1837).

48Frédéric Barbier, op. cit., p. 107.

49BnF, VP-23215, À MM les Membres de la Chambre des Députés. Réclamation des Habitans [sic] de la rive gauche sur l'emplacement du Débarcadère du chemin de fer de l'Ouest (rive gauche), Paris, 1846.

50« Que les législateurs voient l'avenir et ne s'arrêtent pas aux mesquines considérations du présent. Le boulevard Montparnasse sera dans peu d'années un centre important. Derrière lui s'élèvent déjà la ville de Plaisance et les longues constructions de la barrière d'Enfer. » Idem.

51« Si avant l'époque de cette concession l'État faisait construire une gare sur le côté sud du boulevard intérieur, en prolongement du chemin de fer de la rive gauche, la compagnie de la rive droite serait tenue d'y faire, à ses propres frais, les travaux laissés par la loi du 11 juin 1842, à la charge de l'industrie privée, et d'y transporter le service des voyageurs circulant sur ledit chemin. » (art. 10).

52Émile Carrey (éd.), Recueil complet des actes du Gouvernement provisoire (février, mars, avril, mai 1848), Paris, 1848, p. 19 et 29.

53Stéphanie Sauget, À la recherche des pas perdus. Une histoire des gares parisiennes du XIXe siècle, Paris, 2009, p. 26-27.

54Journal des débats politiques et littéraires (26 mars 1848), p. 3

55Gérard Le Provost, Opération Maine-Montparnasse. La vieille gare Montparnasse, Paris, 1970, p. 11.

56Qu'il s'agisse des propositions soumises par la commission officieuse présidée par Ernest de Chabrol-Chaméane (1840), celles envisagées par l'équipe de Chantelot, chef des bureaux de la préfecture (1841-1842), par Perreymond (1842), et par les architectes et cartographe Grillon et Jacoubet, et par Meynadier (1843). Pierre Pinon, op. cit. (2002), p. 25-26.

57Géraldine Rideau, « Place et réseau ferré parisien sous la monarchie de Juillet : ébauche d'une rupture », Laurence Baudoux-Rousseau, Youri Carbonnier et Philippe Bragard, La place publique urbaine du Moyen Âge à nos jours, Arras, 2007, p. 235-246.

58Karen Bowie, Les grandes gares parisiennes du XIXe siècle, Paris, 1987, p. 96.

59Michèle Lambert-Bresson, art. cit. (2003), p. 78.

60Pierre Pinon, op. cit. (2002), p. 49. Voir également BnF, VP-26834, Observations adressées à M. le Préfet du département de la Seine, et à MM. les Membres du conseil municipal, sur le projet d'ouverture d'une nouvelle voie de Communication au devant du débarcadère des Chemins de Fer de la rive droite, Paris, avril 1843.

61« On sait déjà qu'une grande voie de communication va être ouverte en face de l'embarcadère du chemin de Strasbourg, pour arriver au boulevard Saint-Denis, dans l'axe de la cité d'Orléans. » L'ami de la religion, journal ecclésiastique, politique et littéraire, t.131 (1846), p. 198-199. Pierre Pinon, op. cit. (2002), p. 46.

62BnF, VP-23215, op. cit.

63Aussi requièrent-ils que l'article 87 du cahier des charges soit modifié et que le quatrième paragraphe relatif au prolongement du chemin de fer dans Paris porte seulement : « La compagnie sera tenue de prolonger à ses frais le chemin de fer de la rive gauche dans l'intérieur de Paris jusqu'au boulevard du Montparnasse. Elle ouvrira d'accord avec la Ville et à ses frais en face du débarcadère, une rue large de 15 m partant du boulevard et qui arrivera à la rue du Bac. » Idem.

64Revue municipale, n°5 (1er août 1848), p. 46.

65Celui-ci semble ne pas avoir été conservé.

66Revue municipale, n° 5 (1er août 1848), p. 45.

67Idem, p. 46.

68Journal des débats politiques et littéraires (24 décembre 1849), p. 2.

69« Rien n'a encore été décidé sur le nom de cette nouvelle voie publique, qui provisoirement a été appelée rue de Rennes, à cause de la destination future du chemin de fer de l'Ouest. » Journal des débats politiques et littéraires (25 juillet 1852), p. 1.

70Idem (24 juin 1850), p. 3.

71Revue municipale, n° 78 (16 juillet 1851), p. 643.

72Idem, n° 92 (16 février 1852), p. 753.

73Idem, n° 102 (16 juillet 1852), p. 834.

74Idem, n° 9 (1er octobre 1848), p. 80.

75Idem, n° 5 (1er août 1848), p. 46.

76L'élargissement de ce carrefour a été programmé par ordonnance royale du 30 juillet 1845. La largeur du carrefour est fixée à 23,4 m. Idem, n° 171 (16 mai 1855), p. 1459.

77Idem, n° 78 (16 juillet 1851), p. 643.

78Cette proposition est de nouveau débattue dans les colonnes de la Revue municipale, en janvier 1852, sous la plume de Morvillier, lequel mentionne un projet similaire défendu par Louis-Pierre Hérard, architecte. Idem, n° 90 (16 janvier 1852), p. 737. L'année suivante, c'est au tour de Châtillon, également architecte, de plaider en faveur de cette solution qui, souligne-t-il, figurait déjà sur le plan des Artistes. Idem, n° 125 (16 juin 1853), p. 1015.

79Journal des débats politiques et littéraires (24 décembre 1849), p. 2.

80Revue municipale, n° 94 (16 mars 1852), p. 769-770. Un plan du projet est annexé à l'article. Voir encore sur le même projet idem, n° 107 (1er octobre 1852), p. 874.

81Idem, n° 102 (16 juillet 1852), p. 834-835.

82La Presse (1er décembre 1852), p. 2.

83Revue municipale, n° 97 (1er mai 1852), p. 792.

84Charles Merruau, Souvenirs de l'Hôtel de Ville de Paris, 1848-1852, Paris, 1875, p. 364.

85AD de Paris, D1Z 100, fol. 389. Préambule du décret du 9 mars 1853.

86Journal des débats politiques et littéraires (25 juillet 1852), p. 1.

87Idem (2-3 novembre 1852), p. 3.

88AD de Paris, VO NC 1336. 22 octobre 1852.

89La Presse (1er décembre 1852), p. 2.

90AD de Paris, D1Z 100, fol. 389. Préambule du décret du 9 mars 1853.

91Idem, fol. 389 et 395.

92AN, F1A 2000 88.

93Observons que ce projet la situe presque dans le prolongement de la rue Notre-Dame-des-Champs.

94La légende du plan porte d'ailleurs que les pans coupés correspondant seront réalisés lors de son percement.

95Revue municipale, n° 125 (16 juin 1853), p. 1018.

96AD de Paris, D1Z 100, fol. 402 et Journal des débats politiques et littéraires (2-3 novembre 1852), p. 3.

97Journal des débats politiques et littéraires (2-3 novembre 1852), p. 3.. Soit les nos 79, 81, 89 et 95 rue de Vaugirard ; les nos 2, 4, 12, rue Notre-Dame-des-Champs et les nos 65, 73 et 75 boulevard Montparnasse.

98Idem. Arrêté préfectoral du 26 octobre 1853 qui fixe au 7 novembre suivant l'adjudication de six immeubles à démolir sur une mise à prix de 14 000 F.

99AD de Paris, VO NC 1336.

100Idem.

101Idem.

102Idem.

103Paris, Musée d'Orsay, INV20094.

104AN, Min. centr., VI, 1130 (21 août 1855).

105Afin, sans doute, de donner à l'îlot qu'elle forme avec la rue du Regard une plus grande largeur.

106AD de Paris, VO NC 1336.

107Sur cette fontaine, cf. Katia Frey, « L’entreprise napoléonienne », Dominique Massounie, Pauline Prévost-Marcilhacy et Daniel Rabreau (dir.), Paris et ses fontaines. De la Renaissance à nos jours, Paris, 1995, p. 104-123, p.115.

108Journal des débats politiques et littéraires (3 février 1862), p. 2.

109AD de Paris, 1304W 19 (17 juillet 1858). Rapport.

110Lynda Benkaci, L'ouverture du boulevard de Strasbourg. Idée et formation, mémoire de DEA, École d'architecture de Paris-Belleville (Pierre Pinon, dir.), Paris, 2001 et Pierre Pinon, op. cit. (2002), p. 46-48.

111Commission des travaux historiques. Sous-commission de recherches d'histoire municipale contemporaine, Notes biographiques sur les membres des assemblées municipales parisiennes et des conseils généraux de la Seine de 1800 à nos jours. Première partie : 1800-1871, Paris, 1958, p. 54.

112Il serait ouvert à cet effet un crédit de 75 200 F imputable sur le fonds des dépenses imprévues de l’exercice de 1849. Revue municipale, n° 18 (16 février 1849), p. 152.

113Idem, n° 20 (16 mars 1849), p. 165 et n° 37 (1er décembre 1849), p. 302.

114Idem, n° 78 (16 juillet 1851), p. 643.

115« Le ministre des Travaux publics et le préfet de la Seine ont réglé, chacun pour sa part contributive, les frais et les dépenses que doit occasionner la régularisation des abords de l'embarcadère du chemin de fer de l'Ouest. ». Journal des débats politiques et littéraires (24 décembre 1849), p. 2.

116Geneviève Massa-Gille, Histoire des emprunts de la Ville de Paris (1814-1875), Paris, 1973, p. 210.

117Journal des débats politiques et littéraires (25 juillet 1852), p. 1.

118AN, F2II Seine 33. Voir transcription du texte en annexe.

119Pierre Pinon, « Entreprises et financements », Jean des Cars et Pierre Pinon (dir.), Paris Haussmann, « le pari d'Haussmann », Paris, 1993, p. 102-106, p. 103.

120AN, F2II Seine 33. Voir transcription du texte en annexe.

121Idem.

122Idem.


GENÈSE ET OUVERTURE DU DEUXIÈME TRONÇON

Réelle ou feinte, l'hostilité qu'Haussmann manifeste en mars 1856 à l'égard d'un prolongement éventuel de la rue de Rennes contraste fortement tant avec l'opinion publique qu'avec l'avis de certains membres de l'administration. La mise en rapport de la gare avec la rive droite constitue une exigence que personne, désormais, ne remet en cause. Nombreux sont ceux qui réclament cette réalisation, multipliant propositions et projets, relayés par voix de presse. L'empereur lui-même, dont on connait l'intérêt pour la transformation urbanistique de sa capitale, a des vues très précises sur la question. Dix ans, toutefois, s'écouleront avant que l'opération ne soit décrétée (juillet 1866).

La genèse
Le débat portant sur le prolongement de la rue de Rennes s'inscrit dans une discussion séculaire, celle du remaniement de la trame urbaine de l'ancien bourg Saint-Germain. L'obstacle formé par la présence du fleuve, l'empreinte durable de l'enceinte de Philippe Auguste et l'ancienneté du réseau viaire condamnent en effet le quartier à l'isolement et à l'asphyxie.


A l'approche de la traversée de la Seine, les monuments sont autant d'obstacles qui s'opposent au passage d'une voie nouvelle et réduisent les options de tracés. Les différentes propositions de prolongement de la rue de Rennes convergent vers un franchissement du fleuve entre l'Institut et la Monnaie avec débouché en face de la colonnade du Louvre. Schéma Baptiste Essevaz-Roulet.


Très tôt, ses habitants se sont mobilisés afin d'obtenir de l'administration qu'elle opère le sauvetage de ce secteur « encombré, infect, délaissé »123. L'urgence de cette intervention se ressent d'autant au regard des transformations qui affectent le reste de la ville : « Nos quartiers et [nos rues] en particulier semblent être laissés en arrière dans le mouvement de progression générale des améliorations de la ville. »124 Cette situation conduit à la publication d'une dizaine de projets pour la seule décennie 1840125. Dans chacun des cas, on recourt à la percée, étant considéré désormais que « le prolongement et l'élargissement (…) ne sont que des demi-moyens, obligeant à de grandes dépenses, et ne pouvant pas rendre, quant à présent, la vie aux quartiers menacés »126. Quelles que soient leurs différences, plusieurs de ces projets convergent vers le même parti, contraint, d'ailleurs, par la configuration générale du secteur : l'établissement d'une voie traversant le quartier Saint-Germain et aboutissant entre l'Institut et la Monnaie, en face d'un pont jeté près de la colonnade du Louvre. La fortune de cette proposition aura, nous le verrons, une incidence probable sur la solution retenue pour le prolongement de la rue de Rennes.


Projet de Léon de Laborde en 1842 pour traverser la Seine au moyen d'une voie et d'un pont passant entre l'Institut et la Monnaie (à gauche) afin de relier Saint-Sulpice à la halle au blé (auj. bourse du commerce). Bibliothèque administrative de Paris ; cliché Baptiste Essevaz-Roulet.


Postérieure à ces propositions, l'ouverture de la nouvelle gare Montparnasse engendre une redéfinition des modalités de la transformation urbanistique du quartier Saint-Germain. Selon certains observateurs, le rôle revenant à la rue de Rennes paraît, de ce point de vue, fondamental : « En étudiant cet arrondissement, l'administrateur qui veut opérer avec sagesse et se guider dans le dédale des voies publiques qui composent cette partie de la ville doit placer son premier jalon sur la gare de l'Ouest. Son point de départ est la rue de Rennes, appelée à devenir l'une des grandes artères de Paris, et dont le prolongement doit forcément se poursuivre jusqu'au quai. »127 Rappelons-nous que dès l'ouverture de l'enquête relative au projet de percement de la rue, en juillet 1848, plusieurs auteurs ont réclamé le prolongement de la nouvelle voie vers la rue du Bac, afin d'améliorer les communications entre la gare et le nord-ouest de la capitale, où vit une clientèle fortunée. À compter de mai 1852 cependant, une alternative éclipse peu à peu cette première possibilité. Il s'agit désormais de faciliter les communications entre le chemin de fer et le centre géographique de Paris128 et, surtout, entre la gare et le secteur des Halles.

Lors des enquêtes préalables au réaménagement des Halles, plusieurs esprits, pénétrés du rôle fondamental dévolu aux chemins de fer dans l’approvisionnement de Paris, avaient plaidé pour la formation, à proximité des principales gares de la capitale, de marchés en gros qui approvisionneraient en denrées des marchés de détail disséminés dans les divers quartiers de la ville. Si, en se déterminant en faveur du maintien des Halles au centre de la capitale, le gouvernement avait clos la discussion, le principe de lier ce marché aux sources de son approvisionnement par des voies commodes était désormais acquis. Or, de la gare Montparnasse – d'où arriveraient bientôt les produits beaucerons, tourangeaux et bretons – au quartier des Halles, seul le passage par le Pont-Neuf et les voies de la rive droite donnent alors satisfaction. Aussi, en avril, puis de nouveau en juin 1852, les membres de la commission officieuse des propriétaires et habitants du Xe arrondissement ancien adressent deux mémoires au prince-président, signés « par près de quatre cents d'entre eux », et celui-ci leur accorde une audience particulière le 17 mai. Ils font valoir avec force la nécessité du prolongement et de l’élargissement de la rue de Nevers, programmés de longue date129, jusqu'à la rue de Seine ou la rue Jacob. Ainsi, en élargissant également la rue de l'Échaudé, on pourrait rejoindre la gare en empruntant la rue du Four jusqu'au carrefour de la Croix-Rouge, puis celles du Cherche-Midi et du Regard, menant au bas de la rue de Rennes130. « À ne considérer le tracé que dans ses rapports avec l’alimentation de Paris, précise le baron Baude, rapporteur de la commission officieuse, non seulement il satisfait de la manière la plus économique au mouvement entre la gare de l’Ouest et la Halle centrale, mais il dessert directement les relations qui doivent s’établir entre la Halle centrale, d’une part, et de l’autre le marché Saint-Germain et le marché de la rue de Sèvres. Il répond donc, à la fois, aux besoins généraux de l’approvisionnement de la capitale et aux besoins locaux des deux plus grands marchés de la rive gauche de la Seine. Aucune autre ligne de correspondance directe entre la Halle centrale et les gares de chemins de fer ne remplit au même degré une semblable condition. »131 En outre, l'auteur souligne qu'en marge de la dépense (1,4 million de francs), cette réalisation donnerait l’occasion d’accroître la matière imposable au profit de la Ville et de l'État à moindres frais par la mise en valeur de terrains jusque-là très peu exploités. Quelques mois plus tard, les pétitionnaires n'hésitent pas à faire de ce projet un enjeu d’envergure nationale132. La qualité de sa conception frappe, sans nul doute, les esprits, et suscite l'émulation. Ainsi, le 1er août 1852, Lazare publie le projet de Charles Brouty133 et (Marie-Gabriel ou Charles ?) Veugny relatif au prolongement de la rue de Nevers jusqu'à l'embarcadère de l'Ouest au moyen d'une percée large de 15 m réalisée en ligne droite jusqu'au carrefour des rues Madame et du Vieux-Colombier. De là, le nouvel axe va rejoindre l'intersection formée par les rues de Vaugirard et du Regard où les deux architectes prévoient l'aménagement d'une place circulaire sur laquelle débouche la rue de Rennes projetée134. Jean-Étienne Thierrée135, constatant que la rue de Rennes ne ferait qu' « éparpille(-r) la circulation à droite et à gauche, sans briser le barrage qui l'empêche de pénétrer dans le centre de la ville », reprend le projet de Brouty et Veugny, tout en portant la largeur de la percée à 30 m136. Sans doute ces deux propositions, plus ambitieuses que l'itinéraire que proposait la commission officieuse, ont-elles su séduire. Selon Lazare, le préfet Berger soumettrait bientôt ces projets à l'avis du conseil municipal137. De son côté, la presse, trop impatiente, prétend que « toutes ces opérations, prévues au budget prochain, pourraient être commencées vers le commencement de 1853. Elles complèteraient d'une manière satisfaisante le système d'amélioration que la Ville paraît avoir enfin entrepris pour les voies de communication de la rive gauche »138. On ignore quel avis a donné la Ville ; seule la certitude que manifestent Lazare139 et la presse140 quant à l'exécution imminente du projet laisse croire qu'il aura été positif. C'est le signe que, dans les esprits, le recours à un programme ambitieux de percée, permettant le raccordement de la rue de Rennes au ventre de Paris, constitue une option désormais parfaitement recevable.


Napoléon III en 1855.
 
Quelques mois plus tard, une autre option de tracé est formulée, par l'empereur cette fois-ci. Il s'agit, là encore, d'un prolongement du premier tronçon de la rue sous la forme d'une percée. Le plan dit « colorié »141 que Napoléon III remet à Haussmann à l'été 1853, constitue la première version de ce projet : un segment de voie relie le carrefour Rennes-Vaugirard à la place Saint-Germain-des-Prés, oblique ensuite à l'est pour déboucher sur le quai Conti, entre la Monnaie et l'Institut. Enfin, un embranchement, qui s'ancre au niveau de la rue de Seine vient prendre en tenaille le bâtiment de Le Vau, pour atteindre le fleuve, à l'ouest. Selon Merruau, « la bifurcation de la rue de Rennes, indiquée par ces lignes, est admirablement entendue pour mettre l'embarcadère de l'Ouest et tout le quartier environnant en communication avec la rive droite, en évitant, soit à l'est, soit à l'ouest, l'obstacle continu du Louvre et des Tuileries »142. Ainsi, du point de vue des échanges entre les deux hémisphères de la ville, ce projet est-il moins ciblé que ceux de Brouty-Veugny et Thierrée. Il témoigne, par ailleurs, d'un souci d'esthétique urbaine (mise en relation de la gare et de l'église, dégagement de l'Institut) absent des propositions précédentes. Postérieur de deux mois, le plan dit « de l'Empereur »143 (voir figure ci-dessous à gauche) que Napoléon III remet au comte Siméon, rapporteur de la commission des embellissements144, en août 1853, présente le même dessein avec, en plus, un pont établi entre l'Institut et la Monnaie, et la place du Louvre élargie145. L'intention de l'empereur paraît évidente : il s'agit de délester le Pont-Neuf d'un trafic déjà très dense, en le doublant à l'ouest146. Ainsi, l'exigence de communication directe entre la gare Montparnasse et le secteur des Halles est-elle parfaitement satisfaite tout en étant confondue dans un système plus vaste147.

À ces premières réflexions s'ajoutent bientôt les suggestions de la commission des embellissements, à qui il appartient de satisfaire le voeu de l'empereur « que toutes les grandes artères aboutissent aux chemins de fer »148. Siméon, qui s'est d'abord penché personnellement sur la question149, remet le rapport final à Napoléon III, le 27 décembre 1853. À l'endroit de la rue de Rennes, celui-ci reprend point par point les principes déjà définis par l'empereur150. Les préoccupations esthétiques ne sont pas démenties : « Cette voie amènerait la séparation des palais de l'Institut et de la Monnaie, heureuse au point de vue monumental. Il y aurait à examiner ensuite par la Ville si, dans les améliorations de détail dont elle se chargera, l'ouverture d'une rue circulaire autour de l'Institut ne serait pas nécessaire pour compléter le monument et pour faciliter l'issue du quai Malaquais sur la rue de Seine, qui est actuellement dangereuse et presque impraticable. »151 Chose frappante, le plan associé au travail de la commission présente une version encore différente du rapport (voir figure ci-dessous à droite), comprenant deux propositions permettant, l’une de relier la gare Montparnasse à celle d’Austerlitz152, l’autre, tracée au crayon (postérieurement ?), à celle du Nord153. Malgré leur relative hétérogénéité, ces propositions ont en commun certaines caractéristiques essentielles qui s'avèrent déterminantes pour la suite : l'abandon d'un prolongement de la rue de Rennes par la rue de Nevers, la bifurcation au dos de l'Institut et l'établissement d'un nouveau pont sur la pointe occidentale de la Cité.


Les différents tracés projetés en 1853. À gauche celui de l’empereur (le tracé figurant sur le plan dit « de Morizet », postérieur, est figuré en pointillé) ; à droite, celui de la commission des embellissements du comte Siméon (en pointillé, le tracé « au crayon »). Schéma Baptiste Essevaz-Roulet.



Si, à compter de cette date (fin 1853), le sort de la rue de Rennes se désolidarise de celui de la rue de Nevers, l'absence de publicité des projets élaborés par l'empereur et, ensuite, par la commission Siméon, offre l'occasion à la solution qu'avaient proposée Brouty et Veugny d'occuper le premier plan. Ainsi, en décembre 1854, le directeur de la Revue municipale continue de s'interroger sur le devenir du projet « de l'élargissement de la ruelle de Nevers qui devait se souder avec la rue de Rennes, pour former une grande et magnifique voie destinée à porter cette population flottante qui descend du débarcadère de l'Ouest pour gagner le centre de Paris »154. C'est sans doute le silence de l'administration qui pousse Lazare à rappeler, en mai 1855, l'existence de ce projet : « Parmi les créations qui font honneur à l’Administration actuelle, la rue de Rennes mérite d’être signalée. Toutefois, cette voie publique ne peut avoir d’utilité réelle, complète, qu’en étant prolongée et rattachée à ce magnifique projet ayant pour but la création d’une grande artère aboutissant au quai par l’élargissement de la petite rue de Nevers. »155 Plus confiante, la presse généraliste estime, quant à elle, que « la rue de Rennes, destinée à mettre en communication l'embarcadère de la ligne de l'Ouest avec les quais de la rive droite et le centre de Paris doit être continuée en ligne à peu près droite jusqu'au quai Conti, presque vis-à-vis la descente du Pont-Neuf »156.



Le projet de l'empereur, tel qu'il a été formulé au cours de l'été 1853, finit toutefois par s'imposer157 ; il semble connu de la presse au tournant des années 1855-1856158 et prend alors un tour officiel159. Lazare en donne un compte-rendu enthousiaste : « L’agrandissement de la place du Louvre se combine heureusement avec un magnifique projet qui prouve que M. le préfet actuel a le sentiment des belles créations. On sait que la rue de Rennes s’arrête aujourd’hui au carrefour formé par la rencontre des rues du Regard et de Vaugirard. La rue de Rennes, d’après le tracé projeté, se poursuivrait d’abord jusqu’à la place Saint-Germain-des-Prés, passerait latéralement et à gauche de la caserne des sapeurs-pompiers de la rue du Vieux-Colombier, supprimant dans son parcours les rues Beurrière, Neuve-Guillemin et de l'Égout, pour déboucher sur la grande place formée au-devant de Saint-Germain-des-Prés, par l’intersection de ladite rue et du nouveau boulevard projeté. À partir de cette place, splendide vestibule pour l’une des plus anciennes et des plus remarquables églises de Paris, la rue de Rennes se dirigerait en ligne droite sur le quai de Conti, où elle déboucherait à l’ouest de l’hôtel des Monnaies. Un pont serait jeté sur cette partie du fleuve pour rattacher la rue de Rennes à celle dite du Louvre, laquelle doit être ouverte en prolongement de la place du même nom. La rue du Louvre emprunterait l’amorce actuelle de l’ancienne rue des Poulies, pour se diriger à pleins jalons vers l’angle sud-ouest du périmètre des halles centrales. Cette pensée administrative révèle, selon nous, une grande intelligence du plan de Paris. »160

Tel qu'il vient d'être présenté, ce projet n'a pas encore atteint sa pleine maturité. Il faut attendre le plan dit « de Morizet »161, dont Pierre Pinon date les propositions de 1856-1857 environ162, pour qu'apparaisse une seconde bifurcation au niveau de la place Saint-Germain-des-Prés en direction d'une place projetée à l'entrée du pont du Carrousel (figurie ci-dessus à gauche). Ce tracé en « Y », jamais évoqué auparavant, tend à renforcer les points de liaison entre les deux rives, en même temps qu'il accroît l'aspect monumental de la place et son importance stratégique, véritable noeud de communication de la portion occidentale de la rive gauche.



Ainsi, neuf ans avant d'être décrété, le projet est-il déjà posé. Toutefois, durant cet intervalle, compte-tenu de son inexécution et du peu de publicité que la Ville donne à ses projets, diverses propositions non officielles sont soumises à l'avis du public. L'objectif qu'elles ambitionnent prolonge l'idée inscrite au crayon sur le plan de la commission Siméon (décembre 1853), mettre en relation non plus seulement la rue de Rennes et les Halles, mais encore les deux gares, Montparnasse et du Nord. Cette optique de travail conduit Charles Brouty, en mai 1857, à reprendre, synthétiser et augmenter plusieurs de ses propositions déjà publiées163. La réflexion de l'architecte aboutit à un projet de grande envergure : un boulevard large de 30 m ouvert entre une place circulaire établie au carrefour Rennes-Vaugirard et la place Sainte-Marguerite (auj. boulevard Saint-Germain au niveau de la rue du Four). À ce niveau, l'axe se dédouble. Un segment, à l'est, va rejoindre le Pont-Neuf, en suivant le tracé de la rue de Nevers ; l'autre, à l'ouest, débouche sur le quai Conti, entre l'Institut et la Monnaie, avant de franchir le fleuve par un large pont. Le tracé se poursuit sur la rive droite sur 1 170 m de longueur, entre la place du Louvre et le boulevard de Bonne-Nouvelle, près de la rue d’Hauteville. De là, une seconde section court sur 1 080 m pour aboutir à la rue de Dunkerque, près de la gare du Nord164. La presse l'a bien compris, cette proposition de tracé doit servir en quelque sorte de pendant au boulevard de Sébastopol et de son prolongement, le boulevard Saint-Michel165. Dans le sillage de ce projet qui consacre le triomphe de la percée sur l'alignement, deux autres projets méritent une mention : le premier, d'Armand Le Chevalier166, le second, d'Hippolyte Barnout167. Celui-là présente son plan à l'empereur le 21 juillet 1857 ; il s'agit d'ouvrir une voie rectiligne, depuis la barrière du Maine et du flanc ouest de la gare Montparnasse jusqu'au quai du Louvre, au moyen d'un nouveau pont et de nouveaux guichets168. Le projet de Barnout consiste quant à lui à ouvrir une « voie impériale » qui, depuis les guichets du Louvre et parallèlement au tracé de la rue de Richelieu, gagnerait l'opéra (projeté)169. Lazare, en reportant sur un même plan les propositions de Brouty, de Le Chevalier et de Barnout, donne à voir une version radicale des dispositions retenues en 1857, mais l'esprit reste le même170.



Le plan des percées réalisées entre 1848 et 1864 (état au 1er novembre) indique, comme « projet à l'étude », le prolongement de la rue de Rennes tel qu'il a été élaboré entre 1855 et 1857 et tel qu'il sera décrété en juillet 1866171. Inscrite dans un réseau formé par le boulevard Saint-Germain (projeté), le boulevard d'Enfer (auj. Raspail, projeté) et la rue du Four (alignée), la voie étudiée s'étend du carrefour Rennes-Vaugirard jusqu'à la place Saint-Germain-des-Prés. De là partent trois axes disposés en patte d'oie, la rue Bonaparte formant l'axe médian. Le segment est, qui correspond nominativement à la rue de Rennes, se poursuit jusqu'à la rencontre d'une intersection spacieuse, formée avec la rue de Seine (redressée) et établie en place d'une partie de l'îlot contenu entre la rue Visconti et celle des Beaux-Arts. Laissant à gauche l'Institut, elle débouche sur le quai Conti, près de la Monnaie, en face d'un large pont ouvrant sur la place du Louvre. De là, un tracé en pointillé prolonge la rue jusqu'à la rue Réaumur (projetée) et celle des Fossés-Montmartre ; cette préfiguration de la rue du Louvre aurait permis de gagner les gares de l'Est et du Nord par le boulevard de Sébastopol. Le segment ouest partant de la place Saint-Germain-des-Prés va rejoindre une place établie en bordure du fleuve et sur laquelle débouche, symétriquement, une percée projetée dans le prolongement de l'avenue de Tourville (préfiguration de l'actuelle rue de Montalembert). Un large pont enjambe la Seine à cet endroit, en place de celui du Carrousel.

Tel qu'il apparaît sur ce plan, c'est-à-dire mis en relation avec d'autres projets, l'objectif du prolongement de la rue de Rennes paraît évident : il s'agit de multiplier les points de communication entre les deux rives. Cet ensemble de voies qui font système, Haussmann en défendra le bien-fondé quelques mois après sa chute : « Dans ma pensée, je ne séparais pas plus la continuation du boulevard Saint-Germain de celle de la rue de Rennes, que l'ouverture de l'avenue Napoléon [auj. de l'Opéra] du prolongement de la rue du 10-Décembre [auj. rue du Quatre-Septembre] jusqu'à sa jonction avec la rue Réaumur. (…) En effet, si la rive droite n'a pas absolument besoin de communications avec la rive gauche, le premier intérêt de celle-ci est d'être reliée à celle-là. L'ouverture de la branche de la rue de Rennes, qui conduira de la place Saint-Germain-des-Prés au pont et aux guichets du Carrousel, et celle de l'avenue Napoléon, qui prolongera cette communication au-delà du Carrousel, jusqu'à la place du nouvel Opéra, c'est-à-dire jusqu'au coeur de Paris transformé doivent tout simplement révolutionner la rive gauche (…). »172



En attendant la prise du décret, la réalisation de certains éléments connexes au projet du prolongement de la rue de Rennes est amorcée : la rue du Louvre est percée173 et les premières études du nouveau pont du Carrousel sont lancées. En outre, la Ville procède, dès 1859, à des acquisitions de propriétés situées sur le tracé de la voie projetée, rue Cassette, rue du Vieux-Colombier et rue d'Assas174.

En juin 1864, une première enquête est ouverte concernant diverses opérations de voirie projetées dans le quartier Saint-Germain, dont le prolongement de la rue de Rennes. Celui-ci, en novembre, fait l'objet d'une seconde enquête, particulière cette fois-ci, qui s'accompagne du dépôt, en la mairie du VIe arrondissement, du plan des propriétés dont la cession est nécessaire pour l'exécution de l'opération. Toutefois, seul le tronçon compris entre le carrefour Rennes-Vaugirard et la rue de l'Abbaye est concerné175. A-t-il été question, un moment, de renoncer à la réalisation de la patte d'oie et à l'isolement de l'Institut ? On l'ignore ; reste que cette possible hésitation témoigne, dans l'esprit des aménageurs, d'une conception fragmentaire de l'opération. Une dernière enquête publique est ouverte entre le 25 mai et le 10 juin 1866, qui concerne cette fois-ci l'opération dans son intégralité ; la destruction des archives nous prive d'en connaître le résultat176.


Partie nord du plan annexé au décret
de prolongement de la rue de Rennes
du 28 juillet 1866.

Cliché Baptiste Essevaz-Roulet.
 
Le décret portant prolongement de la rue de Rennes jusqu'au quai Conti est pris le 28 juillet 1866, mais le pont dit « projeté » n'est pas compris au titre des opérations décrétées. En revanche, la décision s'accompagne de onze autres points177. Un second décret, daté du même jour, déclare l'ensemble de ces opérations d'utilité publique178. Rappelons-nous que le plan des percées de 1864 recèle déjà les principes qui sont définitivement arrêtés en juillet 1866. Aussi, le plan annexé au décret n'appelle-t-il aucun commentaire. Observons toutefois que l'élargissement du carrefour Rennes-Vaugirard, tel qu'il avait été décrété en mars 1853, est refondu selon un dessin différent, n'ayant reçu qu'une exécution partielle. Il affectera désormais une forme oblongue au moyen de deux légers retraits d'alignements pratiqués au niveau de pans coupés situés en vis-à-vis, rues du Regard-Saint-Placide et rues de Vaugirard-Notre-Dame-des-Champs179.

Enfin, bien que non décrété, le nouveau pont figure sur le plan. Cet ouvrage d'art, de conception originale, se prolonge en ligne droite, depuis la rive gauche jusqu’à la pointe de l’île de la Cité, puis oblique légèrement vers l’ouest pour aborder à angle droit le quai du Louvre, face à la rue du même nom. Au point de rencontre avec l'extrémité occidentale de l’île de la Cité, le pont s’élargit en une sorte de plateforme qui joint le Pont-Neuf à hauteur du tablier, faisant disparaître le jardin du Vert-Galant. Long de 125 m, sa largeur « offrira une surface suffisante à un stationnement et à une promenade »180.





La réalisation
Le mode d'exécution du deuxième tronçon de la rue de Rennes diffère radicalement de celui mis en oeuvre en 1853-1854. Commun à un nombre croissant de projets exécutés à compter de 1857, ce changement résulte de la recrudescence des opérations de voirie et des difficultés rencontrées par la Ville pour réunir les fonds nécessaires à leur financement181. Tout en conservant la maîtrise technique, la municipalité a en effet peu à peu concédé la réalisation de ces grands chantiers à des entrepreneurs contre une « subvention » dont le montant et les modalités d'emploi sont fixés par un traité. Or, au milieu des années 1860, pour leur financement, la Ville ne peut compter sur ses ressources ordinaires, ni recourir à l'emprunt eu égard à un endettement déjà considérable182. Quant au prolongement de la rue de Rennes, cette situation est d'autant plus délicate que cette intervention ressort de ce qu'Haussmann qualifiera par la suite de « troisième réseau », c'est-à-dire l'ensemble des opérations de voirie dont le coût est supporté par la Ville seule. Il est donc indispensable de trouver un nouveau mode de financement. On convient alors d'utiliser le crédit des entrepreneurs, ceux-ci faisant l'avance des dépenses, en escomptant par des « bons de délégation » les subventions à venir de la Ville auprès d'établissements financiers. Ainsi, la Ville, au lieu d'utiliser son crédit propre fait intervenir les banques, crédit de relais : « il s'agit, de fait, d'un emprunt masqué, la Ville garantissant les opérations sur des capitaux qu'elle en possède pas »183, procédé qui provoquera la chute du système184.

À court terme, l'avantage pour la Ville est réel. Selon cette formule, en effet, les dépenses immédiates et les risques incombent en totalité à la société concessionnaire. En outre, l'effort financier que la Ville accomplit, différé et échelonné dans le temps, est compensé, en théorie, par l'accroissement de la recette fiscale (les primo-acquéreurs ayant l'obligation de construire dans un délai de trois ans, art. 5 du traité Thome évoqué ci-après). Le concessionnaire, quant à lui, dégage son bénéfice sur la revente des terrains au-dessus de la valeur pour laquelle il les a acquis. Cependant, les difficultés et les risques qu'il endosse sont bien réels au point que les candidats à la concession sont très peu nombreux. Aussi, la Ville n'a-t-elle jamais organisé d'adjudication, préférant attribuer les concessions de gré à gré. Ce procédé sera d'ailleurs critiqué : parlant du traité pour le prolongement de la rue de Rennes, Antide Martin déclare qu'il a été passé « sans publicité ni concurrence sérieuse, ainsi que les choses se pratiquaient alors au grand détriment de l’intérêt municipal »185.

Le traité de concession pour le prolongement de la rue de Rennes est signé le 3 mai 1866, soit environ trois mois avant la prise du décret d'ouverture de la voie et près de deux mois avant que la société concessionnaire, « Thome et Compagnie (rue de Rennes) », ait une existence légale186. On ignore si cette précipitation apparente est ordinaire ou si elle manifeste le désir de l'administration d'accomplir cette opération dans un délai ramassé. Ce traité est autorisé par arrêté préfectoral du 29 mai 1866187. Les treize articles dont il se compose règlent les conditions, avant tout financières188, selon lesquelles l'entreprise doit se dérouler. Huit jours après l'approbation du traité par le conseil municipal, Thome et Compagnie s'oblige à verser un million de francs de cautionnement à la Caisse de travaux de Paris. Puis, dans la quinzaine qui suivra l'approbation, la compagnie concessionnaire devra verser 15 millions à la Caisse, somme destinée à l'exécution de la première section, de la rue de Vaugirard à la rue du Vieux-Colombier, le montant du versement relatif à la seconde section n'étant pas notifié (art. 6). La société concessionnaire fera l'acquisition des immeubles nécessaires à l'exécution de l'opération, soit à l'amiable, soit par la voie de l'expropriation189 (art. 1er). Les immeubles acquis préalablement par la Ville, en vue du percement, seront livrés aux concessionnaires contre remboursement des sommes qu'elle aura payées à titre d'indemnités foncières et locatives. En outre, ils rembourseront la Ville de la valeur des terrains à provenir, tant d'immeubles communaux démolis que d'anciennes voies supprimées à raison de 200 F le mètre carré (art. 2). Enfin, les concessionnaires feront l'avance de tous les frais de viabilité de la voie nouvelle (nivellement, chaussée, égouts, conduites d'eau, éclairage) ainsi que des parties en retour sur les voies latérales, sans qu'un devis n'en fixe le montant. Cette avance sera réglée dans l'année qui suivra la remise de la voie (art. 4).

Pour sa part, la Ville s'engage à verser une subvention calculée à raison de 1 375 F par mètre carré de terrain livré à la voie publique. La superficie totale à livrer à la Ville devant être de 24 904,07 m², la somme à recouvrer par le concessionnaire est de 34 243 096,25 F. Observons que le montant de cette subvention figure en quatrième position de la liste de vingt-sept traités dressée par Pierre Pinon (avec des sommes pouvant atteindre 63,6 millions pour la rue Réaumur et 81 millions pour la rue de Turbigo)190. Cette subvention sera payable en cinq annuités avec intérêts à compter du 15 janvier 1871. La Ville remboursera, avec 5% d'intérêts, le cautionnement versé par la société concessionnaire lorsque celle-ci aura réglé l'avance des frais de viabilité (art. 6). Enfin, la Ville s'engage à rembourser l'avance effectuée par la société pour les frais de viabilité, avec 5% d'intérêts, au même rythme que le paiement de la subvention (art. 4).

Si les études préalables à l'opération et le décret de prolongement portent bien sur un tracé compris entre le carrefour Rennes-Vaugirard et la Seine, le traité de concession, lui, ne s'attache qu'à la réalisation d'une portion du percement projeté191. Sans doute la société concessionnaire est-elle à l'origine de ce fractionnement, le préambule du traité stipulant que « MM. Thome et Cie ont proposé de se charger de la section de la rue de Rennes comprise entre la rue de Vaugirard et la place Saint-Germain-des-Prés et abords ». Une logique de profit, teintée de prudence et de pragmatisme, a pu présider à ce choix, étant évident que l'expropriation des immeubles situés au nord de l'église aurait un coût bien supérieur à celle des maisons de l'ancien bourg abbatial et des jardins conventuels de la rue d'Assas. En outre, le fractionnement de l'opération a sans doute agréé à l'Administration qui, selon la presse, craignait « que les travaux de démolition et de percement [de la rue de Rennes et du boulevard Saint-Germain] ne puissent être achevés avant l'époque de l'ouverture [de l'Exposition universelle de 1867], et l'on ne voudrait pas que les étrangers pussent voir une grande partie du faubourg Saint-Germain dans l'état où se trouve actuellement l'espace compris entre les rues de la Monnaie, des Bourdonnais, de Rivoli et le quai de la Mégisserie »192. Ils ignoraient alors combien ce choix allait déterminer, d'une manière définitive, l'agencement de la rue de Rennes.




Joseph Thome qui jouera, en tant que concessionnaire, un grand rôle dans le percement du second tronçon de la rue de Rennes. Portrait par Léon Bonnat en 1892.
 
La carrière et la personnalité de Joseph Thome, signataire du traité de concession, n'ont pas suscité l'intérêt des historiens de Paris, bien que cet entrepreneur ait contribué notablement à la transformation physique de la capitale et que son parcours illustre parfaitement le bénéfice économique, social et politique que cette catégorie d'entrepreneurs a su retirer de la politique de grands travaux menée sous le Second Empire193. Gardois, fils d'un chaudronnier sans fortune194, Thome semble s'être fixé à Paris en 1831 pour y exercer la profession de tailleur de pierre195. Il y épouse Anne-Eugénie Leleu, le 28 octobre 1838, à la mairie de l’ancien VIIe arrondissement196. Le couple n'établit pas de contrat de mariage, aussi ignorons-nous la situation financière des époux, sans doute médiocre197. Toute différente est la position de l'entrepreneur au jour de son décès, survenu en son hôtel parisien, 64, avenue d’Iéna, le 7 août 1896, à l’âge de 86 ans198. Aux termes d'un premier partage199 et de la liquidation définitive de la communauté200, la fortune du défunt, s'élevant à quelque 48 213 744, 27 F, grevée d'aucun passif, repose autant sur la pierre que le papier201. Si elle n'atteint pas les 60 millions qu'avancent certains chroniqueurs202, l'ampleur de la masse successorale ne laisse de surprendre, eu égard aux débuts si modestes du personnage203. Cette fortune ne repose pas, bien entendu, que sur l'opération qu'il mena rue de Rennes, mais sur une activité soutenue qui l'occupa, jusqu'à un âge avancé, dans le domaine de la voirie et de la bâtisse et dont l'histoire reste à écrire. Observons seulement que, lorsqu'il signe le traité de concession relatif au prolongement de la rue qui nous intéresse, Thome est déjà lié à la Ville par deux traités concernant la transformation du quartier de Chaillot204, établis les 21 mars et 17 juin 1864205. L’année-même de la signature du traité relatif à la rue de Rennes (1866), l’entrepreneur conclut, en avril, un traité concernant l’ouverture de l’avenue Bosquet206 et, en juillet, un nouveau traité touchant l'actuel XVIe arrondissement207.

Pour la conduite de chacune de ces entreprises, y compris pour le prolongement de la rue de Rennes, Thome s'entoure d'associés réguliers issus du monde de la haute finance. La société en commandite « Thome et Compagnie (rue de Rennes) », avec laquelle le traité de mai 1866 est établi, est constituée les 25 et 29 juin 1866, bien que, de l'aveu de ses membres, elle ait été formée entre eux dès le 1er mai208. Thome, à qui seul appartiennent la gestion et la signature, s'associe à Isaac Édouard Hentsch (1829-1892), banquier parisien d'origine genevoise209, et Frédéric Grieninger (1815-1888), homme d'affaire autrichien installé en France de longue date, l'un des piliers du groupe Pereire210. Mais le commanditaire le plus important de Thome est Raphaël de Ferrari, marquis de Ferrari, duc de Galliera (1803-1876), l'un des personnages les plus marquants du siècle211. L'article 5, relatif à la durée de la société, prévoit qu'elle prendra fin le 31 décembre 1869212. Le fonds social est fixé à 12 millions de francs, producteurs d'intérêts à 6%, divisés en cent-vingt parts dont 47,5% reviennent au duc de Galliera (5,7 millions), 31,66% à Hentsch (3,8 millions), 12,5% à Grieninger (1,5 million) et 8,33% à Thome (1 million). Les contractants déclarent qu'il y aura lieu de procurer des fonds en dehors du capital social en empruntant au Crédit foncier de France les 15 millions que la société doit verser à la Caisse des travaux de Paris pour la réalisation de la première section du tracé. Enfin, l'article réglant la participation aux bénéfices porte qu'après paiement complet, tant des emprunts que des frais, l'actif net sera réparti de la manière suivante : 75% seront divisés en cent-vingt parts composant le fonds social et répartis entre les associés selon leurs mises respectives. Les 25% restants seront attribués à Thome « comme émolument attaché à son industrie et à ses travaux ».



Les préparatifs du prolongement de la rue de Rennes débutent avant-même la signature du décret. L'avant-projet du nivellement général de la rue est, en effet, achevé dès les premiers jours de juillet 1866213. Aux yeux de son auteur, l'ingénieur ordinaire Bertin, sa mise en oeuvre, « tout en ne présentant aucune déclivité égale à celle de la partie déjà ouverte et tout en satisfaisant, dans les parties droites, aux conditions désirables de perspective, n'entraînera aucun bouleversement grave des quartiers traversés »214. Lorsqu'il en prend connaissance, l'ingénieur en chef Vaissière ne partage pas ce sentiment ; les différences de niveau entre la nouvelle voie et les rues du Sabot, du Four et Bernard-Palissy sont trop marquées, mais sans doute est-ce là « un sacrifice nécessaire » puisque tout imparfait qu'il soit, ce projet ne semble guère améliorable, sauf intervention d'Haussmann, lequel « verr[-ait] s'il [doit] imposer à la Ville de plus grands sacrifices »215. Bertin s'inquiète par ailleurs « d'une modification très importante dans le tracé de la rue » qui serait envisagée pour « laisser intacte la chapelle dite des Martyrs située dans le jardin du couvent des Carmes près de la rue d'Assas ». Renseignements pris, aucune modification n'est envisagée216.

Après réalisation de l'avant-projet, Bertin étudie, puis finalise le 9 avril 1867, le profil en long de la voie nouvelle, entre la rue de Vaugirard et la rue de l'Abbaye217, les études ne concernant désormais plus que le tronçon concédé. La voie consistera en une chaussée large de 12 m, présentant une zone empierrée de 5 m comprise entre deux revers de pavés de 3,50 m. Les trottoirs auront chacun 5 m de largeur et seront en granit. La viabilisation de la rue est estimée à 805 000 F218, selon le devis validé le 15 juillet par arrêté préfectoral219. L'administration règle ensuite quelques détails tels que la forme à donner au carrefour des rues de Rennes, Madame et du Four, ou encore l'alignement de la rue du Four, entre les rues de Rennes et Bonaparte220.

Le plan parcellaire et le tableau indicatif des propriétés à exproprier pour effectuer le percement sont publiés le 8 juillet 1866. Cent dix lots sont concernés par l'opération, dont douze faisant seulement l'objet d'une expropriation partielle221. Avec une célérité remarquable, Thome procède, à l'amiable, à soixante-seize acquisitions d'immeubles, entre le 30 janvier et le 11 octobre 1867222. Quant aux expropriations arbitrées par un jury, un premier train de décisions concernant la section rue de Vaugirard-rue du Vieux-Colombier a lieu à la fin du mois de janvier 1867 : seize immeubles et soixante-sept locataires sont concernés223. Les décisions portant sur la seconde section sont prononcées entre le 19 juillet et le 1er août suivant224. Dix-huit propriétaires et cent cinquante-sept locataires sont indemnisés. Tout porte à croire que Thome s'est évertué à tirer le plus possible vers le bas le coût des expropriations. À preuve, le décalage existant entre les sommes offertes par la compagnie concessionnaire et les indemnités accordées par le jury pour la première section : les offres portant sur les indemnités foncières (1 262 615 F, soit 173, 40 F/m²) ne représentent que 43,7% du montant de celles accordées (2 886 900 F soit 396,47 F/m²). Le décalage est plus flagrant encore pour les indemnités locatives : les offres sont cinq fois moins élevées que la somme octroyée (439 800 F contre 2 199 950 F). L'exemple le plus frappant est sans doute celui de la célèbre manufacture d'orgues, située 94-96, rue de Vaugirard225 : Thome ne propose à son propriétaire, Aristide Cavaillé-Coll, que 65 000 F tandis que l'indemnité locative est fixée à 500 000 F226 ! Cet écart existant entre offres et décisions du jury à l'issue de la session de janvier 1867 conduit Thome à se pourvoir en cassation le 13 février227. Toutefois, « forcée par la clameur publique », la compagnie concessionnaire retire son pourvoi en avril228. Ces procédés ont sans doute ému l'opinion ; certains propriétaires n'ont pas hésité, d'ailleurs, à mettre en cause l'intégrité de l'entrepreneur, accusé d'employer « les insinuations perfides et même la calomnie » et d'user « de tous les moyens licites ou illicites, pour dissimuler, amoindrir la valeur réelle » des maisons à exproprier229. De même, durant l'année 1867, un nommé Leprince, demeurant rue du Four puis rue de l'Abbaye, n'a eu de cesse de dénoncer le profit que Thome et Compagnie faisait au détriment de la Ville et du public230.

Pour opérer les démolitions nécessaires, Thome fait appel à des entreprises extérieures. Pour la première section, il conclut, le 30 mars 1867, un traité avec Hyacinthe Lesieur. L'entrepreneur sous-traitant doit se charger à ses frais des démolitions, dans un délai de deux mois à compter du 20 avril, en échange de la propriété des matériaux231. Pour la seconde section de ce tronçon, un traité sans doute similaire a été passé avec Hubert Pierquin ; il n'a pas été retrouvé.



Selon les termes du traité de mai 1866, l'opération doit être achevée dans un délai de trois ans, du jour de l'approbation du conseil municipal (art.3) ; aussi les travaux débutent-ils immédiatement. La Ville procède, dès la signature du traité, à la démolition de cinq des maisons dont elle est propriétaire232. À en croire la presse, l'ouvrage ne reprend qu'en avril 1867, au niveau du carrefour Rennes-Vaugirard233. La marche des travaux est rapide : début mai, les numéros impairs de la rue du Vieux-Colombier tombent sous les coups répétés des démolisseurs234. À la fin du mois, c'est au tour de la chapelle des Martyrs de disparaître235. Le 1er août, les démolitions de la première section sont achevées et on nivelle la voie pour la livrer aux piétons236 ; celle-ci est totalement achevée en septembre 1867237. Le Moniteur annonce alors pour le 15 octobre l'ouverture de la seconde tranche des démolitions, de la rue du Vieux-Colombier à la place Saint-Germain-des-Prés238. À la veille de l'échéance, le journal donne une description vivante des préparatifs : « Tout se prépare pour l'ouverture prochaine d'une nouvelle section de la rue de Rennes. (...) Dans tout le quartier où la rue de Rennes doit se frayer un passage, on ne voyait aujourd'hui que déménagements, et les maisons atteintes par l'expropriation ne tarderont pas à être livrées aux démolisseurs. »239

Au cours de cette phase, Thome rencontre quelques complications. Par facilité, les entrepreneurs chargés de la démolition ont négligé de respecter le niveau fixé pour la hauteur des remblais. Aussi, le 8 janvier 1868, la Ville menace-t-elle Thome de répercuter sur lui les sommes engagées par l'administration pour le déblaiement. Ses protestations n'ayant fait qu'affermir la position de la Ville, le concessionnaire finit par s'engager à acquitter le montant de la dépense que nécessiterait le transport aux décharges publiques de 2 200 m3 de gravas240. Autre imprévu, Thome avait promis de livrer la seconde section le 1er janvier 1868 ; or, le 23 de ce mois, dix-sept maisons restent encore à démolir, dont une est toujours habitée. Malgré cela, l'entrepreneur responsable de l'aménagement des égouts intervient dès le 13 janvier, et besogne au milieu des travaux. Finalement, les opérations de démolition et de nivellement sont achevées le 31 mars 1868, soit trois mois après la date sur laquelle Thome s'était engagé241.


Superposition du tracé de la rue de Rennes avec le parcellaire antérieur entre la rue du Vieux-Colombier et la rue Dufour. La densité des immeubles, étroits et hauts, y était la plus élevée du parcours. Cliché Yoann Brault, schéma Baptiste Essevaz-Roulet.

Les travaux de viabilité suivent de peu le nivellement242. Ainsi, le 26 mars 1868, la presse observe qu'entre la rue du Vieux-Colombier et la place Saint-Germain-des-Prés, « les bordures des trottoirs y sont alignées, les candélabres d'éclairage installés ou peu s'en faut, et d'ici peu de jours, la chaussée de la voie, pourvue de ses revers en pavé de granit, dûment cylindrée au milieu, sera accessible aux voitures »243. Cependant, le constat de la presse ne vaut pas pour la place Saint-Germain-des-Prés dont le nivellement n'a pas encore eu lieu, le service de la voirie et celui des égouts étant encore en discussion quant au niveau à donner au dernier tronçon de la rue de Rennes, entre la place et le quai. Cette intervention est plusieurs fois reportée, bien que de nouvelles maisons s'élèvent en bordure de la place244.

Les rues "obscures et insalubres" qui disparaissent avec le percement de la rue de Rennes : la rue Beurrière (en haut) et la rue Neuve-Guillemin (en bas).


L'achèvement total des travaux semble être intervenu le 24 mai 1870245. Au cours de ces trois années de chantier, passants et auteurs se sont enthousiasmés de « la fourmilière de travailleurs que met en mouvement la démolition du vieux Paris »246. On applaudit à l'anéantissement des rues Beurrière, Neuve-Guillemin, de l'Égout ou du Sabot, « ruelles obscures et insalubres [...où] s'étaient réfugiées ces industries qui recherchent l'ombre »247. Quelle a dû être la surprise des Parisiens en découvrant l'église Saint-Germain, totalement offerte au regard au moyen de la percée !




Le dégagement de l'église Saint-Germain-des-Prés en 1868 lors de la démolition des derniers immeubles nécessaire à l'achèvement de la rue de Rennes a beaucoup impressionné les Parisiens comme en témoigne le grand nombre de représentations artistiques de l'apparition de l’église dans la perspective du percement. Clichés Baptiste Essevaz-Roulet.


Cependant, le panorama qui s'était inopinément ouvert devait se refermer à mesure de l'édification des nouveaux immeubles. Les éminences sur lesquelles l'ancien bourg Saint-Germain s'était assis, à l'abri des crues du fleuve, sont quant à elles radicalement nivelées. Le « mamelon » de Saint-Germain-des-Prés est arasé, la place devant l'église est abaissée d'un mètre et, au contraire, la dépression située entre les rues Bernard-Palissy et du Sabot est comblée et rehaussée de près de deux mètres248. L'exécution du décret de 1866, dans les limites fixées par le traité de concession, a bouleversé la figure de tout un quartier sous un double aspect, physique et topographique. Encore que, durant quelques années encore, son application demeure imparfaite : le prolongement de l'impasse d'Assas (auj. rue Coëtlogon) et celui de la rue du Gindre (auj. Madame) ont été réalisés sans comprendre leur élargissement, comme celui aussi, de la rue du Four249.


Reconstitution du terrassement lié au percement de la rue de Rennes entre la rue du Vieux-Colombier et l'église Saint-Germain-des-Prés. Le relief de plus de 3 m à cet endroit a été considérablement réduit. A droite, une photographie de la rue de l'Egout, grosso modo, de l'actuel boulevard Saint-Germain en direction de Montparnasse, avant d'être absorbée par la rue de Rennes : on voit la forte pente de la rue. Schéma Baptiste Essevaz-Roulet.

Il est délicat et risqué de dresser avec certitude un bilan financier de l'opération de la rue de Rennes, car nous ne disposons pas d'une documentation comptable suffisamment complète pour avoir une connaissance certaine de cet objet. Selon le journaliste G. d'Avenel, la rue de Rennes fut ouverte au préjudice de Thome (« les frais dépassèrent le prix de vente des terrains »)250. Un avis plus concerné permet de douter de cette première appréciation ; celui d'Antide Martin, rapporteur de la 3e commission pour la voirie de Paris auprès du conseil municipal, lequel présume, en novembre 1879, que l'opération « a dû procurer de grands profits »251 à ses responsables. L'exploitation des sources disponibles semble confirmer cette seconde opinion.

Les acquisitions de Thome, opérées à l'amiable pour le tronçon de la rue de Rennes, compris entre la rue de Vaugirard et celle de l'Abbaye, ont coûté 15 166 850 F à la compagnie252. Les indemnités fixées par le jury d'expropriation, tant locatives que foncières, s'élèvent à 5 086 850 F pour la première section et 6 262 850 F pour la seconde253. Par conséquent, Thome et ses associés ont dû débourser quelque 26 516 550 F pour rassembler les terrains nécessaires à la réalisation du prolongement. Il faut ajouter à cette somme les indemnités locatives réglées à l'amiable et la dépense occasionnée tant par la rétrocession des propriétés acquises par la Ville, préalablement à l'opération, que celle des rues supprimées, sur lesquelles on ne sait rien. Au titre des dépenses viennent encore s'ajouter les frais de viabilité, arrêtés à 805 000 F254. En chiffres ronds, la rue de Rennes n'aura pas coûté beaucoup plus de 30 millions à la compagnie. Le paiement de la subvention, augmentée des intérêts, a procuré 41 223 159,15 F de rentrée255. Quant à la vente des terrains bordant la voie, les trente-huit contrats que nous avons localisés, passés entre 1868 et 1881, permettent de chiffrer le bénéfice à 5 387 706,50 F. Observons en outre que Thome demeure propriétaire de certains lots sur lesquels il perçoit des loyers. Au moment de son décès, il possède encore les immeubles nos 43, 55 et 105, estimés ensemble à 1 345 000 F. L'entreprise a donc été très certainement profitable – on l'estime à une dizaine, peut-être une quinzaine de millions de francs, répartissables entre les différents associés, selon les modalités déjà exposées.



Le rythme frénétique auquel s'étaient succédé, en 1866, les décisions relatives aux opérations de voirie s'infléchit brutalement après la clôture de l'Exposition universelle de 1867. Les raisons de ce décrochage sont bien connues : la politique qu'avait poursuivie Haussmann reposait, dans les faits, sur une confiscation à son profit des pouvoirs décisionnels. Le conseil municipal, nommé et non élu, n'avait d'autre tâche que de « l'aider, non le contrecarrer », ses délibérations ne bénéficiaient quasiment d'aucune publicité et le budget demeurait confidentiel ; en outre, le préfet jouissait du plus parfait soutien de l'empereur ; ainsi avait-il pu agir souverainement. Toutefois, au cours des années 1860, les résistances exercées par les grands corps de l'État et par certains ministres se font de plus en plus pesantes, tandis que l'opposition politique se radicalise. L'imprévoyance dont s'était rendu coupable le préfet, ainsi que ses opérations aux limites de la légalité, que dénonce Jules Ferry dans ses Comptes fantastiques (1868), achèvent d'échauffer les esprits et contraignent le haut fonctionnaire à justifier son action devant le parlement. Le système financier qu'il avait mis en place a atteint ses limites, les finances de la Ville sont dangereusement obérées. La critique ne vise pas uniquement le coût des travaux engagés et l'irrégularité de leur financement, mais encore l'incohérence des choix opérés par le préfet.

Ainsi, le 23 février 1869, Thiers, depuis la tribune du Corps législatif, déplore la réalisation de « tant de choses inutiles » (avenue de l'Opéra, boulevard Haussmann...) tandis que rien n'a été fait pour conduire la rue de Rennes jusqu'à la Seine : « Elle avait son utilité ; mais du moins aurait-il fallu la faire aboutir jusqu'au quai. Eh bien, non ; on avait autre chose de plus pressant à exécuter. Toujours est-il que la rue de Rennes, en partant de l'embarcadère de l'Ouest, s'arrête à la rue Jacob [pour rue de l'Abbaye], et qu'il faudra plus tard deux embranchements pour la conduire jusqu'à la Seine. À l'heure qu'il est, les 465 millions des bons de délégation étant dépensés, la rue de Rennes reste un véritable cul-de-sac, et tandis qu'on la laisse à moitié chemin, on entreprend cette portion du boulevard Saint-Germain et de la rue Solferino qui pénètre à peine dans l'intérieur du faubourg Saint-Germain. Ainsi, d'une part, la rue de Rennes s'arrête avant d'aboutir à la Seine, et, d'autre part la rue de Solferino s'arrête à l'entrée de ce faubourg ; et sur les 465 millions dépensés, rien n'aura été fait de vraiment profitable pour cette région, et il faudra qu'elle attende de nouveaux emprunts avant d'obtenir satisfaction. »256 Malgré la tourmente, en effet, l'exécution complète des termes du décret de juillet 1866 fait l'unanimité, c'est du moins l'opinion que défendent à la fois le ministre conservateur Rouher (26 février 1869)257 et Adolphe Guéroult, député de l'opposition. Ce dernier expose que, malgré les 465 millions de dettes de la Ville, la rue de Rennes et le boulevard Saint-Germain ne peuvent rester inachevés, car « les propriétaires des maisons qui se trouvent sur le parcours projeté (...) ne peuvent être laissés dans l'incertitude où on les tient et qui les empêche de faire des baux, de contracter aucun engagement à long terme » (6 mars 1869)258. Pour d'autres, il en allait de la probité du gouvernement, tel Lefèvre-Duruflé lorsqu'il déclare « sur la rive gauche où s'élèvent les palais de la Chambre des Députés et du Sénat, que d'entreprises sont nécessairement à terminer ! C'est à peine si le jour vient d'être fait dans les alentours meurtriers de la Croix-Rouge et aux abords de l'église Saint-Germain-des-Prés. La rue de Rennes attend son indispensable débouché vers la Seine et vers le pont qui l'unira au Louvre. (…) C'est donc notre mission de recueillir et d'invoquer les assurances que le gouvernement a données de l'achèvement des travaux entrepris »259. L’allocation des 34 024 600 F nécessaires à la réalisation de ce projet semble cependant inenvisageable alors que s’amorce la liquidation de la gestion d'Haussmann260.

Contraint d'agir a minima, Haussmann, dans un mémoire relatif au budget de l'exercice 1870 qu'il présente au conseil municipal, le 30 octobre 1869, affecte 9,6 millions au service de la voirie, somme comprenant celle de 8 millions qu'il qualifie de « sorte de réserve » dont le montant sera employé « à exécuter des opérations de voirie de médiocre importance, qui n'en sont pas moins demandées avec une grande ardeur par les intéressés comme la conséquence de travaux déjà faits, telles que le raccordement de la rue du Four avec la rue de Rennes et la régularisation des abords de la place Saint-Germain-des-Prés si la réalisation des ressources prévues s'opère dans des conditions satisfaisantes, mais dont l'abandon en fin d'exercice servira, dans le cas contraire, à balancer les mécomptes que la recette pourrait subir »261. Ainsi l'intention du préfet est alors, non pas de donner un prolongement à la rue de Rennes, mais seulement de parfaire la réalisation du deuxième tronçon ; encore cette opération est-elle subrogée aux performances de la recette. Selon Alphand, le projet évoqué par le préfet, rendu nécessaire par la situation de la rue du Four, consiste en l'achat de deux maisons formant le coin de la rue de Rennes, qui n'ont plus d'accès que par des escaliers provisoires, et en l'élargissement par voie d'expropriation du côté des numéros impairs. Avec l'acquisition de deux autres immeubles qui restent à acheter, rue du Vieux-Colombier, ce travail représenterait une dépense de 4 millions262. Cependant, quels que soient ses projets et ses prévisions, Haussmann n'a pas l'heur de les voir se réaliser ; il est destitué le 5 janvier 1870.


Le futur préfet Chevreau photographié par le studio Nadar en 1865.
 
Le 17 février 1870, le nouveau préfet de la Seine, Julien-Théophile-Henri Chevreau, présente au conseil municipal un mémoire relatif à la situation financière de la Ville et à la rectification de son budget extraordinaire, voté l'année précédente (15 novembre 1869), mais rejeté par la section de l'Intérieur du Conseil d'État263. Donnant « une satisfaction à peu près complète aux personnes qui ont combattu les vices de l'ancien système »264 (Léon Say), le successeur de l'infortuné baron préconise une nouvelle émission d'obligations municipales, formant une deuxième série de l'emprunt contracté par la Ville en 1869. Les 250 millions rendus ainsi disponibles permettraient, en y ajoutant le produit des impôts, d'éteindre le passif de la Ville (50 millions), de pourvoir à divers travaux d'édilité (128,5 millions, pour la construction d'édifices municipaux, plantations, canalisations...) et de dégager une somme de 82 millions destinée à achever, en sept années, les grandes entreprises de voirie commencées sous l'administration précédente. Sur ce dernier objet, Chevreau observe que « bien que ces travaux ne soient pas tous positivement obligatoires, leur achèvement est à mes yeux une nécessité municipale (…) leur ralentissement compromettrait le capital engagé et serait, pour les entrepreneurs, un légitime sujet de plaintes (…). L'ensemble de ces travaux est une charge du passé que l'avenir doit accepter, une véritable dette morale dont les budgets prochains sont tenus d'assurer le règlement (…). Nous devons tenir à honneur d'achever avec prudence, mais persévérance, des entreprises de grande voirie en cours d'exécution »265.

Malgré ce volontarisme affiché, le nouveau préfet reste vague quant à la nature des travaux à réaliser, évoquant prudemment « une combinaison que j'étudie en ce moment [qui permettrait de] mener à bonne fin de grandes entreprises de voirie déjà commencées, et un ensemble de travaux complémentaires [ceux de la zone annexée] dont la non-exécution laisse en souffrance des intérêts auxquels il importe de donner satisfaction »266. Léon Say, lecteur attentif du mémoire de Chevreau, veut y voir le prolongement de l'avenue de l'Opéra, du boulevard Saint-Germain, du boulevard Haussmann, « et peut-être la continuation de la rue de Rennes et l'ouverture des lacunes de la rue Réaumur »267. Une autre source ne fait même pas état de la rue de Rennes268.

La double proposition de budget et d'emprunt présentée par le préfet est validée par le conseil municipal, le 23 février 1870. Toutefois, modifié de nouveau, le budget doit être sanctionné par un second vote le 29 mars suivant. La rectification dont il fait l'objet permet de porter la « réserve » de 82 à 94 millions. Léon Say conjecture alors : « C'est avec ces 94 millions qu'on pourra faire, si on le juge à propos, les travaux de la rue de Rennes, de l'avenue Napoléon [auj. de l'Opéra], de la rue Réaumur, du boulevard Saint-Germain. »269 Mais, une fois encore, aucun élément, pas même le projet de loi autorisant la Ville à émettre l'emprunt de 250 millions, ne mentionne un tel programme270. Say se fait sans doute l'écho du gouvernement qui, selon la presse, souhaite que ces quatre voies soient achevées271. Tout porte à croire que cette position s'est conformée à l'opinion publique qui réclamait à grands renforts de pétitions adressées tantôt à l'administration municipale, tantôt au gouvernement ou au Corps législatif la reprise complète des travaux, au nom de la prospérité de certains quartiers de Paris, des exigences de la circulation, des intérêts du commerce et des besoins de la population ouvrière dont on craignait un soulèvement. Annoncer la réalisation de tels projets revenait à combattre les inquiétudes qui pesaient sur les intérêts engagés, soit dans les entreprises du bâtiment, soit dans un certain nombre d'industries qui sont liées à ces entreprises, et qui subiraient une grave perturbation si elles devaient être brusquement interrompues. Il est décidé finalement que la question sera portée au Corps législatif qui pourra choisir entre les divers projets272.

Toutefois, la commission parlementaire chargée d'examiner et de régler la situation financière de la Ville, formée en avril 1870, tarde à trouver un accord. Bien qu'un de ses membres assure que « le sentiment unanime de la commission est d'achever les travaux si cela est possible »273, force est d'admettre que les ressources manquent. Même avec les 250 millions, il n'est pas possible d'aborder de front les quatre entreprises de grande voirie (234 866 500 F dont 34 024 600 F pour l'achèvement de la rue de Rennes)274 que la population réclame. En outre, prenant le contrepied des pratiques dont usait son prédécesseur, Chevreau refuse de prendre un parti qui ne soit revêtu de l'autorisation de la Chambre et se montre moins hardi qu'il ne l'avait été, en février, devant le conseil municipal. Il estime désormais « qu'au point de vue administratif et financier il serait plus prudent de tout laisser là »275.

Cette indécision nourrit l'impatience du public et de la presse : « Que la commission du Corps législatif, au lieu de délibérer dans un des bureaux de la Chambre, se porte sur le terrain. Qu'elle examine la condition faite (…) des personnes qui demeurent dans les nouvelles maisons de la rue de Rennes. (…) La rue de Rennes, appelée à rattacher le chemin de fer de l'Ouest aux quartiers vivants et populeux du centre de la ville, est encore sans issue. De la rue des Saints-Pères à la rue Dauphine, aucun passage ne s'ouvre pour traverser la Seine. Cette situation-là ne peut pas être maintenue. La responsabilité de la Ville qui a entrepris les premiers travaux, celle de l'État qui les a encouragés, et celle des Chambres qui les ont autorisés en votant des emprunts, s'y trouvent engagées d'une telle façon que l'on ne peut renier ces promesses sans une flagrante violation de la justice. »276

Le 24 juin 1870, Chevreau, mesurant malgré tout la portée politique de la question des grands travaux, soumet à la commission parlementaire une offre surprenante. Il propose de confier à des compagnies l’exécution de grands travaux qui ne seraient payés qu’à partir de 1877277. On peine donc à sortir du système instauré par Haussmann. Aussi l'un des membres de la commission condamne cette proposition comme ayant « le double inconvénient d'être un emprunt et de reproduire les combinaisons les plus justement critiquées de l'administration précédente »278. La situation ne peut être débloquée que par l'intervention du ministre de l'Intérieur qui, le 29 juin 1870, présente à la commission un nouveau plan financier pour la Ville, lequel prévoit un supplément d'emprunt de 130 millions « qui seraient principalement consacrés à des percements, le boulevard Saint-Germain, entre la place de l'Abbaye et le boulevard Saint-Michel, et l'avenue Napoléon ». Ainsi le gouvernement renonce-t-il à entreprendre les quatre grandes opérations programmées, le ministre estimant « qu'il vaut beaucoup mieux achever deux percements que d'en commencer quatre »279.

Le 30 juin, le conseil municipal est invité à délibérer sur l'emprunt complémentaire s'élevant non plus à 130 mais à 140 millions. Approuvant ce projet, ses membres décident que 39 millions seront affectés aux « travaux complémentaires » et 101 millions à de grands percements. Mais, de nouveau, cette somme ne pouvant suffire à l'achèvement des quatre grandes voies, ils optent pour leur réalisation partielle afin de donner satisfaction aux intérêts des divers quartiers qui réclament avec une égale impatience l'exécution de ces travaux. En conséquence, ils ne votent que l'ouverture de la branche orientale de la rue de Rennes, jusqu'au quai Conti, à laquelle ils consacrent 20 millions de francs280. Le 4 juillet, le gouvernement dépose un projet de loi portant fixation du budget des recettes et dépenses extraordinaires de la Ville de Paris pour l'exercice 1870. L'article 2 prévoit que la Ville sera autorisée à émettre « le nombre d'obligations nécessaires pour se procurer une somme de 660 millions de francs remboursables en soixante années, à dater du dernier versement de cet emprunt ». Le produit de cette émission sera employé jusqu'à concurrence de 140 millions à l'exécution de nouvelles sections de la rue de Rennes, mais aussi du boulevard Saint-Germain, de la rue Réaumur, de l'avenue de l'Opéra « et autres opérations » (art. 3)281.

La commission parlementaire poursuit son travail délibératif ; le 6 juillet, elle vote, par 9 voix contre 7, l'adoption de l'emprunt complémentaire de 140 millions. Pour autant, l'emploi de cette somme fait toujours débat, car ses membres ne partagent pas les vues du conseil municipal qui a voté la réalisation partielle des quatre percements. La commission persiste, en effet, à préférer la réalisation complète de deux percements. Seul l'un de ses membres, Thoenet de La Thumelière, défend l'achèvement de la rue de Rennes. Après beaucoup d'hésitations282, le consensus se fait autour du prolongement du boulevard Saint-Germain et de l'avenue Napoléon. Pour finir, le 9 juillet 1870, les membres de la commission passent au vote : l'emploi des 140 millions porte, pour la rive gauche, sur le prolongement du boulevard Saint-Germain (12 voix contre 4, c'est dire si la rue de Rennes était distancée !) et, pour la rive droite, sur l'avenue Napoléon (10 voix contre 6). Il est néanmoins entendu « qu'un voeu et une remarque seront insérés au rapport en ce qui touche la rue de Rennes et la rue Réaumur »283.

Reste encore l'étape du vote de la Chambre. Cependant, les bouleversements politiques survenus quelques jours plus tard (la France ayant déclaré la guerre à la Prusse, le 19 juillet), la loi votée le 23 juillet, approuvant le budget municipal extraordinaire, suspend tout emprunt. La Ville n'est seulement autorisée qu'à employer « provisoirement » 78 millions de francs provenant de l'emprunt, et à créer 63 millions de bons de la Caisse municipale284. Le sort de la rue de Rennes demeure en suspens pour quelque temps encore.








123Léon de Laborde, Projet pour l'amélioration et l'embellissement du Xe arrondissement, Paris, 1842.

124BnF, 4-FM-24829. Nous soussignés propriétaires rues de Seine, Mazarine, des Beaux-Arts et des Marais, Paris, 1846.

1251840 : la commission officieuse des propriétaires et habitants du Xe arrondissement propose l'ouverture d'une rue allant de la place Saint-Sulpice à la Seine en passant entre l'Institut et l'hôtel de la Monnaie. De là, un pont jeté sur le fleuve entre ceux du Carrousel et des Arts permettrait au nouvel d'atteindre la rue de Valois. La rue de Nevers, au débouché du Pont-Neuf, viendrait se raccorder à la voie projetée. 1841 : Lanquetin propose l'élargissement de la rue du Four, et le prolongement de la rue de Nevers (élargie) jusqu'à la rue Jacob. 1841-1842 : Chantelot, chef des bureaux de la préfecture, fait étudier par ses services un « plan général des améliorations » à apporter à la voirie : trois grandes rues doivent atteindre, depuis le carrefour de la Croix-Rouge, le Pont-Neuf, le pont Saint-Michel et le pont de la Tournelle (par la rue des Fossés-Saint-Victor). 1842 : Perreymond propose le prolongement de la rue Madame à la rue du Four, de la rue de Nevers à la rue Jacob et de la rue Bonaparte jusqu'à la place Saint-Sulpice et un percement dans l'axe du pont des Arts. 1842 : Léon de Laborde propose une percée allant de la Halle au blé à la place Saint-Sulpice (à l'angle de la rue Bonaparte), traversant la Seine sur un nouveau pont et passant entre le chevet de l'église Saint-Germain-des-Prés et le marché Saint-Germain. 1843 : le Plan général d'ensemble de Meynadier prévoit une rue partant du carrefour des rues de Seine et Jacob vers les Invalides à l'ouest et la Halle aux vins à l'est. 1843 : Grillon, Callou et Jacoubet, architecte, entrepreneur et cartographe, proposent l'élargissement de la rue de Babylone, prolongée à travers l'Hospice des Ménages pour déboucher sur les rues de Sèvres, du Four, de Buci et Dauphine, également élargies, afin de conduire le flux en direction des Halles par le Pont-Neuf. 1844 : Victor Considérant opte pour une percée de la Croix-Rouge à la Monnaie avec le même pont que Laborde. 1844 : Hector Horeau reprend le projet de Laborde, en le complétant : l'architecte prévoit l'élargissement et le prolongement des rues de Nevers, Guénégaud, des Beaux-Arts, et l'ouverture d'une rue dans l'axe d'un nouveau pont pour atteindre la rue Saint-Honoré. Cette solution comprend la destruction presque totale de l'Institut. 1853 : Jacoubet propose de créer une « rue de Barcelone partant de la place de l'Abbaye à la place du quai Conti », rue qui « viendrait traverser le bâtiment simple en profondeur de l'Institut, sans nuire à cet édifice » et qui aboutirait en face d'un nouveau pont.

126Cité par Françoise Boudon, Hector Horeau (1801-1872). Supplément aux Cahiers de la Recherche architecturale, n° 3 (1979), p. 40.

127Revue municipale, n° 163 (16 janvier 1855), p. 1388.

128En juillet 1852, Lazare plaide pour l'élargissement de les rues du Four et Saint-André-des-Arts de sorte que la gare de l'Ouest soit en relation avec la place du pont Saint-Michel. Idem, n° 102 (16 juillet 1852), p. 835.

129Cette rue est alors longue de 150 m, sa largeur moyenne est de 3,30 m. Son élargissement, arrêté le 2 messidor de l’an VIII par le ministre de l’Intérieur, Lucien Bonaparte, avait été étudié de nouveau en 1826 par le préfet Chabrol puis présenté en 1840 par la préfecture de la Seine aux propriétaires du quartier de la Monnaie. Enfin, « en 1842 et surtout en 1843, le préfet, alors M. le comte de Rambuteau, s'était formellement engagé à faire élargir et prolonger la rue de Nevers immédiatement après l'exécution de la rue Saint-Germain-des-Prés prolongée ; les événements qui se sont succédé depuis ont seuls empêché, sans doute, la réalisation de cette promesse. ». Idem, n° 103 (1er août 1852), p. 841-842.

130Idem, n° 109 (1er novembre 1852), p. 885-886. Publication du mémoire présenté au prince-président le 17 mai précédent.

131Idem.

132« Il est aujourd’hui un nouveau [motif engageant la réalisation de ce projet], un puissant qui ajoute encore, s’il est possible, à l’importance, à la nécessité de l’élargissement et du prolongement de la rue de Nevers ; nous voulons parler de la communication entre le Pont-neuf et l’embarcadère de l’Ouest, qui intéresse à la fois le Xe et le XIe arrondissement, ou plutôt la rive gauche et la rive droite de la Seine, c’est-à-dire toute la capitale, et de plus les départements d’où elle tire ses principaux approvisionnements. » Idem, n° 103 (1er août 1852), p. 841-843.

133Architecte prolifique, Charles Brouty (1823-1885) publie plusieurs de ses projets dans la Revue municipale dont le directeur, Lazare, le tient en haute estime. Il est distingué par l’empereur « en récompense de sérieuses études concernant le plan d’ensemble de la ville de Paris ». Revue municipale, n° 228 (1er mai 1857), p. 1959. Il est fait chevalier de la Légion d'Honneur en 1865. AN, LH 376, dossier 24.

134Revue municipale, n° 103 (1er août 1852). Planche hors texte.

135Thierrée, ancien architecte et entrepreneur, fut délégué et secrétaire pendant neuf ans de la Chambre des entrepreneurs de maçonnerie, il demeurait rue du Four-Saint-Germain. Annuaire des lettres, des arts et des théâtres, Paris, 1846-1847, p. 326. Il est l'origine du passage Thierré, établi en 1837 entre la rue de Charonne et la rue de la Roquette. Félix et Louis Lazare, Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, Paris, 1844, p. 632.

136Revue municipale, n° 113 (1er janvier 1853), p. 921-922 et planche hors texte.

137Idem, p. 922.

138BHVP, actualités anciennes (22 juin 1852).

139« La rue de Rennes est le premier tronçon d'une grande artère qui portera la circulation jusqu'au fleuve par la rue de Nevers, élargie et transformée ». Revue municipale, n° 125 (16 juin 1853), p. 1018.

140« On sait que la création de cette artère doit être le premier tronçon d'une large rue qui, partant de l'embarcadère de la barrière du Maine, viendra déboucher en face le Pont-Neuf sur l'emplacement aujourd'hui occupé par la rue de Nevers. » Journal des débats politiques et littéraires (2-3 novembre 1853), p. 3.

141L'original de ce plan a disparu. Il est connu par une reconstitution que l'empereur adresse, en 1873, à Charles Merruau, secrétaire général de la préfecture de la Seine au début du Second Empire, afin d'être incluse dans ses Souvenirs de l'Hôtel de Ville de Paris, 1848-1852, Paris, 1875. Il porte la légende « Plan de Paris indiquant le tracé des voies nouvelles dont S. M. l'empereur Napoléon III a pris l'initiative ».

142Charles Merruau, op. cit., p. 373.

143L'original de ce plan a disparu. On peut s'en faire une idée grâce à la liste commentée de quarante-quatre voies projetées conservée dans les papiers du comte Henri Siméon. BAVP, Ms. 1782, fol. 211-214.

144Instituée par l'empereur le 2 août 1853, cette commission est censée élaborer des projets que le préfet serait chargé d'exécuter. Pierre Casselle a retracé la courte existence (août-décembre 1853). Pierre Casselle (éd.), « Commission des embellissements de Paris. Rapport à l'empereur Napoléon III rédigé par le comte Siméon », Cahiers de la Rotonde, n° 23 (2000).

145BAVP, Ms. 1782, fol. 211-214. Selon Pierre Casselle, ce commentaire est probablement dû à Hippolyte Meynadier. op. cit., p. 24.

146Ces deux suggestions sont à rapprocher, évidemment, du groupe des propositions de la décennie précédente qui prévoyaient le remodelage des voies autour de l'Institut.

147Un projet de Brouty, publié le 1er juillet 1853, a peut-être inspiré l'empereur : il concerne l'aménagement d'un pont établi au débouché d'une rue (déjà projetée en août 1852) située entre l'Institut et la Monnaie, et la place du Louvre élargie. Revue municipale, n° 126 (1er juillet 1853).

148BAVP, Ms. 1782, fol. 15-17.

149Dans un premier temps, Siméon tâche d'opérer une synthèse des idées précédentes : il propose de prolonger la rue de Rennes, « ce qui serait indispensable », jusqu'au carrefour de la Croix-Rouge. De là, une rue rejoint le Pont-Neuf en suivant la rue du Four, la place Sainte-Marguerite, la rue de Buci prolongée jusqu'à la rue de Nevers. Il prévoit par ailleurs de redresser la rue de Seine sur le quai Malaquais par une place qui dégagerait en même temps l'Institut, à l'instar de ce que proposait l'empereur : il s'agit précisément du projet de la commission officieuse des propriétaires et habitants du Xe arrondissement. BAVP, Ms. 1780.

150Parmi les seize percements proposés, la commission des embellissements envisage le prolongement de la rue de Rennes par la place Saint-Germain-des-Prés, entre l'Institut et la Monnaie. De là, on doit la porter sur la rive droite au moyen d'un pont nouveau qui serait axé sur la place du Louvre, « le pont des Arts n'étant qu'une passerelle de piétons, et le Pont-Neuf étant déjà obstrué par une circulation très active ». BAVP, Ms. 1779. Annexe 1, point n° 13.

151Idem.

152BAVP, Ms. 1783. Ce tracé en surcharge à l'aquarelle projette de gagner le carrefour de la Croix-Rouge à partir duquel le nouvel axe oblique à l’est par la rue du Four élargie pour se raccorder au grand axe parallèle à la Seine, le prolongement de la rue des Écoles. La rue de Tournon est élargie et la rue de Seine qui lui fait suite, déportée vers l'ouest de façon à aboutir sur le quai. Un embranchement de voie, placé entre la rue Visconti et celle des Beaux-Arts débouche sur le quai entre l'Institut et la Monnaie. De là, un pont établi à la pointe occidentale de la Cité prolonge la rue jusqu'à celle de Rivoli (préfiguration de la rue du Louvre).

153Idem. Un axe relie le carrefour de la Croix-Rouge au nouvel embranchement déjà mentionné rue de Seine, par la place Saint-Germain-des-Prés. Empruntant le tracé et le pont projetés, cette nouvelle voie se prolonge jusqu'à la rue Montmartre, traverse le faubourg Poissonnière pour gagner la rue Lafayette.

154Revue municipale, n° 137 (16 décembre 1853), p. 1138.

155Idem, n° 171 (16 mai 1855), p. 1460.

156BHVP, actualités anciennes (18 juillet 1855).

157Bien que A. de Dampcourt, architecte sur lequel nous ne disposons d'aucun renseignements (il figure néanmoins dans la liste des architectes dressée par Paul Lacroix, Annuaire des artistes et des amateurs, Paris, 1861, p. 48), revendique la paternité de ce projet. Le prolongement de la rue de Rennes aurait pris le nom de « rue Napoléon ». Malheureuse, l'auteur ne détaille pas sa proposition. Revue municipale, n° 189 (16 février 1856), p. 1649.

158« Dans l'origine, la rue de Rennes, qui du chemin de fer de l'Ouest devait aboutir au Pont-Neuf, viendra, d'après le nouveau projet, déboucher sur le quai Conti, près de l'Hôtel des Monnaies (…) et vis-à-vis d'elle serait construit un nouveau pont allant à la place du Louvre. Les abords de l'église Saint-Germain-des-Prés, dégagé des vieilles constructions qui l'entourent, formeraient une place digne de l'antique basilique, l'une des plus anciennes de Paris. Rien n'est encore décidé sur le projet qui consistait à ouvrir une rue qui, du carrefour de la Croix-Rouge, viendrait passer par la place de l'ancienne prison de l'Abbaye, pour de là aboutir sur le quai, en faisant disparaître le passage du Pont-Neuf et la rue Guénégaud. C'est par ces points que devait passer la rue de Rennes. » BHVP, actualités anciennes (15 janvier 1856).

159L'empereur mentionne ce projet au titre des embellissements qu'il entend accomplir : « On doit encore réunir l'embarcadère du chemin de fer de l'Ouest aux quais près de la Monnaie, par le prolongement de la rue de Rennes, dans le faubourg Saint-Germain. » En 1857, le propos est plus détaillé : « La rue de Rennes (…) va être prolongée jusqu'à la Seine ; elle deviendra un boulevard important qui débouchera sur le quai Conti, entre l'Institut et la Monnaie. Les pavillons du palais Mazarin seront décidément respectés ; le pont des Arts, qu'il avait été question de reconstruire sera remplacé par un autre pont qui aboutira à la rue du Louvre, sera prolongée jusqu'à la rue Montmartre et peut-être même jusqu'au boulevard. » Napoléon III, Recueil historiques des pensées, opinions, discours, proclamations, lettres et beaux traits de Napoléon III, Paris, 1858, p. 75, 194-195.

160Revue municipale, n° 183 (16 novembre 1855), p. 1584. La description de ce projet est reprise presque in extenso dans le n° 188 (1er février 1856), p. 1639.

161Ce plan constitue le témoignage des projets personnels de l'empereur. Il fut offert par Napoléon III au roi de Prusse Guillaume Ier lors de sa visite à l'Exposition universelle de Paris de 1867. Il a été retrouvé par l'historien et homme politique Charles Morizet à Berlin en 1930 et publié dans son ouvrage Du vieux Paris au Paris moderne. Haussmann et ses prédécesseurs, Paris, 1932.

162Pierre Pinon, op. cit. (2002), p. 34.

163Il s'agit de trois projets publiés dans les n° 103 (1er août 1852), 126 (1er juillet 1853) et 183 (16 novembre 1855) de la Revue municipale.

164Idem, n° 228 (1er mai 1857), p. 1959 et planche hors texte.

165La Presse (29 septembre 1857), p. 2, et Journal des débats politiques et littéraires (7 avril 1860), p. 2.

166Nous ne disposons aucun élément d'information sur l'auteur de ce projet. Voir toutefois l'exposé qu'il en fait dans L'Illustration (9 février 1856).

167Né en 1816, cet architecte et homme de sciences (il publie un Système de circulation aérienne..., Paris, 1857) a publié une quarantaine de pièces sur ce projet de « voie impériale ». Otto Lorenz, Catalogue général de la librairie française, t. Ier, Paris, 1867, p. 145.

168Revue municipale, n° 272 (20 juillet 1858), p. 358-360.

169Idem, n° 268 et 269 (10 et 20 juin 1858).

170Revue municipale, n° 275 (20 août 1858), planche hors texte.

171AN, F21 908-1.

172AD de Paris, 3 AZ 161, pièces 10 et 11, lettre d’Haussmann à Villemessant du 17 mars 1870, citée par André Morizet, op. cit., 1932, p. 334-336.

173Ainsi la rue du Louvre est-elle percée entre le quai et la rue Saint-Honoré (décrets des 15 et 22 novembre 1853. En décembre 1858, la presse évoque l'intention qu'a témoignée l'administration de prolonger cette voie jusqu'à la rue Montmartre « et plus tard jusqu'au boulevard Poissonnière ; ainsi s'établira une communication facile et directe entre la gare de l'Ouest et celles du Nord et de Strasbourg ». BHVP, actualités anciennes (24 décembre 1858). La Ville ouvre une enquête sur ce projet en février 1860. Journal des débats politiques et littéraires (29 février 1860), p. 2. Les observateurs du temps ont conscience de la portée d'une telle réalisation : « cette grande ligne, perpendiculaire au fleuve, sera vraiment d'utilité publique. En effet, si le boulevard de Sébastopol est le courant naturel de la circulation, venant du nord par les quartiers Saint-Martin et Saint-Denis, et du sud en côtoyant la rue et le faubourg Saint-Jacques, il manque évidemment une grande artère qui, longeant les Halles centrales et desservant les quartiers Montmartre, Notre-Dame-des-Victoires puisse les mettre en contact avec le faubourg Saint-Germain. Grâce à cette voie, une fâcheuse lacune sera comblée ; la vie et le mouvement, qui surabondent au nord de la ville, réagiront sur les quartiers du sud en donnant à la circulation sur les deux rives du fleuve toutes les facilités idéales. » BHVP, actualités anciennes (1864). En décembre 1866, le prolongement de la rue du Louvre depuis la rue Saint-Honoré jusqu'à la rue Montmartre est définitivement adopté par le conseil municipal (La Presse (15 décembre 1866), p. 2.). L'opération ne sera réalisée qu'entre 1880 et 1906.

174En août 1859, un jury d'expropriations fixe une indemnité foncière de 220 000 F pour les n° 1 et 3 de la rue Cassette et 17 et 19 de la rue du Vieux-Colombier. Journal des débats politiques et littéraires (9 août 1859), p. 2. et AD de Paris, D1Z 100, fol. 98. Les n° 22, rue d'Assas et 7, rue Cassette, sont également acquis par la Ville de Paris à une date que l'on ignore. Ils figurent comme lui appartenant en janvier 1867 dans la liste des propriétés à exproprier. AD de Paris, VO NC 1336.

175AD de Paris, D1Z 100, fol. 416. Moniteur universel (17 novembre 1864).

176Journal des débats politiques et littéraires (25 mais 1866), p. 2.

177L'élargissement du carrefour à la jonction des rues de Vaugirard, du Regard et Notre-Dame-des-Champs ; l'élargissement, la rectification et le prolongement de l'impasse d'Assas et sa transformation en rue jusqu'à la rue de Rennes prolongée ; la suppression des rues Beurrière, Neuve-Guillemin, de l'Égout, de la partie de la rue Cassette aux droits des propriétés n° 2, 4 et 6 ; l'élargissement du côté gauche du carrefour de la Croix-Rouge ; l'élargissement de la rue du Four entre le carrefour et la rue Bonaparte ; la modification du périmètre de la place Saint-Germain-des-Prés et la suppression du carrefour Saint-Benoît ; le prolongement de la rue de l'Abbaye jusqu'à la rue Saint-Benoît et l'amorce d'une voie nouvelle entre la place Saint-Germain-des-Prés et la rue Saint-Benoît ; la suppression de la partie de la rue Visconti comprise entre la rue de Seine et la voie nouvelle jusqu'aux n° 14 et [en blanc] et la suppression de la partie de la rue Mazarine comprise entre la rue de Seine et la voie nouvelle ; l'isolement et la rectification du périmètre de l'Institut au moyen d'une rue de 22 m de largeur remplaçant la rue de Seine dans la partie comprise entre le quai Malaquais et la rue Jacob ; la suppression de l'impasse Conti.

178AD de Paris, D1Z 100, fol. 389-391 et 396.

179AN, F1A 2000 100.

180Journal des débats politiques et littéraires (1er février 1867), p. 2.

181Pierre Pinon, op. cit. (2002), p. 62-65.

182Geneviève Massa-Gille, Histoire des emprunts de la Ville de Paris (1814-1875), Paris, 1973.

183Pierre Pinon, op. cit. (2002), p. 61.

184Geneviève Massa-Gille, op. cit., p. 279-306.

185AD de Paris, VO NC 308, rapport annexé au procès-verbal de la séance du conseil municipal du 25 novembre 1879.

186AD de Paris, VO11 3001.

187AN, Min. centr., CXII, 1335 (15 juin 1871).

188Observons toutefois que les arbres et arbustes existants sur les terrains compris dans l'opération et qui pourront être réclamés par le service des promenades et plantations seront remis gratuitement à la Ville à la charge de supporter les frais de leur enlèvement. Les pavés, trottoirs, conduites d'eau de de gaz provenant des anciens sols seront également remis à l'administration qui les fera enlever à ses frais. Enfin, les inscriptions indicatives des noms des rues et les numéros des maisons seront déposés par les concessionnaires dans les magasins de la Ville (art. 9).

189Dans le système de la concession, la compagnie se substitue à l'administration pour appliquer la loi d'expropriation du 3 mai 1841.

190Pierre Pinon, op. cit. (2002), p. 62-63.

191Ainsi le quotidien La Presse se trompe-t-il lorsqu'il informe ses lecteurs que « C'est au mois de juillet prochain qu'une compagnie concessionnaire entreprendra (...) les travaux relatifs au prolongement de la rue de Rennes. (...) Cette opération sera poussée activement, afin qu'on puisse, avec l'exposition de 1867, terminer la rue de Rennes en lui faisant rejoindre le quai Conti ». (8 mai 1866), p. 2.

192La Presse (7 mai 1866), p. 3.

193Seul Pierre Thiénard y a consacré plusieurs articles dans le Midi libre, ainsi qu'une plaquette commémorative : Centenaire de la donation du square par Joseph Thome, bienfaiteur de Bagnols, Bagnols-sur-Cèze, 1996. Les auteurs remercient M. Thiénard et Mireille Justamond, directrice de la médiathèque Léon-Alègre de Bagnols-sur-Cèze pour ces publications qu'ils nous ont aimablement communiquées. Pierre Thiénard a enfin publié un ouvrage non encore disponible au moment de la rédaction de notre étude : Odyssée d'un tailleur de pierre : Joseph Thome, 1809-1896, Bagnols-sur-Cèze, 2009.

194AN, Min. centr., CXII, 1488 (9 septembre 1896). Extrait des minutes des actes de décès du XVIe arrondissement, annexé à l’acte de notoriété dressé après le décès de Joseph Thome.

195Revue des deux mondes (15 mars 1898).

196La mairie était située rue des Francs-Bourgeois, dans l’actuel IVe arrondissement.

197Nous savons toutefois qu’ils ne possédaient alors aucun immeuble ni aucun droit immobilier et que, durant leur mariage, ils ne recueillirent aucune succession immobilière ni le bénéfice d’aucun don ou legs particulier. AN, Min. centr., CXII, 1489 (17 octobre 1896). Liquidation des communautés et succession de Joseph Thome.

198AN, Min. centr., CXII, 1488 (9 septembre 1896). Notoriété après le décès de Joseph Thome.

199AN, Min. centr., CXII, 1489 (7 octobre 1896). Partage partiel entre Mme Thome et ses enfants.

200Idem, (17 octobre 1896). Liquidation des communautés et succession de Joseph Thome.

201La part de l'immobilier, à peine prépondérante, entre en effet pour 48,66% dans la succession (23 459 401, 70 F) et présente un caractère essentiellement parisien (95,63% de la valeur immobilière globale ou encore trente-six lots sur quarante). Thome était tout autant « propriétaire » que capitaliste : 47,55% de sa fortune consiste en diverses rentes, obligations et actions.

202Revue des deux mondes (15 mars 1868). Voir également Le Figaro (16 août 1896).

203Aussi Thome apparaît-il comme l'un des plus parfaits représentants de cette France des notables qui « substitua la propriété à la naissance comme critère de valeur sociale » (Heinz-Gerhard Haupt, Histoire sociale de la France depuis 1789, Paris, 1993, p. 106). Car Thome ne tira pas qu'un bénéfice pécuniaire de ses entreprises. La réserve foncière qu'il constitua dans les nouveaux quartiers de la capitale (avenues Bosquet, des Champs-Élysées, d'Iéna, Kléber et Marceau, rues Bassano, Boissière, Brunel, de Chaillot, du Four, Freycinet, de Longchamps, de Lubeck, Pierre-Charron, de Rennes et du Trocadéro) lui conféra un prestige social, consacré par sa nomination par décret du 5 novembre 1877 au grade d'officier de la Légion d'Honneur (AN, LH 2601, dossier 45). En outre, Thome s'était conformé aux valeurs de la noblesse, ayant fait l'acquisition de terres en province où il menait train de châtelain. Enfin, il fit preuve d'évergétisme en faveur de sa ville natale (son testament, rédigé le 16 décembre 1895, prévoit, en plus de legs en faveur de sa parentèle, un legs de 19 500 F au bureau de bienfaisance et 3 500 F à la fabrique de la paroisse de Bagnols-sur-Cèze dont l’emploi est scrupuleusement détaillé. Il prie sa femme et ses enfants de maintenir dans l’immeuble dont il est propriétaire à Bagnols l’école des frères de la doctrine chrétienne. Enfin, 6 000 F sont prévus pour assurer l’entretien du square, « opération de voirie très-importante », et 2 000 F pour le musée Léon Alègre, doté, également, d’un buste en bronze du testateur. AN, Min. centr., CXII, 1488 (8 août 1896). Dépôt du testament mystique de Joseph Thome). Le rôle accordé à la famille est essentiel. En dotant largement – un million de francs – son fils Eugène, sa fille unique, Joséphine, et sa petite fille, Thome se donna les moyens d'une stratégie matrimoniale cohérente qui lui permit d'associer son nom au monde de l'industrie et du pouvoir : en juillet 1871, Joséphine épousa Léon Chiris, industriel, député (1874-1882) puis sénateur (1882-1900) des Alpes-Maritimes ; leur fille, Marguerite Chiris fut mariée à Ernest Carnot (1866-1955), second fils du Président de la République Sadi Carnot, ingénieur civil des Mines et licencié en droit, député de la Côte-d'Or de 1895 à 1898.

204Cet ensemble d'opérations de voirie qui remodela entièrement cet ancien faubourg de Paris fut décrété d'utilité publique les 6 mars 1858 et 17 septembre 1864. Yoann Brault, « Le village de Chaillot, XVIIe-XVIIIe siècles », La colline de Chaillot et ses palais. Histoire, architecture, urbanisme, décor. Colloque présenté à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine les 30 et 31 mars 2006, actes à paraître.

205Le premier traité concerne l’ouverture de l’avenue de l’Alma, l’achèvement de la rue Joséphine de la rue de Chaillot au carrefour de l’avenue de l’Empereur, et l’amorce de l’avenue de l’Empereur depuis le quai de Billy jusqu’au pan coupé sur le passage dit de la Pompe-à-Feu. Le deuxième traité concerne l’ouverture de l’avenue de l’Empereur, de l’avenue d’Iéna, des rues de Lubeck, d’Angoulême (puis de Morny), Sainte-Marie, Croix-Boissière, Galilée, Freycinet et d’une rue nouvelle. AD de Paris, VO NC 1331 et 1332.

206L’ouverture de cette avenue a été décrétée le 23 août 1866.

207Soit l’ouverture de deux voies d’isolement de la nouvelle égalise, l’une d’elles devant former la suite de la rue de la Pompe, la régularisation d’une voie en partie ouverte entre la rue de Chaillot et l’avenue d’Iéna et le prolongement de la rue Bizet. AD de Paris, VO NC 1331.

208AN, Min. centr., LV, 471 (25 et 29 juin 1866).

209Robert Hentsch, Hentsch : banquiers à Genève et à Paris au XIXe siècle, Neuilly-sur-Seine, 1996.

210Nicolas Stoskopf, Les patrons du Second Empire. Banquiers et financiers parisiens, Paris, 2002.

211Idem.

212Compte tenu du retard avec lequel la Compagnie livre la voie nouvelle, celle-là, le 20 décembre 1869, est prorogée jusqu'au 30 juin 1870. AN, Min. centr., LV, 471 (25 et 29 juin 1866). Le 22 janvier, les 17 et 22 février et le 23 juin 1870, les commanditaires de Thome lui cèdent leurs parts moyennant 17 229 F la part. AN, Min. centr., CXII, 1330 et 1332.

213AD de Paris, VO NC 1333. Sept plans.

214Idem. Rapport du 5 juillet 1866.

215AD de Paris, VO NC 1336.

216Idem. Courriers des 20 et 21 juillet 1866.

217De la rue de Vaugirard à la rue du Four, le profil présente une pente de 8 mm/m sur 693,25 m, et de la rue du Four au boulevard Saint-Germain une rampe de 5mm/m sur 179 m du boulevard à l'extrémité nord de la place, la pente est de 1,64 cm.

218Dont 394 000 F pour la première partie et 411 000 F pour la seconde. AD de Paris, VO NC 1336.

219Idem.

220Idem. Le 1er avril 1868, le directeur de la voirie adresse à la direction de la voie publique et des promenades un plan indiquant les modifications adoptées par le préfet pour le tracé du pan coupé formant l'encoignure des rues du Four et Madame (en exerçant un retrait par rapport à l'alignement de la rue de Rennes), pour l'alignement de la rue du Four (quatre maisons sur la rive sud correspondant aujourd'hui aux numéros 37 et 39 étaient touchées par l'opération). Un plan est annexé à l'acte.

221Idem.

222AN, Min. centr., CXII, 1315 à 1319. Rue Bernard-Palissy (nos 1, 2, 6, 8), rue de l'Égout (nos 1, 4, 5, 6, 9, 12, 13, 14, 16), rue Neuve-Guillemin (nos 1, 2, 3, 4, 7, 8, 12, 13, 16, 17, 19, 21, 26), rue Beurrière (nos 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 10, 11, 15), rue Bonaparte (nos 34, 39, 43, 46), place Saint-Germain-des-Prés (nos 1, 2, 4), rue Sainte-Marthe (nos 3, 4, 5), rue du Four (nos 43, 45, 46, 49, 50, 51, 52, 53, 58, 59, 60), rue du Sabot (nos 7, 27), rue de l'Abbaye (nos 15, 17), rue Cassette (nos 4, 5, 6, 8, 8bis, 10, 16, 18, 20, 22, 24), rue d'Assas (nos 18, 20, 24, 26, 30), impasse d'Assas (nos 4, 5, 6, 7, 9), rue du Regard (nos 13, 15, 17, 19, 23), rue de Vaugirard (nos 73, 88, 90, 92, 94, 96, 98, 100), rue du Vieux-Colombier (nos 6, 8, 10, 15, 20, 22), rue Saint-Benoît (no 23), Rue Notre-Dame-des-Champs (no 1), rue d'Erfurth (nos 4, 6, 8), rue Childebert (nos 1, 5, 11, 13), rue Gozlin (nos 24, 30, 31, 33, 35).

223AD de Paris, D1Z 100, fol. 402. Note manuscrite de Louis Lazare. Voir aussi BnF, 4° Z Le Senne 2073, D. Leprince, Les expropriés de la rue de Rennes et le pourvoi en cassation de la compagnie Thome, Paris, 1er mars 1867, p. 7-8.

224AD de Paris, D1Z 100, fol. 405.

225Sur cet établissement, voir la page http://www.culture.gouv.fr/culture/cavaille-coll/fr/94_96_vaugirard.html.

226BnF, 4° Z Le Senne 2073, D. Leprince, op. cit., p. 8. La presse ne manque pas d'attirer l'attention de ses lecteurs sur ce petit événement : « Un fait singulier s'est produit durant la dernière session du jury d'expropriation chargé de fixer les indemnités à allouer aux propriétaires pour le prolongement de la rue de Rennes. Presque tous les expropriés avaient préféré s'arranger à l'amiable avec la Ville ; mais plusieurs d'entre eux ne trouvant pas les offres suffisantes ont voulu soutenir leurs prétentions devant un jury, et bien leur en a pris. En effet, pour ne citer qu'un exemple, nous dirons que la Ville avait offert 65 000 F à un fabricant d'orgues, qui en réclamait 500 000. L'estimation, de la part des représentants de la Ville était vraiment dérisoire, si nous nous en rapportons à la décision du jury, car la manufacture d'orgues a obtenu les 500 000 F d'indemnité par elle réclamés. » Journal des débats politiques et littéraires (6 février 1867), p. 4.

227BnF, 4° Z Le Senne 2073, D. Leprince, op. cit., p. 1.

228BnF 4-FM-24802, D. Leprince, Expropriants et expropriés. L'ouverture de la rue de Rennes, Paris, 15 avril 1867, p. 5.

229BnF, 4-FM-24857, Tronchaud, Dernières considérations présentées à MM. les jurés, Paris, 1867, p. 1-2.

230D. Leprince, op. cit. (1er mars et 15 avril 1867). Voir également BnF 4-FM-24850, D. Leprince, Les expropriés de la compagnie Thome devant le jury d'expropriation, Paris, 1er juillet 1867. L'auteur récidive une dernière fois en novembre 1868, en adressant une Lettre à M. le président et à MM. les membres du conseil municipal de la Ville de Paris. BnF 8-LK7-14462.

231Sont exceptés de la « vente » : 1° les trottoirs, les pavés des rues, les murs formant séparation avec les propriétés voisines et ceux qui seraient mitoyens avec ces propriétés ; 2° les inscriptions indicatives des noms de rues et les numéros des maisons. Ces objets seront remis par les acquéreurs aux agents de la Ville ; 3° les caves, fausses d'aisance, puits ou puisards qui dépendant des maisons à démolir pourraient se trouver situées sous le sol des propriétés voisines ; 4° les arbres et arbustes que la Ville réclamera ainsi que la terre végétale. AD de Paris, VO NC 1336.

232« On vient de mettre la pioche dans les maisons situées rue du Vieux-Colombier nos 17, 19 ; rue Cassette, nos 1, 3 ; et rue d'Assas, no 22, pour le percement de la rue de Rennes. » La Presse (7 mai 1866), p. 3. Observons que, selon la même source, une intervention similaire eut lieu pour le percement du boulevard Saint-Germain qui n'avait fait alors l'objet d'aucun traité de concession ou décret d'ouverture.

233AD de Paris, D1Z 100, fol. 418. Moniteur universel (20 avril 1867).

234Journal des débats politiques et littéraires (4 mai 1867), p. 2.

235Idem (5 juin 1867), p. 3.

236La Presse (1er août 1867), p. 3.

237AD de Paris, D1Z 100, fol. 423. Moniteur universel (21 septembre 1867).

238Idem.

239Idem, fol. 425. Moniteur universel (14 octobre 1867).

240Proposition qu'Alphand approuve le 31 janvier suivant. AD de Paris, VO NC 1336.

241Idem.

242Selon la « situation au 1er janvier 1870 des dépenses faites pour la mise en état de viabilité de la rue de Rennes », sur les 747 211,14 F de dépense autorisée, 662 132,55 F ont été alors dépensés. Le nom des entrepreneurs et le détail de leur intervention respective figurent dans ce document. AD de Paris, VO NC 1336.

243AD de Paris, D1Z 100, fol. 434. Moniteur universel (26 mars 1868).

244AD de Paris, VO NC 1333.

245Il s'agit de la date à compter de laquelle Thome demande que soient calculés les intérêts de remboursement relatifs au reliquat du cautionnement encore détenu par la Ville en juillet 1871. AD De Paris, VO NC 1336.

246L'Illustration (1er semestre 1868).

247La Presse (1er août 1867), p. 3.

248Ce nivellement occasionne des perturbations notables sur les rues adjacentes à la rue de Rennes. Un « Parisen de Paris » ironise ainsi : « la rue du Four (...) a vu se joindre à ses anciens inconvénients celui de devenir tantôt vallée, tantôt montagne par suite de l'ouverture de la rue de Rennes ». Le Figaro (16 mars 1870), p. 2.

249AD de Paris, D1Z 100, fol. 392.

250Revue des deux mondes (15 mars 1868).

251AD de Paris, VO NC 308, rapport annexé au procès-verbal de la séance du conseil municipal du 25 novembre 1879.

252Somme reconstituée à partir des actes cités en note 222.

253Ces sommes sont reconstituées à partir des actes cités en notes 223 et 224.

254AD de Paris, VO NC 1336.

255AD de Paris, D1Z 100, fol. 406.

256Adolphe Thiers, Discours parlementaires..., Paris, t. XII, p. 220.

257Journal des débats politiques et littéraires (27 février 1869), p. 2.

258La Presse (8 mars 1869), p. 2.

259Journal des débats politiques et littéraires (22 avril 1869, numéro bis), p. 1.

260AN, C 1145, « État des opérations à continuer ou à entreprendre et qui ont été l'objet d'estimation » (1870).

261Idem, Georges Eugène Haussmann, Mémoire présenté par M. le sénateur préfet de la Seine au conseil municipal de Paris, Paris, 1869, p. 67. Voir également AD de Paris, 3 AZ 161, pièces 10 et 11, lettre d’Haussmann à Villemessant du 17 mars 1870, citée par André Morizet, op. cit., 1932, p. 334-336.

262Idem, registre des délibérations de la commission du budget de la Ville de Paris, séance du 11 juin 1870.

263Idem, Henri Chevreau, Mémoire présenté par M. le sénateur préfet de la Seine au conseil municipal de Paris, Paris, 1870.

264Journal des débats politiques et littéraires (13 mars 1870), p. 1.

265AN, C 1145, Henri Chevreau, op. cit., p. 4 et 14.

266Aussi reconnaît-il, en conclusion : « je ne vous donne que des impressions ; je n'ai pas de propositions formelles à vous soumettre, puisque mes projets pour l'avenir reposent sur l'emprunt dont la réalisation rendra disponibles les excédants des futurs budgets. J'attends avec autant de respect que de confiance votre décision, celles du gouvernement et du Corps législatif. Ce n'est qu'après votre vote et sa confirmation par les grands pouvoirs publics que je pourrai vous soumettre l'ensemble des travaux complémentaires sur lesquels je viens d'appeler votre attention et dont je vous demanderai alors de fixer l'ordre de priorité. » Idem, p. 17-18.

267Journal des débats politiques et littéraires (13 mars 1870), p. 1.

268Le Figaro (16 mars 1870), p. 2.

269Journal des débats politiques et littéraires (20 avril 1870), p. 1.

270Aussi l'économiste admet-il plus loin : « l'emploi de la réserve est (…) incertain. Rien n'est encore arrêté ; la discussion du Corps législatif et le travail de la commission éclairciront ce point obscur. » Idem.

271La Presse (2 mars 1870), p. 1.

272Idem.

273AN, C 1145, registre de délibérations de la commission du budget de Paris, séance du 24 juin 1870.

274Idem, « état des opérations à continuer ou à entreprendre et qui ont été l'objet d'estimation » (1870).

275Idem, registre de délibérations de la commission du budget de Paris, séance du 24 juin 1870.

276La Presse (28 juin 1870), p. 1.

277AN, C 1145, registre de délibérations de la commission du budget de Paris, séance du 24 juin 1870. Arguant du fait que dans un délai de six ans le budget municipal bénéficierait d'extinctions de dettes et d'un accroissement de revenus, il propose : « La commission trouverait-elle mauvais que la préfecture étudiât une combinaison tendant à confier à des compagnies sur adjudication publique et aux conditions d'un cahier des charge soigneusement élaboré l'exécution de ces grands travaux sous la réserve d'en commencer le paiement qu'en 1877 ? » Observons qu'il expose ici une formule déjà présentée par Alphand, devant la même commission, le 11 juin précédent.

278AN, C 1145, registre de délibérations de la commission du budget de Paris, séance du 24 juin 1870.

279Idem, séance du 29 juin 1870.

280Les autres opérations votées sont le percement partiel de la rue Réaumur (de la rue Montmartre à la rue d'Aboukir, 16 millions), du boulevard Saint-Germain (entre le boulevard Saint-Michel et la rue de Tournon, 30 millions) et de l'avenue de l'Opéra (du Théâtre-Français à la rue Neuve-des-Petits-Champs, 35 millions). Idem.

281Idem.

282Le comte Lehou propose d'employer les 101 millions à deux entreprises : une sur la rive gauche, le boulevard Saint-Germain jusqu'à Saint-Germain-des-Prés, une sur la rive droite, l'avenue Napoléon. Emmanuel Arago combat l'avenue Napoléon et se rallie au plan indiqué par Lehou pour la rive gauche ; mais, sur la rive droite, il estime la rue Réaumur plus utile et moins coûteuse que l'avenue Napoléon. Le rapporteur de la commission fait valoir en faveur de l'avenue Napoléon les nécessités de la circulation entre les gares. Gaudin soutient que la rue Réaumur présente d'aussi grandes difficultés, soit de nivellement, soit d'expropriations que l'avenue Napoléon. Picard, Fouque, de la Tourette, Durfort et Ferry demandent qu'avant de prendre un parti entre les différents percements des devis en forme avec plans, coupes, estimations détaillées soient soumis à la commission. Cette proposition est appuyée par deux autres membres et adoptée par la commission.

283AN, C 1145, registre de délibérations de la commission du budget de Paris, séance du 9 juillet 1870.

284Geneviève Massa-Gille, op. cit., p. 306.

LE TROISIÈME TRONÇON : CENT ANS DE VAINS EFFORTS

1871-1896 : liquidation de la concession et ajournement du prolongement
Après les événements de 1870-71, la priorité du nouveau conseil municipal est de solder la concession accordée à Thome, litigieuse sur plusieurs points : frais de viabilité, terrains à livrer, remboursement des reliquats de fonds de dépôt… Tentée de considérer le traité comme nul en raison du délai écoulé depuis la dernière livraison de terrains en 1869, la Ville suit finalement l’avis du comité consultatif de la préfecture de la Seine qui considère le 27 mai 1872 que la liquidation doit s’opérer sur les bases fixées par le traité avec intérêt à partir du jour de la livraison des terrains285. Le 26 décembre 1872, par une décision revêtue de l’approbation préfectorale, le conseil municipal décide d’allouer à Thome une somme de près de 340 000 F pour la livraison de terrains situés au droit d’immeubles réservés lors de la première liquidation qui avait eu lieu en 1868. Le paiement a lieu et le règlement général s’en trouve ainsi complet286.

Par ailleurs, le caractère inachevé, « l’état hideux »287 des abords de l’église Saint-Germain-des-Prés est davantage visible depuis l’achèvement du boulevard Saint-Germain en 1876. Le vieux monument est en effet flanqué de deux terrains vagues d’une superficie totale de 914 m² provenant des immeubles expropriés et démolis par Thome et Cie. Ces terrains, entourés de murs pignons et clos de palissades de bois, sont utilisés comme dépôts avec entrepôts divers par les services techniques de la Ville.


Abords de l'église Saint-Germain-des-Prés entre 1870 et 1880. En haut, côté rue de l'Abbaye, et bas, côté boulevard Saint-Germain. Les surfaces laissées vacantes par la démolition des immeubles par Thome en 1868 sont restées des terrains vagues clos de la rue par des palissades de bois. Haut : Musée Carnavalet, cabinet des arts graphiques, Topo-PC 113c, dessin d’Ernoult, avril 1875 ; bas : collection Baptiste Essevaz-Roulet.


La propriété des parcelles est revendiquée par Thome. D’après lui, les terrains avaient été livrés le 1er décembre 1867 à la Ville, en même temps que ceux sur lesquels la rue de Rennes a été établie288. Ils n’avaient pas encore été payés « lorsque sont survenus les événements de 1870 et 1871 ». Les archives ayant brûlé avec l’Hôtel de Ville en 1871, le conseil municipal émet des doutes et charge en 1879 la commission de la voirie de clarifier la situation. Un jugement du 21 janvier 1880 confirme finalement la version de Thome. La Ville souhaite alors récupérer la propriété des terrains « afin qu’un aspect meilleur et définitif soit donné à la place Saint-Germain-des-Prés ». Ils se trouvent en effet « dans les conditions les plus défavorables » et « la Ville seule peut en faire emploi, en les transformant en jardinets improductifs »289. La Ville les rachète à Thome pour environ 500 F le m², conformément aux indemnités fixées par un jury d’expropriation. Deux variantes d’aménagements en jardins sont proposées en juin 1880 par le service des promenades de la Direction des travaux de Paris. Dès l’année suivante, un arrêté préfectoral du 16 août 1881 autorise l’exécution des travaux nécessaires à l’établissement des squares autour de l’église Saint-Germain-des-Prés, actuels squares Laurent-Prache et Felix-Desruelles.


Les deux variantes d'aménagement des terrains vagues en jardins proposées en 1880. C'est la seconde proposition qui sera adoptée. Archives de Paris, VONC 308, clichés Baptiste Essevaz-Roulet.


Du point de vue des grands travaux de voirie, le nouveau pouvoir municipal se retrouve piégé « dans l’obligation d’achever des chantiers (…) qu’il avait combattu, sous la pression des habitants des quartiers concernés »290. Cependant, la « liquidation » des finances et le poids de la dette accumulée, estimée à 1,5 milliards de F, imposent de lourdes restrictions291. Les deux premiers emprunts de la Ville de 1871 et 1872 ne sont destinés qu’à financer, le premier les conséquences de la guerre, le second, les travaux d’adduction de la Vanne. En 1875 et 1876, « le calme étant à peu près revenu et le crédit rétabli »292, deux nouveaux emprunts sont contractés, pour, entre autres choses, financer certaines opérations de voirie commencées sous Haussmann. C’est ainsi qu’est achevée en 1875 la section du boulevard Saint-Germain comprise entre la rue Hautefeuille et la rue Bonaparte, mais aussi le boulevard Henri IV et l’avenue de l’Opéra. Une nouvelle série de percées est lancée en 1879 (rue du Louvre, rue des Archives…), puis en 1886, 1892 et 1896.

De 1871 à 1879, on assiste à une valse-hésitation de l’administration au sujet du percement du dernier tronçon de la rue de Rennes. Elle le qualifie dès 1871 de « percement trop important pour y renoncer » et faisant partie des « opérations à continuer »293. Avant chaque emprunt destiné à financer des opérations de voirie, l’administration fait évaluer le coût de réalisation d’un prolongement selon plusieurs tracés, mais sans jamais donner suite294. En 1878, elle finit par classer l’achèvement de la rue de Rennes parmi les « opérations décrétées à ajourner »295, semble-t-il à cause de la complexité et le coût du chantier296. L’administration lui préfère alors deux variantes, classées parmi les « percements à entreprendre », l’une joignant la place Saint-Germain-des-Prés au Pont-Neuf, l’autre la joignant au pont du Carrousel. Illustrant l’incertitude qui entoure le sort qu’on réserve au projet, le journal Le Gaulois annonce par erreur, en 1879, que « la commission d’expropriation chargée de l’étude des projets de voirie à exécuter dans Paris » se prononce pour le prolongement de la rue de Rennes « dans un délai très rapproché ». La commission aurait la préférence pour le tracé aboutissant au Pont-Neuf, les deux autres variantes étudiées étant l’élargissement de la rue Bonaparte, et une percée débouchant entre l’Institut et la Monnaie297. La nouvelle est démentie en séance du conseil municipal du 11 novembre 1879 par Engelhard298.


Tableau des opérations de voirie commentées en 1871293. Le prolongement de la rue de Rennes y est décrit comme un « percement trop important pour y renoncer » et classé dans la rubrique des oppérations à continuer. Clichés et montage Baptiste Essevaz-Roulet.


En dépit de la politique d’acquisition à l’amiable de parcelles concernées par des percements à entreprendre299, le conseil municipal refuse en mars 1882 d’acquérir un immeuble situé au coin de la place Saint-Germain-des-Prés et de la rue Bonaparte, dans l'axe de la rue de Rennes. Ce refus, révélateur des intentions de l’administration, lui est vertement reproché par un journaliste : « Voilà de la bonne administration. Nous pouvons avoir pour 500 000 F aujourd'hui ce qui nous coûtera de deux à trois millions demain ! attendons donc à demain ! » ; et de conclure amèrement : « la continuation de la rue de Rennes est inutile (…) la rue de Rennes ne sera pas terminée ». La commission municipale « considère que les fonds disponibles ne permettent pas de songer (…) à une opération dont la dépense est considérable et qui engagerait l'avenir au point de vue du percement de la rue de Rennes jusqu'au quai »300.

De nouveau en 1892, la question de l’achèvement de la rue de Rennes est discutée. La loi du 22 juillet 1892 autorise la Ville à consacrer, sur un emprunt de 200 millions de F, la somme de 120 millions aux opérations de voirie, dont 50 millions affectés d’office à l’ouverture de la rue Réaumur. Le conseil municipal décide de partager les 70 millions de F restants en deux parts égales pour chaque rive de la Seine, chaque part étant plus ou moins réparties entre chaque arrondissement. En conséquence, les opérations « locales » sont privilégiées contre celles, plus importantes, qui ne peuvent être supportées par la dotation d’un arrondissement seul301. Le choix des opérations à réaliser est âprement négocié avec les élus et la Direction des Travaux de la Ville. La réalisation partielle de la branche passant à l’est de l’Institut est réclamée par Alpy, conseiller municipal, mais la Direction des Travaux préfère la branche débouchant devant le pont du Carrousel. Dans le même temps, les conseillers Pétrot, Alpy, Deville et Laurent Prache demandent le percement d’une « section non comprise au projet de l’Administration » de la rue de Rennes, sans qu’on en connaisse les détails302. Pour le VIe arrondissement, les opérations finalement votées et promulguées en loi le 19 mars 1894 sont l’achèvement de la rue Danton et l’élargissement de la rue du Four, prévue de longue date, « l’opération de la rue de Rennes et celle du boulevard Raspail [ayant] paru trop chères [au conseil municipal] »303.

Pourtant, la suite du percement de la rue de Rennes est toujours ardemment réclamée par la population locale. Nul ne peut en effet ignorer l’étrange situation de la rue de Rennes : artère importante de la rive gauche, elle semble interrompue dans son élan place Saint-Germain-des-Prés tel « un vaste cul-de-sac »304. L’ouverture partielle du grand axe n’a en effet apaisé ni les tensions suscitées par le désir de la rive gauche d’accéder à la rive droite, ni le besoin d’« aérer » le quartier Saint-Germain-des-Prés comme réclamé depuis le début du XIXe siècle. Plusieurs décennies plus tard, les préoccupations des riverains demeurent identiques et sont relatives à l’encombrement des axes de transit, notamment autour du carrefour de Buci où « un piéton va plus vite qu’une voiture »305 : « les voitures de toutes sortes, y compris deux lignes d'omnibus, transport de facteurs, service des Halles n'ayant pas d'autres passages sont cause que le carrefour Buci, les rues de Buci et Dauphine sont constamment encombrés. Les piétons sauf l'étroit et insuffisant passage du Pont Neuf ne sont guère mieux partagés »306. Le pont des Saints-Pères « en raison de son peu de solidité » et de son étroitesse n’est pas en mesure de supporter un trafic accru. La circulation des véhicules se concentre sur le Pont-Neuf, toujours encombré. En 1890, le conseil municipal de Paris est précisément saisi d'une pétition signée par plus de 500 électeurs des VIe, VIIe, XIVe et XVe arrondissement demandant le prolongement de la rue de Rennes de manière à établir des communications plus faciles entre les deux rives de la Seine307. Le manque d’accès commode à la rive droite et à certains de ses établissements cristallise les impatiences : « l'Hôtel des postes sera reconstruit dans deux ans. La rive droite pourra y accéder ; la rive gauche, jamais »308. Les attentes légitimes non satisfaites et les promesses non tenues sont un autre motif d’insatisfaction. Un texte signé de novembre à décembre 1888 par environ 180 habitants, commerçants et industriels des quartiers Saint-Germain-des-Prés et Notre-Dame-des-Champs dénonce que le prolongement « depuis longtemps connu et remis chaque année sur le tapis est une cause de gène permanente et lèze [sic] énormément le commerce et l'industrie de nos quartiers car les propriétaires profitent depuis trop longtemps de la perspective de cet achèvement pour nous faire payer des loyers exorbitants »309. Dans le même esprit, le projet de prolongement de la rue de Rennes plane sur les transactions immobilières aux alentours du parcours envisagé. En 1892, à l’occasion d’un mariage, un notaire fait remarquer aux jeunes époux que l’immeuble du 20, rue Visconti dont ils hériteront, se trouvant à proximité de la « future » rue de Rennes, « prendrait alors une plus-value des plus sérieuses ». La belle-mère rétorque alors à ses enfants : « je dois vous prévenir qu’on m’a dit exactement la même chose quand je me suis mariée il y trente-cinq ans »310.


Pétition des riverains et commerçants en faveur du prolongement de la rue de Rennes (1888 à gauche et 1890 à droite). Clichés Baptiste Essevaz-Roulet.


En marge du prolongement officiellement décrété, les habitants des environs de la gare Montparnasse souffrent également du manque de débouchés de la rue de Rennes vers le sud. En 1875, Laporte, un particulier, soumet à l'administration un projet de retrait de la gare Montparnasse à la barrière du Maine afin de prolonger la rue de Rennes vers le sud et de la mettre en communication directe avec la chaussée du Maine et le boulevard de Vaugirard. L’emprise libérée serait lotie d’immeubles permettant d’amortir partiellement le coût de l’opération311. À la suite de la proposition de Laporte, une pétition est réalisée au cours de l'année 1874312. Revêtue « d'un millier de signatures »313 et conduite à l'initiative de deux cents propriétaires et commerçants de la Chaussée du Maine et du quartier Montparnasse, elle est destinée à être remise à l'Assemblée nationale, au préfet de la Seine et aux membres du conseil municipal de la capitale. Les pétitionnaires exposent : « avant 1848, le quartier était animé, commerçant, prospère. Depuis le transfèrement de la gare à sa place actuelle, depuis le viaduc, la ruine du quartier n'a fait que s'accentuer chaque jour davantage »314. Le Ministre des Travaux Publics rejette la demande, hostile à l’idée de prolonger de manière oblique la rue de Rennes et estimant qu’augmenter de 350 m la distance entre la nouvelle gare du centre de Paris nuirait aux voyageurs et donc à la fréquentation de la ligne de chemin de fer315.


Illustration du projet de Laporte de transférer la gare Montparnasse du boulevard Montparnasse (en bas) vers l'avenue du Maine (en haut). Cette proposition, qui sera réalisée un siècle plus tard avec l'opération Maine-Montparnasse, visait à la fois à faciliter la circulation des trains et des voitures et permettait de libérer une emprise considérables que les pétitionnaires se proposaient de valoriser, notamment en prolongeant la rue de Rennes vers le sud (vers le haut sur ce plan). Cliché Baptiste Essevaz-Roulet.


Aux abords de la rue de Rennes, les rues Littré et Blaise-Desgoffe sont créées par des initiatives privées. La première par la Société Foncière Lyonnaise qui achète le 18 octobre 1880316 deux grandes parcelles contigües, l’une sur la rue de Rennes (actuels numéros 144 à 150), l’autre, au 81-83 rue de Vaugirard. La seconde voit le jour à la suite d’une demande datée du 10 novembre 1903 émanant de deux propriétaires, la comtesse de Durfort et la société Jumeau et Jallot. Les travaux de viabilité sont autorisés par arrêté préfectoral du 7 avril 1904 et la voie est classée par décret du 18 novembre 1907.



1896-1903 : la rue de Rennes prolongée pour le métropolitain
L’achèvement de la rue de Rennes jusqu’à la Seine est officiellement programmé en 1898 avec le projet de création de la ligne n° 4 du chemin de fer métropolitain reliant la porte de Clignancourt à la porte d’Orléans faisant office de « transversale nord-sud ».


Une des toutes premières études de tracé de réseau métropolitain à Paris vers 1871. Le réseau était principalement étudié pour interconnecter les gares de chemin de fer entres elles et la petite ceinture. Cliché Baptiste Essevaz-Roulet.

La genèse du réseau métropolitain commence au milieu du XIXe siècle, mais ce n’est qu’en 1871 que le conseil général de la Seine décide d’étudier un véritable réseau de chemin de fer dans l’intérieur de Paris317. De nombreux projets sont présentés mais aucun n’est retenu. Cependant, le mouvement est lancé et la « cohorte d’ingénieurs »318 qui essayent de définir ce à quoi doit ressembler le réseau parisien contribue à dégager des tendances. Un métro essentiellement souterrain s’impose progressivement, les tunnels suivant le tracé des rues pour construire en ouvrant la chaussée, à peu de profondeur et donc à peu de frais. Du point de vue de la forme du réseau, certaines caractéristiques communes se retrouvent dans différents projets. Plusieurs candidats, probablement inspirés par Alphand319, esquissent une transversale du nord au sud passant par la rue de Rennes prolongée, à l’instar de l’ingénieur Letellier qui présente son réseau en 1872320, Villain en 1891321 ou encore d’un projet anonyme daté de 1895322.



Différentes propositions de réseaux métropolitains (de gauche à droite : 1872, 1875, 1886, 1891, 1895 et 1896) qui ont toutes comme points commun de faire passer une ligne par la rue de Rennes prolongée, proposition qui sera retenue dans le réseau voté en mars 1898. Clichés Baptiste Essevaz-Roulet.


Après cette longue et féconde maturation, le projet définitif de réseau est voté le 30 mars 1898 par le conseil municipal de Paris. Il définit par synthèse des projets précédents le tracé des six premières lignes du réseau de chemin de fer métropolitain323. La quatrième ligne doit joindre la porte de Clignancourt à la porte d’Orléans en passant par les Halles. Cette ligne passe par la rue de Rennes telle qu’elle existe à l’époque, et telle qu’elle doit être prolongée, puis plonge sous la Seine au niveau de l’Institut, croise la ligne 1 à la station Louvre, avant de passer par les Halles. La réalisation de la ligne de métro est ainsi couplée au percement de la rue de Rennes. La même situation se retrouve pour une section du boulevard Raspail324 et d'autres voies créées pour l’ouverture de lignes325. Pour limiter les risques en cas d’échec commercial, la construction des lignes 4 à 6 est programmée après celle des trois premières. La ligne n° 1 du réseau reliant la porte Maillot à la porte de Vincennes est inaugurée le 19 juillet 1900. La fréquentation des premières lignes dépassant les espérances, les chantiers suivants sont lancés sans attendre.


La ligne 4 dans le centre de Paris si tout s'était passé comme prévu...
Schéma Baptiste Essevaz-Roulet.

Du point de vue financier, les deux opérations de voirie nécessaires à la création de la ligne 4 du métro sont estimées, fin 1901, à 25 095 000 F pour la rue de Rennes et 27 830 400 F pour le boulevard Raspail326. Une étude, sans suite, avait conclu en 1897 qu’il était possible de limiter la dépense à un peu plus de 10 millions de F si l’on se contentait de ne percer que le strict nécessaire en abandonnant la branche secondaire de la rue de Rennes et sans démolir les annexes de l’Institut, le conduit étant suffisamment profond à cet endroit327. Les plans d'exécution de la ligne 4 sont communiqués à la compagnie du métro en février 1902328. Le premier emprunt de 165 millions alloué en 1898 au chemin de fer métropolitain s’avère insuffisant pour lancer la seconde phase de construction du réseau. Le succès inattendu des premières lignes en effet a généré des dépenses supplémentaires et la loi d'emprunt ne comprenait pas le coût des opérations de voirie qu'entraîne l'exécution du réseau métropolitain329. Le préfet de la Seine, Justin de Selves, demande alors au gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi autorisant la Ville de Paris à contracter un nouvel emprunt de 150 millions. Dans son mémoire au conseil municipal du 19 décembre 1901, le préfet estime que certaines opérations de viabilité n'ayant d'autre raison d'être que la construction de la ligne de métropolitain, il semble équitable d'en porter la dépense au compte de l'établissement du chemin de fer. Cette considération paraît devoir « militer en faveur de la prise à la charge du métropolitain des dépenses nécessitées pour l'ouverture de la rue de Rennes, entre le quai et la place Saint-Germain-des-Prés et l'achèvement des tronçons du boulevard Raspail restant à exécuter entre la rue de Vaugirard et le boulevard Montparnasse »330. Autrement dit, le percement du troisième tronçon de la rue de Rennes, dont la dépense est réévaluée à 30 100 000 F331, sera financé par le budget du métro.


L'ingénieur en chef Fulgence Bienvenüe.
 
Du point de vue de la réalisation, les études qui amènent le conseil municipal à voter le projet définitif en 1898 sont conduites quelques mois plus tôt. L'ingénieur Fulgence Bienvenüe étudie notamment le profil en long de la ligne n° 4 dès le début de l’année 1896332. Le détail du parcellaire concerné par le percement de la voie nouvelle compris entre la place Saint-Germain-des-Prés et le quai de Conti est dressé par l'architecte-voyer en chef de la Ville de Paris le 31 mars 1897333. Le tracé retenu est celui du décret de 1866 : une percée rectiligne débouchant entre l’Institut et la Monnaie, une percée secondaire isolant l’Institut et atteignant le quai Malaquais à l’ouest du bâtiment (voir fig. 5). Le réseau de rues projetées est légèrement modifié en 1901 par Bouvard, le directeur administratif des Services d'Architecture et des Promenades de Paris334. Le tracé tel qu’il est publié dans l’Atlas municipal de 1888 donnait en effet à l’Institut une surface supplémentaire à l’arrière du bâtiment dont l’emprise était dissymétrique335. Le directeur administratif propose de décaler de quelques mètres vers l’ouest la branche secondaire de la rue de Rennes. Cette modification a pour effet de créer une surface disponible plus importante au sud de l’Institut et surtout de symétriser le bâtiment. Bien qu’en apparence très modeste, le déplacement de la branche secondaire permet aux architectes d’envisager une façade grandiose à l’arrière de l’Institut, voire de créer une place nouvelle ainsi que quelques perspectives « et former un monument isolé entouré de jardins dans lesquels les palmes vertes pourront être cultivée avec ou sans fruit »336. Ce tracé fait référence pour la suite (voir figure ci-dessous).


Projet de Bouvard (AD de Paris, VO20 123). Document amendé par les auteurs pour une meilleure lisibilité ; cliché Baptiste Essevaz-Roulet.

Le choix du tracé de la ligne 4 de 1898 n’avait suscité que quelques réticences isolées notamment de la part du conseiller municipal Mithouard qui aurait proposé dès 1892 de détourner la ligne de métro vers le Pont-Neuf337. En revanche, en 1901, l’imminence de la mise en oeuvre du projet met soudainement en lumière la nécessité de créer un nouveau pont sur la Seine à un endroit sensible et de démolir les bâtiments annexes de l’Institut. Ces deux chantiers collatéraux déclenchent indépendamment d’intenses polémiques.

Si l’ouverture de la rue de Rennes est liée à la création du réseau métropolitain, il n’en demeure pas moins qu’elle n’a de sens que si elle est prolongée par le pont mentionné dans le décret de 1866. Celui-ci indiquait que la rue déboucherait sur le quai Conti « en face du nouveau pont projeté sur la Seine dans l’axe de la rue du Louvre »338 (voir fig. 5). S’appuyant sur ces prescriptions, diverses propositions d’ingénieurs et d’architectes sont formulées début 1902, dont le projet Saint-Père, accepté par la Société des Artistes français en 1902339 et le « pont de la Monnaie » d’Édouard Bérard340. Un troisième projet de pont, anonyme et non daté, conservé au musée Carnavalet, semble pouvoir être rattaché à cette période341.



En haut : ponts proposés en 1902 par Edouard Berard et Saint-Pères. En bas : projet anonyme et non daté d’un pont pour le prolongement de la rue de Rennes (Musée Carnavalet, cabinet des arts graphiques, Topo-PC 104A, anonyme, Institut ; pont des Arts, s.d.). Clichés Baptiste Essevaz-Roulet.

La description des propositions ne rentre pas, nous semble-t-il, dans notre propos. Soulignons toutefois que les auteurs de ces ouvrages se sont attachés à proposer des ponts « d’une grande intensité décorative »342 avec de nombreuses allégories destinée à rendre hommage à leur emplacement en tête de la « proue » de l’île de la Cité. La présentation de ces projets déclenche une hostilité immédiate. D’après Hénard, la construction d’un ouvrage d’art à l’emplacement préconisé par le décret « aurait le déplorable inconvénient de saccager sans rémission l'un des aspects les plus précieux, les plus universellement connus de la grande ville, celui de tous qui est peut-être le plus caractéristique, la vue du Pont-Neuf et de la pointe de la Cité ». Il conclut que « s'il y a un endroit, un seul endroit dans Paris, où il ne faille pas faire passer un pont, c'est celui-là »343. Le journal L'Éclair du mercredi 22 janvier 1902 résume à son tour une opinion répandue : « L'idée venue aux ingénieurs de la Ville de placer un pont de dimensions colossales – il sera à peu près de la largeur du pont Alexandre III – (...) n'est pas du goût de tout le monde. La commission du Vieux-Paris (...) a protesté avec véhémence contre ce projet, qu'elle qualifie d'insensé ». Dans un de ses romans, Anatole France fait s’exclamer un de ses personnages : « Avez-vous vu (…) que ces cochons-là vont éventrer le palais Mazarin et recouvrir de je ne sais quels ouvrages d’art la pointe de la Cité, le lieu le plus auguste et le plus beau de Paris ? Ils sont pis que les Vandales, car les Vandales détruisirent les monuments de l’antiquité mais ne les remplaçaient pas par des bâtisses immondes et des ponts d’un style infâme, comme le pont Alexandre [III] »344. Peu nombreux sont ceux qui défendent ouvertement le pont sur la Seine, à l’instar de quelques journaux345 et du conseiller municipal du VIe, Duval-Arnould, qui veut « faire respecter (…) les décisions prises »346. La polémique tourne court en février 1902 lorsque les services de la Ville de Paris annoncent renoncer à la construction d’un pont : « M. le préfet de la Seine et M. Bouvard donnèrent l'assurance formelle qu'il n'était plus question de construire un pont momentanément, que la circulation, grâce au Métropolitain passant sous la Seine, serait considérablement diminuée au-dessus, dans la traversée du fleuve : les ponts existants desserviraient très suffisamment les rues nouvelles. (…) M. Bouvard fut parfaitement net. ’’J'ai créé les deux voies, dit-il, afin de rendre le pont inutile : la circulation sera divisée en deux ; on suivra d'un côté vers le Pont-Neuf, et de l'autre côté, vers le pont des Saints-Pères’’ »347. La commission du Vieux Paris donne alors le 13 février 1902 « un avis favorable au nouveau plan de prolongement de la rue de Rennes » tout en renouvelant « ses protestations (…) contre tout projet de jeter un nouveau pont sur la Seine entre le Pont-Neuf et le pont des Arts. »348


« S'il y a un endroit, un seul endroit dans Paris, où il ne faille pas faire passer un pont, c'est celui-là ».

Comme nous l’avons vu plus haut, l’Institut doit perdre une partie de ses bâtiments annexes sis le long de la rue Mazarine mais doit gagner de la surface à l’arrière du bâtiment principal. L’opinion générale est plutôt favorable à la transformation du monument : « On peut s'attendre à voir surgir de ce côté [rue Mazarine], aujourd'hui sombre et disgracieux, funèbre, des façades follement monumentales. Nos immortels ne s'en plaindront point ; ils seront plus somptueusement logés que jadis, et il disposeront d'une superficie plus considérable »349. Pourtant, la commission administrative de l'Institut de France s'oppose au passage de la rue de Rennes et du métropolitain dans les dépendances du palais Mazarin. C'est une opposition inattendue qui surprend les membres de la commission du métropolitain350. Dès le mois d’avril 1902, les membres de l’Institut sollicitent le Président du Conseil et Ministre de l’intérieur et des Cultes au sujet de leurs préoccupations. L’institut s’inquiète de savoir par qui sera supportée la dépense qu'entraînera la reconstruction de la partie supprimée de l'Institut et quelles sont les mesures proposées pour assurer, sans l'interrompre, le fonctionnement de l'Institut pendant la durée des travaux351. Interrogé par le Ministre, le préfet de la Seine de Selves, répond aux questions le 29 avril. Ses assurances étant considérées comme insuffisamment explicites, le préfet reprend la plume le 16 juin. À la première préoccupation, le préfet rappelle que « à l'égal de tout propriétaire, aura droit à une indemnité équivalente à la valeur du terrain ainsi que des bâtiments et agencements dont il sera dépossédé ». Il estime qu’il appartient « à l’État de faire tel emploi qu’il jugera convenable de cette indemnité »352. Quant aux mesures qui seraient adoptées pour ne pas interrompre le fonctionnement de l'Institut, le préfet déclare : « comme il importe dans ce but que l'État puisse procéder rapidement aux constructions destinées à remplacer les bâtiments atteints, l'Administration municipale prendrait toutes les dispositions utiles pour exproprier d'abord les immeubles à englober dans le nouveau périmètre du Palais et mettre aussitôt leur emplacement à la disposition du ministère compétent. Comme d'autre part, il ne paraît pas impossible d'exécuter en sous-oeuvre et sur une certaine longueur les travaux du métropolitain, on peut prévoir que les services de l'Institut, touchés par l'opération d'ouverture de la rue de Rennes, seraient maintenus à leur emplacement pendant un temps qui permettrait leur réinstallation. Je répète du reste que mon administration se prêtera à toutes les mesures de nature à ménager les intérêts en cause »353. En d’autres termes, le préfet de la Seine laisse l’État se charger du financement complémentaire, de l’organisation et de la reconstruction des annexes de l’Institut. Le préfet de Selves reconnaît de plus « qu'il n'est pas possible de prendre un engagement susceptible de sauvegarder davantage les intérêts en cause (...) [et] qu'on aurait mauvaise grâce à ne pas trouver suffisantes ». C’est pourtant ce qu’il se passe car les Académiciens persistent à se considérer comme victimes d’un projet « d’ordre purement municipal »354.

Durant l’année 1902, le débat se déplace dans la presse, la plupart des articles consacrés à l’opération étant favorable à la position de l’Institut. De nombreux arguments sont utilisés pour discréditer le projet. On parle d’un pilier essentiel à la structure de l'Institut qui risquerait d'être déstabilisé par les travaux355. D'autres évoquent le passage du métro sous la coupole, voire, comme le rapporte le préfet de la Seine, la perspective de percer directement la porte monumentale de l'Institut356. Enfin, on craint le ronronnement du métro qui pourrait déranger le travail des académiciens357. À l’été 1902, l’Institut reçoit le soutien du Ministre de l’Instruction Publique et celui des Finances et des Travaux publics. Ce dernier assure qu’il n’accepterait pas le projet de la Ville, celle-ci n’ayant pas pris l’engagement formel de prendre à sa charge les 10 millions que les travaux nécessiteraient selon une vague évaluation. Les académiciens estiment que la Ville n’a pas les moyens de payer cette somme, d’autant que « 10 millions d’architecte, on le sait, cela signifie le double » et se réjouissent d’infliger un revers à « certains ingénieurs (…) atteints d’une trop dangereuse ‘’haussmannite’’ »358. Le conseiller municipal Duval-Arnould s'émeut de l'état d'esprit que révèle la campagne de presse et de l’hostilité des membres de l’Institut, soit par les prises de position des intéressés soit de leur complicité par leur silence. Mais le conseil municipal est au pied du mur. Il demande au préfet de proposer d'urgence, aux ministres compétents, la constitution d'une commission où seront représentés les ministres, l'Institut, le conseil municipal et le préfet de la Seine, afin de régler par une entente amiable les diverses questions relatives à l'expropriation des bâtiments annexes du Palais-Mazarin359. Fin décembre 1902, le ministre de l'Intérieur prie le préfet de la Seine de s'entendre directement avec la commission administrative de l'Institut pour régler la situation au moyen de conférences. L’Institut, par l’intermédiaire de Boissier et Berthelot, porte-drapeaux de la contestation360, déclinent, estimant d'abord qu'une convention doit être établie par les ministères de l'Instruction publique et de l'Intérieur361. Georges Picot, membre de la commission administrative de l’Institut conclut qu’ « aucune garantie n'ayant été offerte ou donnée en ce sens, je crois que l'Institut ne peut qu'approuver l'opposition très énergique faite à un projet d'expropriation qui, en portant atteinte à un service public, se ferait, contrairement aux principes des plus indiscutables du droit, sans indemnité ni garantie préalable »362.

Le retard que prend le projet stimule la recherche de solutions alternatives. Le passage de la ligne 4 sous les bâtiments annexes de l'Institut sans les démolir est étudié en novembre 1902 par Fulgence Bienvenüe à la demande de la commission du métropolitain363. Une étude de déviation par la rue Bonaparte est demandée début 1903 par l’État au Conseil Général des Ponts et Chaussées, pour savoir « si l'opération de voirie dont il s'agit est réellement nécessaire pour le passage de la ligne [4], et si notamment, cette ligne ne pourrait pas être déviée par la rue Bonaparte, en suivant le tracé d'une variante qui m'a été communiquée à l'appui des protestations »364 (voir fig. 8). Mais le conseil général des Ponts et Chaussées considère que la variante « exposerait le palais du Louvre à de trop grands risques pendant l'exécution des travaux et (…) qu'elle exigerait d'autre part, l'élargissement de la rue Bonaparte sur 365 m de longueur, c'est-à-dire une opération de voirie comparable comme dépense au prolongement de la rue de Rennes ». Les Pont et Chaussées rappellent que l’on pourrait réduire la dépense en n’appliquant à la voie nouvelle qu’une surlargeur de 2 m de chaque côté du gabarit du métro mais considèrent qu’ « il serait toutefois de bonne administration et conforme à l'intérêt public de mener de front la construction du chemin de fer et l'ouverture de la rue Nouvelle, sauf à imputer sur les ressources générales du budget la dépense concernant exclusivement l'excédante de largeur »365.


Étude de tracé du métro, conjointement au prolongement de la rue de Rennes, avec variante passant sous la rue Bonaparte (AD de Paris, Plans 3310 ou 1O8 23, « Plan pour un projet non réalisé de traversée de la Seine [avant 1904] »). Cliché Baptiste Essevaz-Roulet.

Le président de la commission du Métropolitain évoque enfin un projet radical de détournement de la ligne 4 : « j'ai été informé qu'un projet qui constituerait l'abandon complet du passage par la rue de Rennes ; cette variante s'exécuterait par la rue Danton, la place Saint Michel et le boulevard Saint Germain »366. Les réactions des membres de la commission ne sont pas consignées, mais la question réapparaît à la séance suivante. La séance du 7 février 1903 s’avère en effet décisive. La conviction que la déviation de la ligne 4 est inévitable semble prendre corps au fur et à mesure que se déroule cette réunion. Navarre déclare qu'il « est beaucoup plus simple de dévier le tracé que de s'obstiner à passer par la rue de Rennes ». Cette proposition est reprise ensuite par plusieurs membres. Landrin constate qu’il faut trouver les fonds, dans le budget, pour reconstruire par avance les bâtiments annexes de l'Institut ce qu’il estime être alors impossible. Tout en regrettant d'aller contre l'intérêt local de certains quartiers, il propose le passage de la ligne n° 4 par le boulevard du Palais, la rue Danton, le boulevard Saint-Germain et la rue de Rennes. Patenne estime quant à lui qu’il n’est « pas possible d’arrêter le reste du réseau si ce tracé n’est pas exécutable ». Seul Duval-Arnould, une nouvelle fois, défend le tracé initial367. Le président de la commission demande alors à l'ingénieur en chef Fulgence Bienvenue d’étudier une variante par la rue Danton ou par la rue Dante.


Le tracé originel (en rouge) et les deux variantes étudiées par Fulgence Bienvenüe à la demande de la commission du métropolitain en février 1903. Cliché Baptiste Essevaz-Roulet.

Bienvenüe rend son rapport deux jours plus tard, le 9 février 1903, et évalue la modification du tracé du point de vue légal et du point de vue technique. Sur le plan juridique, il conclut que la « modification de la ligne n° 4 (…) est légalement possible » mais, ajoute-t-il, il faut relancer l’enquête et tout le processus qui avait abouti à la déclaration d’utilité publique du 30 mars 1898 et qui avait duré 2 ans : enquête d’utilité publique, vote du conseil municipal, conférence mixte, instruction par le Conseil Général des Ponts et Chaussées et le Conseil d’État, procédure parlementaire... Du point de vue technique, il évalue la faisabilité de deux tracés alternatifs, ayant en commun un cheminement sous le boulevard Saint-Germain, l’un se rapprochant de la Seine par la rue Dante, l’autre par la rue Danton. Les deux tracés se rejoignent ensuite sous l’île de la Cité, puis passent par Châtelet avant de rejoindre le tracé initial au niveau des Halles. Bienvenüe souligne d’abord la grande difficulté qui est rajoutée au projet par le fait que l’un et l’autre des tracés doivent effectuer une « immense plongée sous la Seine qu’il faut traverser dans sa partie la plus large, suivant un tracé sinueux, dans le voisinage des culées des ponts et d’édifices importants », tout en passant sous la ligne n° 1 et sous le chemin de fer d’Orléans (auj. ligne C du RER). Visiblement réticent, l’Ingénieur en Chef insiste sur la complexité des techniques de forage qu’il faudra mettre en oeuvre, techniques connues, mais dont aucune application « égale les difficultés (…) mentionnées ». Il conclut que « l’aventure ne peut être tentée qu’avec de très grands frais et au prix de très gros risques ». L’Ingénieur en chef conseille de réaliser le tronçon selon le tracé initial, sous la rue de Rennes « dont personne au surplus ne conteste l’immense utilité »368. Mais la décision de dévier est prise et, le 30 avril 1903, un arrêté prescrit l'enquête pour le tracé entre les Halles et Saint-Germain-des-Prés. Bienvenüe fournit son rapport sur cette enquête en juin. Le passage par la rue Danton est approuvé par délibération du 9 juillet 1903 puis par arrêté du 26 août369, donnant à la ligne 4 son « allure serpentiforme »370.

On ne peut, a posteriori, qu’être surpris devant l’écho qu’ont rencontré les protestations des membres de l’Institut. Le projet portait sans doute en lui les germes de la discorde. Il requérait des financements multiples et impliquait de nombreux acteurs institutionnels dont les susceptibilités n’ont pas toujours été ménagées. La municipalité a semble-t-il toujours considéré comme acquise la coopération de l’Institut mais les académiciens ont été apparemment laissés dans l'ignorance du détail des opérations projetées et ont pu estimer se faire forcer la main. L’explication vient peut-être de ce que ni les plans de modification des bâtiments de l’Institut, ni les financements nécessaires n’ont été suffisamment anticipés par la municipalité. En substance, Picot de l’Institut aurait dit à Félix Roussel, conseiller municipal, « Vous parlez toujours du plan de l'Institut ; mais il n'y a jamais eu de plan de l'Institut pour la ligne métropolitaine n° 4 ». De son côté, le président de la commission du métropolitain a reconnaît que « les plans ne sont pas complets » et Félix Roussel ajoute que « la dépense [pour la reconstruction de l’Institut] n'est pas connue actuellement ; elle a été évaluée entre 6 et 10 millions »371. Comment dans ces conditions, l’Institut aurait-il pu se laisser convaincre d’abandonner ses annexes ? Enfin, comme l’écrira Duval-Arnould en 1909, « divers intérêts se liguèrent alors contre l'opération et trouvèrent malheureusement un point d'appui dans l'opposition de l'Institut de France. »372 L’État n’a pas joué son rôle d’arbitre ; il a au contraire attisé un conflit qui mettait en échec la municipalité avec qui il était en opposition politique373.



1903-1909 : l'attente
La modification du tracé initial de la ligne 4 du réseau métropolitain fait perdre à la Ville de Paris une occasion majeure de prolonger la rue de Rennes, projet « ajourné pour longtemps » dit-on en 1905374. Pour autant, les études de réalisation ne semblent pas marquer l’arrêt. L’intense polémique de janvier-février 1902 inspire une série d’architectes qui proposent de nouvelles solutions pour franchir la Seine dès la fin de l’année 1902. Ils récusent l’accord que passent les différentes parties pour un prolongement de la rue de Rennes sans pont, considérant que le franchissement de la Seine au débouché de la voie nouvelle est inévitable à terme. Hénard l’exprime dans ces termes : une fois que la rue de Rennes aura atteint le quai Conti, « il deviendra impossible (…) de résister à l'attraction réciproque des circulations intenses qui s'établiront à l'extrémité des deux grandes voies situées en face l'une de l'autre, à 200 mètres de distance. Il se produira là un phénomène analogue à la tension électrique qui existe à l'extrémité de deux conducteurs voisins : il arrive un moment où l'étincelle éclate, brise ou franchit tous les obstacles. Dans le cas qui nous occupe, la tension de la circulation, si je puis m'exprimer ainsi, fera son oeuvre »375.

Les trois architectes dont le projet nous est parvenu sont Eugène Hénard, F. J. Pillet376 et le tandem Binet-Hennebique. Le point commun de leur proposition est d’abandonner le tracé de pont imaginé par les services d’Haussmann et d’y substituer un pont discret et carrossable en place de la passerelle des Arts. Un tel pont n’aurait certes pas de débouché direct ni sur la rue de Rennes prolongée ni sur la rue du Louvre mais ce n’est pas un pont supplémentaire. Chronologiquement, le premier est Eugène Hénard qui publie en décembre 1902 un projet complet. Plutôt que la percée voulue par Haussmann, il propose de créer une nouvelle voie presque parallèle à la rue Bonaparte, tangente au pavillon ouest de l'Institut. La voie est ensuite prolongée par un pont en biais sur la Seine débouchant place du Louvre. Un autre pont biais provenant de la place de Conti et aboutissant au quai du Louvre, symétrique au premier, le croise au milieu du fleuve. Le double pont forme donc un X sur la Seine. Hénard s'attache à ce que le pont, dans sa partie supérieure, « ne [comporte] aucun motif en hauteur afin de dégager la vue sur tous les côtés. Sa décoration très simple ne se [développe] qu'au-dessous du tablier. (…) Du centre du pont en X, on jouirait du panorama dont on jouit actuellement du centre du pont des Arts ». Le projet d’Eugène Hénard, par son principe audacieux et spectaculaire, a un grand retentissement, surtout dans la presse. Apparemment sans avoir eu connaissance du projet de Hénard, F. J. Pillet, ingénieur des Arts et Manufactures, propose en mai 1903 « un pont des Arts Carrossable ». Le pont proposé est situé à la même place que la passerelle piétonne et fondé sur deux piles proches des rives. Pour faciliter l’accès des véhicules aux quais, les extrémités du pont s’évasent largement. L’ingénieur insiste enfin sur le fait que son projet est plus élégant que la passerelle et ne modifierait pas l’aspect pittoresque de ce point du fleuve. Enfin, en 1905 François Hennebique, l’inventeur du béton armé, et l’architecte René Binet présentent leur projet de « pont de l’Institut »377 s’appuyant sur les mêmes principes que celui de Pillet. Leur pont en béton armé est fait de « lignes pures, des formes harmonieuses et une ornementation sobre », constituant une « Rue de l’Institut » végétalisée. Seule véritable originalité, les auteurs proposent de préférer l’élargissement de la rue Bonaparte « du côté droit » à une percée nouvelle. On signale aussi un projet de pont par Giard, ingénieur du Service de Navigation, reproduit dans le magazine L’Illustration du 19 mars 1910378. L’esquisse n’étant pas datée, on ne sait attribuer avec certitude la période à laquelle il se rattache : le tracé reprend celui d’Haussmann, mais la sobriété de sa décoration peut se rapporter à ce second mouvement.


Les propositions de pont prenant le contrepied de la première vague de projets : sobriété et discrétion des seconds contre intensité décorative des premiers. De gauche à droite : Hénard, Pillet, Binet-Hennebique et Giard. Clichés Baptiste Essevaz-Roulet.


1909-1930 : un début de réalisation
En 1909, « le conseil municipal estime que l’heure est venue où les grands travaux de voirie peuvent reprendre »379. Les disponibilités à provenir des emprunts de 1869 et de 1865, qui sont amortis le premier en 1909, le second en 1929, lui donne les moyens de se montrer ambitieux pour la première fois depuis longtemps380. Le conseil municipal envisage plus de 300 opérations pour un budget qui avoisine le milliard de francs.

En avril 1909, le journal Le Figaro croit savoir que le prolongement de la rue de Rennes est remis « à l’ordre du jour »381 et sera inscrit dans un budget de 450 millions affecté aux opérations de voirie d’intérêt général pris sur un emprunt de 800 millions de F382. Ce n’est pourtant que le 11 juin 1909 que le préfet de Selves présente au conseil municipal son « mémoire relatif à un programme de grands travaux et à la conception des ressources financières qui devront faire face à ces grands travaux »383. Le préfet se place dans un premier temps dans une perspective de stratégie financière plus qu’il ne détaille le programme. Le conseiller Ambroise Rendu lui en fait le reproche : « Il manque à l’exposé sommaire de ces travaux un commentaire explicatif, ou mieux un plan de campagne raisonné et méthodique »384. Les membres du conseil municipal semblent ne pas avoir été associés à la démarche du préfet : « Quelle a été la genèse du plan préparé par M. le préfet ? Quelle est sa base ? Nous n’en savons rien, étant donné le silence prudent de l’auteur du mémoire »385. La liste des dépenses et des travaux n’est pas définitive. Comme le résume, sans faire l’unanimité, le conseiller Dausset, « c’est seulement quand nous aurons fixé le chiffre de la somme à emprunter que les commissions et le Conseil pourront déterminer la nature des travaux »386. De plus, la crainte de favoriser la spéculation immobilière autour des tracés envisagés contraint le préfet à la discrétion. Le conseil municipal tient ainsi une « séance secrète » le 18 juin 1909 « pour entendre le préfet fournir des explications supplémentaires sur le mémoire des grands travaux »387.

Pour autant, certains travaux envisagés par l’administration sont connus et semblent comprendre, non pas le prolongement de la rue de Rennes proprement dit, mais la création d’une nouvelle voie entre la place Saint-Germain-des-Prés et le Pont-Neuf388. Duval-Arnould estime cette proposition « inacceptable dans les conditions où elle est formulée et sans des compléments essentiels »389 et s’insurge contre la solution retenue qu’il juge « assurément moins élégante et moins efficace » que le tracé traditionnel de Bouvard, « plus d’accord avec les besoins de la population »390. Le conseiller municipal reproche à la formule du préfet de n’offrir à la rive gauche aucun débouché nouveau et plaide pour la réalisation d'un pont entre celui du carrousel et du Pont-Neuf qu'il considère comme absolument nécessaire à la circulation, qu’on fasse ou qu'on ne fasse pas la rue de Rennes391. Il semble que les arguments du conseiller municipal aient porté leurs fruits ou rencontré un soutien car le tracé vers le Pont-Neuf proposé par le préfet est remplacé dès le mois suivant par le prolongement de la rue de Rennes de la place Saint-Germain-des-Prés à la place Conti.


Au cours du printemps 1909, le parcours vers le Pont-Neuf (en rose), un temps préféré, est finalement abandonné au profit du tracé de Bouvard, ici en jaune. Archives de Paris, VO11 3000, 22 juin 1909, cliché Baptiste Essevaz-Roulet.


Afin d’effectuer un choix définitif, une liste des travaux jugés les plus urgents est dressée, mi-juillet 1909, par Girou pour la 3e commission municipale après étude des dossiers des travaux de voirie réclamés par les quatre-vingt conseillers des quartiers de Paris392. Les travaux projetés qui figurent en première ligne sont l’achèvement du boulevard Haussmann, la rue de Rennes prolongée, la rue du Louvre, la rue Montmartre, l’élargissement de la rue du Bac, « l’établissement du pont de la Monnaie ou la transformation du pont des Arts »393, « ou un passage sous le fleuve »394 et l’avenue de l’Hôtel-de-Ville par la rue Beaubourg. Les opérations de voirie sont votées le 24 juillet 1909395, comprenant l’achèvement de la rue de Rennes et son raccordement avec la rue du Louvre avec construction d’un pont sur la Seine pour un chiffre global de 38 millions de F396. En août 1909, Le Figaro confirme que la décision de prolonger la rue de Rennes est prise et que c’est le tracé de Bouvard qui est finalement retenu397. L’étude cadastrale destinée à identifier les propriétaires des parcelles concernées par le projet est menée en octobre 1909398.


Liste des parcelles concernées par l'opération de prolongement de la rue de Rennes votée le 24 juillet 1909. AD de Paris, VO11 3000, Service du Plan de Paris, Rue de Rennes et dégagement de l’Institut, 23 octobre 1909, cliché Baptiste Essevaz-Roulet.


Le plan définitif du prolongement projeté de la rue de Rennes est communiqué le 6 novembre 1909 à la Direction administrative des Travaux. Il est prévu deux trottoirs bitumés de 4 m de largeur chacun, et une chaussée pavée de bois de 14 m de largeur, caractéristiques identiques en tous points à celles de la rue de Rennes à l’époque399. Le budget de 900 millions de F fondé sur l’emprunt adopté le 24 juillet 1909 est voté en décembre 1909400. Sur ce budget, 440 millions sont réservés à des opérations de voirie401. Une première tranche de 235 millions – qui restera unique – est émise en 1910, sur laquelle une somme de 5,5 millions est inscrite au mémoire des grands travaux pour le prolongement de la rue de Rennes. « C'est l'indication que l'opération est décidée et dès lors la question se pose de savoir si l'on construira un nouveau pont sur la Seine » s’interroge Le Figaro du 7 mars 1911402.

Les Parisiens se retrouvent en effet face à la même perspective que dix ans plus tôt. Le prolongement de la rue de Rennes est programmé et la construction d’un pont s’apprête à l’être. L’Institut proteste « énergiquement » contre toute modification du bassin fluvial compris entre le Pont-Neuf et le Pont des Arts403 mais il n’adopte pas l’attitude hostile qui fut la sienne en ce qui concerne la démolition de ses bâtiments annexes. C’est dans des termes très mesurés que le président de la commission administrative centrale de l'Institut s’adresse au sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts le 29 mars 1911 : « L'Institut se préoccupe des conséquences qui résulteraient d'une démolition partielle du palais pour les services qui y sont installés, et la commission centrale serait heureuse d'avoir communication des projets qui ne peuvent manquer d'avoir été déjà préparés pour la transformation à intervenir. De cette façon, elle pourrait étudier ces projets et donner un avis utile sur la distribution des locaux »404. L’Institut finit par entériner la modification de ses locaux, moyennant quelques débats sur les conséquences des différents tracés. Il va jusqu’à proposer au ministre que la reconstruction fasse l’objet d’un concours, proposition acceptée le 26 mars 1914405.

En revanche, le projet de pont déclenche une polémique dont l’intensité redouble. Tous ceux qui s’étaient opposés au « saccage » de la pointe de l’île de la Cité se remobilisent, plus déterminés encore par le fait qu’ils croyaient leur victoire de 1902 acquise. André Hallays anticipe la bataille dès juillet 1909406. Duval-Arnould se pose une nouvelle fois en défenseur du projet dans son ensemble. Il demande par exemple à la commission du Vieux Paris de bien distinguer la rue, dont le projet est accepté et doté et qu’une loi autorise, et le pont407. Une rue sans pont, certains, comme Le Figaro, s’en satisfont : « L’opération de prolongement de la rue de Rennes [sans le pont] (…) devient utile et concourt à l'embellissement de Paris. Elle assainit les rues Visconti et de Seine. Elle aide à l'agrandissement et à la glorification de l'Institut. On abat de vieilles maisons sans intérêt ; on borde d'arbres de nouvelles rues spacieuses et, au besoin, on transforme la passerelle des Arts en pont carrossable afin de donner satisfaction aux habitants de la rive gauche »408. Pourtant la protestation contre « l’abominable projet » se radicalise. La dissociation de la rue et du pont est désormais perçue comme un moyen de tromper les opposants dans la perspective que, à terme, l’une et l’autre se fassent. Échaudés par l’expérience de 1902, André Hallays résume : « il n'est qu'un moyen d'empêcher la construction du pont, c'est d'empêcher l'ouverture de la rue »409. Pétitions et protestations fleurissent tout au long du printemps 1910410. La commission du Vieux Paris émet, le 25 mai 1910, le voeu « que la rue de Rennes ne soit pas prolongée de manière à aboutir sur le quai Conti (…), le tracé de cette voie nouvelle devant entraîner fatalement (…) la construction d’un pont nouveau à la pointe de l’île de la Cité, construction contre laquelle la commission a toujours protesté »411. Dans le même esprit, la société Historique du VIe arrondissement et dix-sept autres associations412 publient en mai 1911 une résolution hostile au prolongement de la rue de Rennes et au pont biais s’appuyant sur l’île de la Cité413. L’assemblée écarte également l'idée du pont des Arts carrossable et préfère la création d'une rue vers le pont du Carrousel, à la rigueur, et comme solution moins favorable, de la prolonger sur le Pont-Neuf. De Selves achevant son mandat en juin 1911, on s’en remet au nouveau préfet de la Seine : « Notre nouveau préfet, M. Delanney, est un lettré et un artiste ; les Parisiens peuvent avoir confiance en lui : il ne prêtera certainement pas la main à la destruction d'un des plus beaux aspects de notre Capitale »414.

Du côté de l’administration, « aucun des projets primitivement étudiés pour le pont du Louvre n'[ayant] paru réalisable après la crue de la Seine de 1910 »415, les ingénieurs doivent travailler sur de nouveaux plans. De plus, la commission instituée à l'effet de centraliser l'action des divers services chargés de veiller au maintien des perspectives monumentales de la Ville de Paris émet le 6 avril 1911 le voeu que « l'axe du Pont des Arts actuel fût conservé, et que le nouveau pont fût d'un aspect monumental et en harmonie avec le caractère des bâtiments des deux rives de la Seine qu'il devra relier »416. Le nouveau préfet estime que l’établissement d'un projet de cette importance doit faire l'objet d'un concours public, dont l’administration doit se contenter de déterminer les conditions à imposer aux concurrents417. Il suit en cela la proposition formulée par les conseillers municipaux Duval-Arnould, Félix Roussel, Alpy et plusieurs de leurs collègues418. Le préfet institue, par arrêté préfectoral du 8 septembre 1911, une commission chargée d’élaborer le programme en vue du concours à ouvrir pour déterminer les dispositions générales et la décoration d'un pont carrossable à construire sur la Seine à l'emplacement de la passerelle des Arts419. Du point de vue du financement, la Ville et l’État se partageraient par moitié les dépenses du chantier420. Le cahier des charges du concours est achevé en 1914. Dans l’esprit des rédacteurs, « les raccordements du pont avec les quais devront être étudiés sur la rive gauche, de manière à éloigner le plus possible de la partie centrale de la façade de l'Institut les courants de circulation venant de la rue de Rennes et empruntant le pont »421.


Cahier des charges du concours de pont carrossable à construire à la place du pont des Arts. Ce concours, lancé à l'aube de la Première Guerre Mondiale, n'aboutira jamais. AN, F21 5719, Concours pour la construction d'un Pont Carrossable à l'emplacement de la passerelle des Arts, cliché Baptiste Essevaz-Roulet.


Pendant ce temps, d’autres services de l’administration préparent l’ouverture de la rue de Rennes à travers le quartier Saint-Germain-des-Prés. Entre la place Saint-Germain-des-Prés et les quais de Seine, près de quatre-vingt parcelles cadastrales et 3 235 occupants sont concernés par les expropriations422. À l’aide de la première tranche de crédits votée, les premières expropriations sont espérées pour 1911423. Les premiers immeubles sont finalement acquis par la Ville de Paris en 1912 : le 24, rue de Seine est cédé le 26 février424, et le 22-24, rue Jacob est exproprié le 1er juillet425. Les Archives de Paris conservent de nombreux dossiers d’expropriation établis par l’architecte-voyer du VIe arrondissement, Jules Antoine puis Mignon vers 1920. Sa mission est d’évaluer la valeur des biens immobiliers et des commerces pour fixer les indemnités à payer. Les dossiers ainsi constitués sont autant de précieuses descriptions des immeubles du quartier, et comportent des indications sur leurs habitants, leurs industries et leurs commerces426.

En juillet 1913, alors que ces opérations d’expropriation sont déjà engagées, la « Société Immobilière Arbelot et Compagnie »427 propose, par le biais de son gérant Joseph Arbelot, de « seconder » les efforts de la Ville en se chargeant d’une partie du travail de percement de la nouvelle artère de la place Saint-Germain-des-Prés à la rue des Beaux-Arts. La Société a quelques atouts en main, notamment les promesses de cessions amiables de neuf propriétaires sur les treize situés entre la place Saint-Germain-des-Prés et la rue Visconti428 et avec la plupart des locataires, promesses dont elle fixe l’échéance au 1er avril 1914. Les conditions de ces accords, selon Joseph Arbelot, sont « analogues à celles dans lesquelles ont été conclus les traités relatifs à l’élargissement de la rue du Bac et à l’ouverture d’une amorce de la voie nouvelle projetée vers le pont des Saints-Pères [actuelle rue Montalembert] » (voir plus bas). Toujours par analogie, la Société propose de reprendre tous les terrains restant après l’ouverture de la voie, moyennant un prix moyen de 390 F le m², et ceci, afin d’éviter à la Ville d’immobiliser longtemps « un capital important qu’elle pourra employer plus utilement ailleurs ». La Société Arbelot justifie le rachat à la Ville des parcelles hors alignement à un prix « un peu modeste » par le délai qui s’écoulera entre le moment où les immeubles seront détruits et celui où les parcelles dégagées prendront de la valeur. De plus, argue son directeur, l’obtention de l’accord de l’Institut et la construction du pont des Arts carrossable devraient faire prendre un retard considérable au projet. Ce n’est en effet que « le jour où la voie sera complètement achevée (…) que le mouvement de la circulation et l’activité commerciale se porteront dans la nouvelle artère ». Ce rachat permettrait, toujours selon Joseph Arbelot, de faire économiser 1 443 000 F à la Ville sur le tronçon allant de la place Saint-Germain-des-Prés à la rue Visconti429. Sans réponse de la Ville, Arbelot poursuit ses démarches, se rapproche des propriétaires et locataires de la section suivante comprise entre la rue Visconti et la rue des Beaux-Arts et fait, 6 mois plus tard, la même proposition que pour la section précédente430. Le 27 mars 1914, quatre jours avant l’échéance fixée par Joseph Arbelot, le conseil municipal signe une convention, approuvée par délibération, avec la société immobilière Arbelot et Cie en vue de l'ouverture de la rue de Rennes entre la rue de l’Abbaye et la rue des Beaux-Arts. Par cette convention, la Ville de Paris concède à la Société la faculté d'acquérir au prix de 500 F le mètre-carré les terrains hors alignement, après démolition des immeubles intéressés au compte de ladite société. Celle-ci s'engage à construire sur les parcelles qui lui étaient concédées des immeubles « à toute hauteur » dans un délai de deux années après la signature du contrat de vente. La convention spécifie que la superficie des terrains concernés par l’opération est « indéterminée » au jour de la signature et qu’elle ne sera arrêtée qu’après intervention d’un décret pour fixer les nouveaux alignements de la rue de Rennes431. Plusieurs variantes de tracés apparaissent, en effet, sur les plans d’expropriation. Certaines ont pour objectif de minimiser, pour des motifs budgétaires, la surface à restituer à l’Institut432.

Le rythme des acquisitions, sans commune mesure avec la célérité de Thome 45 ans plus tôt, atteint son maximum en 1914 avec l’acquisition de 12 parcelles. La Première Guerre Mondiale met un brutal coup de d’arrêt au processus. Plusieurs opérations en cours sont ainsi suspendues plusieurs années ; les expropriations ne reprennent qu’en 1920 mais beaucoup plus lentement433. Il semble que dès 1914 le budget alloué spécifiquement pour l’opération soit sur le point de s’épuiser434. Le conseil municipal décide le 26 mars 1915 d’affecter à la poursuite de la campagne d’expropriation les loyers que perçoit la Ville des immeubles communaux435. La solution se révèle insuffisante, et, faute de crédits, les acquisitions s’interrompent complètement vers 1930436. Environ quarante trois immeubles appartiennent alors à la Ville de Paris437 tandis que trente sept restent à acquérir438 (voir fig. 9). La Ville de Paris, tout comme la société Arbelot, se retrouve avec un patrimoine immobilier qu’il lui faut alors gérer et entretenir a minima. Considérant qu’« il serait fâcheux d’effectuer dans un immeuble condamné à une démolition plus ou moins prochaine, des travaux d’amélioration, si ces travaux doivent entraîner une lourde dépense et ne sont pas absolument indispensables »439, la Ville se contente d’effectuer les travaux d’entretien d’urgence (couverture, enduits…), évalués, pour l’ensemble du patrimoine, à 177 550 F en 1927440. De façon générale, son patrimoine se dégrade et « va à la ruine »441. Plusieurs immeubles de la partie est de la rue Visconti, déjà vétustes avant les expropriations, menacent même de s’effondrer442.


Représentation des parcelles acquises par la Ville pour le prolongement de la rue de Rennes (en rouge), et de celles restant à acquérir en 1930 (en jaune). Schéma Baptiste Essevaz-Roulet.

Bien qu’on dise qu’« en matière d’urbanisme, la réalisation seule compte »443, cette tentative de percement a laissé des traces. Les immeubles acquis intégrent en effet le fameux « domaine privé de la Ville de Paris » dont la gestion est visible : démolition du 8, rue Visconti, transformation des immeuble 13 et 15, rue Visconti en résidence pour personnes âgées et crèche, conservation de certains immeubles comme HLM. Les plus belles adresses sont revendues à partir du milieu des années 1990 à la suite à une série de scandales immobiliers. La société Arbelot, de son côté, cède ses droits à la société immobilière Bernheim Frères et Fils, une entreprise familiale de marchands de biens. La réalisation de la promesse de vente fixée par la convention signée avec la Ville de Paris était subordonnée à l'intervention d'un décret, finalement jamais pris, déclarant d'utilité publique l'opération de prolongement de la rue de Rennes444. L’administration, interpellée par Bernheim, s'interroge vainement en 1949 sur la façon de résilier la convention, d'autant « qu'il est impossible d'admettre que la Ville de Paris ayant reçu les avantages que lui conférait une convention, puisse reculer sine die le règlement de la contrepartie que celle-ci lui imposait »445. La résiliation a finalement lieu dans les années 1960, la Ville ayant été autorisée à en étudier les conditions financières par délibération du 8 novembre 1960446. La société Berheim finit par revendre son patrimoine.



1930-1937 : projets d’aménagement du quartier Saint-Germain-des-Prés
Le prolongement de la rue de Rennes s’inscrit, on l’a vu, dans un projet d’aménagement plus large du quartier Saint-Germain-des-Prés, conçu par Napoléon III dès 1853 (voir fig. 2, gauche). La rue de Rennes, avec ses deux branches débouchant de part et d’autre de l’Institut, fait partie d’un réseau de voies voulues par l’Empereur et comprises entre l’actuel boulevard Saint-Germain et la Seine447. Deux voies venant, l’une du carrefour de la rue du Bac et de la rue Saint-Dominique, l’autre de la place Saint-Germain-des-Prés, doivent converger au niveau de la rue de Lille vers un large tronçon faisant face à un nouveau pont du Carrousel, aligné sur les nouveaux guichets du Louvre, côté Seine. Ce réseau projeté figure sur de nombreux plans et ce, jusqu’au début du XXe siècle. Comme l’a écrit Haussmann, chaque voie de ce réseau était d’égale importance et était en relation étroite avec les autres. Haussmann imaginait tout simplement « révolutionner la rive gauche » par la mise en relation directe de Montparnasse avec l’Opéra, le « coeur du Paris transformé »448.

Les dispositions à adopter pour réaliser le nouveau pont du Carrousel sont étudiées dès 1861449. Elles sont reprises lors d’une série de conférences, tenues le 15 septembre 1866, le 1er octobre 1866 et le 6 mai 1867, destinées à préparer la construction du pont et le nivellement de ses abords. La largeur du nouveau pont est fixée à 50,10 m, « cette largeur un peu inusitée »450 ayant pour but de correspondre aux cinq nouveaux guichets du Carrousel, réalisés entre septembre 1864 et août 1869451. La reconstruction du pont est abandonnée à la suite du déclenchement de la guerre de 1870, mais elle est toujours jugée « indispensable » en 1876, notamment à cause du prolongement à venir de la rue de Rennes et du percement de l’avenue de l’Opéra452. Le nouveau pont est finalement réétudié en 1930, décrété en 1933 et réalisé de juillet 1935 à juillet 1939. Il s’agit alors d’une opération jugée urgente, destinée à remplacer le vieux pont considéré comme structurellement défaillant et incapable, avec ses deux voies, de supporter le trafic automobile.

Bien que le nouveau pont s’inscrive dans le plan d’ensemble tracé dès 1864, il n’est guère question, lors de la préparation des travaux, des deux axes censés communiquer directement avec la place Saint-Germain-des-Prés et la rue du Bac. Le rapport au conseil municipal d’Adolphe Cherrioux en 1932 sur la reconstruction du pont du Carrousel n’y fait aucune allusion453. En fait, « l’ouverture d’une grande voie dans le prolongement du pont » avait été évoquée dans la conférence du 1er octobre 1866 relative au projet de construction du pont du Carrousel454. Mais, en 1871, les deux rues devant aboutir au pont du Carrousel sont classées parmi les « opérations non décrétées auxquelles on pourrait renoncer ». L’administration estime que « malgré l’intérêt que [présenteraient ces voies] (…) il semble qu’il y a lieu d’y renoncer quant à présent »455. Hénard considère en 1903 que l’intérêt d’une voie de Saint-Germain-des-Prés au pont est moins immédiat que le prolongement proprement dit de la rue de Rennes vers l'Institut. La préfecture de la Seine « ébauche » cependant, en août 1932, l’étude du percement de la voie en prolongement du pont du Carrousel456. Interrogés en septembre 1934 par la Direction du Plan de Paris sur la suite à donner aux projets de voirie relatifs à la rue de Rennes, plusieurs services de la préfecture de la Seine soulignent l’importance du tronçon débouchant sur le pont du Carrousel. Ils estiment l'option « nettement préférable à tout autres tracés »457 et constituant « le corollaire logique » de la reconstruction du pont du Carrousel. À l’inverse le tracé dirigé vers l’Institut est considéré comme nécessairement reporté en raison de la nécessité de réaliser une communication sous-fluviale avec la rive droite458. La réalisation de l’axe secondaire est parfois envisagée par section. L’une se bornerait à joindre la place Saint-Germain-des-Prés à la rue Jacob459. L’autre, côté quai, prolongerait le pont dans son axe jusqu’à la rue de Lille, où la voie s’inclinerait vers l’est, en direction de la place Saint-Germain-des-Prés, dégageant le bâtiment de l’École des Langues orientales460. On dresse même la liste des parcelles et de leurs propriétaires concernés par les expropriations461 et des dessins d’architectes anonymes esquissent ce qui pourrait être l’entrée de la rue nouvelle sur les quais462. De manière concomitante, l'Administration de l'Assistance Publique évacue l'hôpital de la Charité situé le long de la rue des Saints-Pères, entre le boulevard Saint-Germain et la rue Jacob. L'emplacement de l'hôpital est vendu à la faculté de Médecine qui projette d'y construire « des annexes ». La construction de l'édifice tient compte de la voie projetée de la place Saint-Germain-des-Prés vers le pont du Carrousel463.


Vues en perspective du futur pont du Carrousel par Georges Tourry, l'un des deux architectes de sa reconstruction, vers 1932. A gauche, vue de la jonction du pont avec la rive Droite, côté Louvre. A droite, étude de la jonction du pont avec l'entrée de la nouvelle rue à ouvrir, rive Gauche. Archives de Paris, 2276W 212, (non daté, vers 1932), clichés Baptiste Essevaz-Roulet.


Enfin, la voie nouvelle joignant le carrefour que forment les boulevards Raspail et Saint-Germain au pont du Carrousel, actuelle rue Montalembert, est amorcée en 1913, suite à l’initiative de Joseph Arbelot. Ce particulier est le directeur du magasin de nouveautés « Au Petit Saint-Thomas », situé à l’angle de la rue du Bac et de la rue de l’Université dans un immeuble appartenant à sa mère, veuve de Pierre dit Julien Arbelot. Sa parcelle est directement concernée par le projet d’élargissement à 30 m de la rue du Bac et de formation de l’amorce de voie nouvelle, projet figurant au nombre des opérations de voiries dotées sur l’emprunt de 900 millions de F de décembre 1909. Toutefois l’opération n’est pas inscrite parmi celles qui doivent être engagées aux termes de la délibération du conseil municipal en date du 12 décembre 1910464. Craignant que sa parcelle ne soit trop réduite pour y reconstruire son magasin, Joseph Arbelot propose au préfet de la Seine de réduire l’élargissement de la rue du Bac à 18 m et de devancer les travaux. Le directeur réussit à obtenir de la plupart des propriétaires des immeubles atteints par l’opération des promesses de vente ou des engagements de résiliation des baux à des prix que l’administration trouve avantageux. En contrepartie, il offre, « dans le seul but de faciliter l’exécution du projet », de racheter l’ensemble des terrains hors alignement pour un prix forfaitaire de 600 F le mètre carré465. Il présente un mémoire en ce sens au préfet de Selves le 20 mai 1911 de qui il obtient une audience une semaine plus tard. Les avantages procurés par cette initiative privée convainquent tous les services qui s’y déclarent favorables. Un traité amiable est signé avec Arbelot par délibération du conseil municipal du 24 novembre 1911 autorisant l’exécution des opérations demandées dans la limite de 6 millions de F466. Le directeur du magasin créé la Société Immobilière Arbelot le 2 décembre 1911 et les premiers terrains sont livrés le 1er avril 1913467, le dernier en 1924468. C’est donc fort de cette expérience que Joseph Arbelot se lance en 1914 dans l’aventure du prolongement de la rue de Rennes.


Projet d'élargissement de la rue du Bac et création d'une voie nouvelle par Arbelot. AD de Paris, VO20 133, cliché Baptiste Essevaz-Roulet.


Après la Première Guerre Mondiale, la priorité est à la reconstruction. On emploie les emprunts au développement des services publics, à la construction des habitations bon marché. Il n’est pas question de travaux de voirie, alors tout à fait secondaires469. C’est en revanche l’occasion de réfléchir à une nouvelle façon d’appréhender la ville.

La population parisienne a en effet atteint son maximum entre 1900 et 1910 et tend à diminuer. Au contraire, la banlieue « s’enfle d’un élan de plus en plus prodigieux »470, poussant les architectes et l’administration à étendre l’horizon de leurs réflexions. Comme le résume Honoré en 1920 dans L’Illustration, « il ne s’agit point désormais d’imaginer de prétendus ’grands travaux’ tels qu’un achèvement du boulevard Haussmann ou un prolongement de la rue de Rennes. Au-dessus des projets de voirie, il faut envisager un vaste programme d’urbanisme, nom sous lequel on distingue l’art de préparer et d’assurer pour une période aussi longue que possible le développement rationnel des villes, sous le rapport de l’hygiène, du confort, de l’art, du commerce et de l’industrie »471.

La « première loi d’urbanisme » sur les plans d’extension et d’aménagement des villes est votée le 14 mars 1919, imposant notamment aux communes du département de la Seine de dresser un plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension. Ainsi, le 23 avril 1919 est créée la direction de l’Extension ensuite scindée en direction du Plan de Paris, chargée du Paris intra-muros et dirigée par Doumerc, et la direction de l’Extension, chargée de la banlieue. Un bureau d’étude leur est adjoint permettant à l’administration de passer de l’abstrait au concret472. Un « concours d’idées » est organisé fin 1919 à la suite de cette révolution des mentalités, demandant aux candidats de proposer les aménagements qu’ils jugent nécessaires pour le « Grand Paris » de 1969. La définition de ce Grand Paris est, d’après le règlement du concours, « ce qui dans leur conception constitue l’agglomération parisienne », pouvant aller au-delà du département de la Seine473. Une soixantaine de projets est présentée et la « première prime » est attribuée au projet « Urbs » dirigé par Jaussely. Son projet concerne aussi bien l’aménagement de Paris intra-muros que la banlieue. Pour Paris, il propose une série de percées majeures et, pour ce qui nous concerne, la réalisation des voies nouvelles convergeant vers le pont du Carrousel ainsi que la fusion des rues de Nevers et Guénégaud, mises en relation avec la rue du Four via la fusion du passage de la Petite Boucherie et de la rue de l’Échaudé474, rejoignant ainsi les propositions formulées dans les années 1840-1850.

Puis, « la reprise des affaires, l’enrichissement général [de l’après-guerre] qui ont pour contrecoup l’accroissement de la circulation automobile vont, vers 1925, faire renaître de leurs cendres les projets abandonnés »475. Ainsi, c’est entre 1921 et 1932 qu’est achevé le boulevard Haussmann, que sont ouvertes les avenues Matignon et Paul-Doumer, que la rue Étienne-Marcel est amorcée au-delà du boulevard Sébastopol, que les rues Beaubourg et du Renard sont élargies, etc. En ce qui concerne la rue de Rennes, on l’a vu, les expropriations se poursuivent mais lentement. En 1930, on ne considère déjà plus l’ouverture de la rue de Rennes comme une évidence : on parle de « prolongement éventuel »476. La préfecture de la Seine refuse en 1931 d'acquérir le 21, rue de Seine, mis en vente par son propriétaire477.

Pour autant, il ne faut pas attendre très longtemps pour qu’un nouveau projet se fasse jour. À partir de 1935, la Ville de Paris prépare en effet une impressionnante série de travaux de voirie dont l’ambition égale, voire dépasse, celle de Napoléon III et d’Haussmann. L’ « Avant-Projet du Plan d’Aménagement de Paris » est publié en 1938 dans un numéro de L’Illustration entièrement consacré à la capitale478.


« Avant-Projet du Plan d’Aménagement de Paris » publié en 1938. Les artères en rouge correspondent à des voies à percer ou à élargir. L'Illustration n°4969 du 28 mai 1938, cliché Baptiste Essevaz-Roulet.


Selon ce plan, les Services Techniques du Plan de Paris prévoient de réaménager plusieurs îlots insalubres, de créer un vaste réseau de voies nouvelles et de voies élargies, surtout rive droite, ainsi que l’élargissement de nombreuses voies secondaires. Dans le quartier Saint-Germain-des-Prés, profondément remanié, les voies projetées par Haussmann sont conservées mais élargies et complétées par l’élargissement et la rectification de la rue de Seine479 et la réunion, par suppression des îlots centraux, de la rue de Nevers et de la rue Guénégaud480, ainsi que de la rue de l’Échaudé et du passage de la Petite Boucherie. La voie prolongeant la rue de Rennes comporte l'ouverture d'une voie de 30 m de largeur, entre la rue de l'Abbaye et la rue des Beaux-Arts avec création d'une large place rectangulaire de 120 m sur 80 située juste derrière le palais de l'Institut. De cette place partent deux branches encadrant le palais et débouchant sur les quais, l'une entre l'Institut et la Monnaie, l'autre entre les rues de Seine et Bonaparte.


Transformation du nord de la place Saint-Germain-des-Prés selon les projets de la Direction du Plan de Paris, par Laprade. L'Illustration n°4969 du 28 mai 1938, cliché Baptiste Essevaz-Roulet.


Pour accéder à la rive droite, il n’est désormais plus question de faire un pont. Le directeur du Plan de Paris à la préfecture de la Seine produit en effet le 3 septembre 1934 une note dans laquelle il envisage des études de prolongement souterrain de la rue de Rennes notamment vers la rue du Louvre ou le square Montholon (Paris IXe) avec traversée sous-fluviale. L’« Avant-projet du plan d’aménagement de Paris » de 1937 fait finalement déboucher le tunnel à la limite nord des Halles, au croisement des rues Montmartre et Turbigo. Pour intégrer, en 1941, le passage souterrain, les ingénieurs augmentent de 30 à 40 m la largeur de la rue planifiée pour inclure une trémie d'accès481 n'entraînant « que l'acquisition supplémentaire de deux immeubles anciens et sans importance »482. La trémie est conçue pour être située entre la place derrière l’Institut et la rue Visconti. La Direction générale propose ne pas laisser subsister la rue Visconti, qui n’est qu’« un boyau bordé de maisons vétustes, d’autant plus qu’elle débouchera, sur la rue de Rennes prolongée, en face de la trémie d’accès à la voie souterraine, tout comme la rue Jacob »483 (voir figure ci-dessous).


Étude de prolongement de la rue de Rennes. Document de travail de la Direction du Plan de Paris en 1935. AD de Paris, 2277W 8, cliché Baptiste Essevaz-Roulet.

Le service du Plan de Paris fait réaliser par Studio-Époc quelques maquettes de ses projets. Ces maquettes, dont l’une est consacrée à l’aménagement du quartier Saint-Germain-des-Prés, sont exposées pour sonder l’avis du public, à l’Exposition des Arts décoratifs de l’Exposition Universelle de 1937484 et à la section de la Ville de Paris du musée des Arts modernes485. Les propositions de la Ville sont violemment rejetées. Les réactions les moins négatives sont prudentes, si ce n’est craintives : « Paris se métamorphose. Espérons que le papillon ne sera pas plus laid que la chrysalide »486.


Maquette réalisée en 1937 pour matérialiser les projets de percement de la Direction du Plan de Paris à travers le quartier Saint-Germain-des-Prés. L'Illustration n°4969 du 28 mai 1938, cliché Baptiste Essevaz-Roulet.


Les critiques sont le plus souvent virulentes, comme celles de Georges Pillement qui s’insurge contre ce projet qui selon lui ne tend rien moins qu’à « jeter à bas la presque totalité de ce quartier exquis de Saint-Germain-des-Prés, plein de poésie et de souvenirs »487. D’autres se lamentent de voir les « quartiers les plus spécifiquement parisiens éventrés et mutilés au hasard ; les maisons les plus glorieuses abattues pour élargir des voies désertes ; des rues entières détruites pour être mises à l’alignement (…) »488. Marcel Raval, quant à lui, rejette l’idée d’un « tracé de deux diagonales derrière l’Institut et créant à leur intersection une sorte de square endimanché, de prétentieux mail provincial. On saccageait gratuitement un magnifique paysage urbain dont la circulation résidentielle est des plus réduites et qui ne contient aucun îlot insalubre »489. À l’instar d’Hénard qui avait été l’un des rares à remettre en cause le dogme haussmannien490, l’architecte André Gutton propose en mai 1939 de jeter aux oubliettes le découpage hérité du Second Empire et de « mettre la technique urbanistique moderne au service du passé et non de la pioche »491. Selon lui, « il est impossible de concevoir que pour permettre une circulation aisée, il faille démolir à ce point un quartier ». Gutton propose un aménagement du quartier Saint-Germain-des-Prés allégé, destiné à épargner au maximum les vieux immeubles. Par rapport à l’avant-projet de la Ville, il maintient quelques percées, en abandonne d’autres et préfère aux percements en surface, deux tunnels reliant la place Saint-Germain-des-Prés l’un à la colonnade du Louvre, l’autre au pont du Carrousel492.



La rue de Rennes dans le Grand Paris d'après-guerre
Une fois de plus, la guerre met un terme aux études de la Ville de Paris qui ne donne pas suite au travail effectué par ses équipes. Les années 1940 sont peu propices aux chantiers et « la décennie suivante est dominée par les avant-projets et les textes préparatoires à un aménagement cohérent pour Paris et sa région »493.

Précisément, le projet de prolongement de la rue de Rennes réapparaît indirectement dans une étude de faisabilité d’un réseau de voies souterraines. Les souterrains, dont la technique bénéficie d’avancées récentes, sont de plus en plus employés pour régler les problèmes de circulation. Le conseil général de la Seine décide le 20 décembre 1946 la création d'une commission administrative chargée de la préparation d'un projet de concours en vue de l'élaboration d'un plan d'autoroutes souterraines destinées à décongestionner la circulation en surface, à établir des lignes directes d'autobus et de métropolitain et, en cas de guerre, à servir d'abris contre les bombardements aériens494. La commission est constituée le 1er mars 1947. Après de longues discussions, elle décide de réduire le programme qui avait été fixé à l'origine et propose la rédaction d'un projet de concours limité à la recherche d'une solution souterraine destinée uniquement à la circulation de voitures reliant les abords de la porte de la Chapelle à ceux de l'église Saint-Germain-des-Prés495. La commission veut se servir de cette étude comme d’un cas d'école étant donné le nombre de difficultés techniques qu’accumule ce tracé. Elle souhaite aussi connaître, sur cet exemple concret, l'ordre de grandeur de la dépense à prévoir, élément alors très controversé. Le programme du concours est finalement approuvé par le conseil municipal le 7 juillet 1955 après avoir été remis en cause et sa pertinence questionnée. Les concurrents disposent d'un délai d'un an à compter de l'ouverture du concours pour déposer leurs projets. Le concours est doté de 10 millions de F de primes que la commission est autorisée à attribuer.


Chemise du dossier de concours de voie souterraine entre Saint-Germain-des-Prés et la porte de la Chapelle.Archives de Paris, 2276W 128, cliché Baptiste Essevaz-Roulet.

La Ville de Paris précise qu’elle ne prendra aucun engagement quant à l’exécution du projet lauréat. Quatre candidats communiquent le résultat de leurs études au début de l'année 1957. Aucune des propositions ne semble convaincre le jury : « il n'y a pas de projet apportant des idées nouvelles et le classement que nous pouvons faire est basé sur la plus ou moins grande importance des erreurs ». On reproche globalement aux candidats leur méconnaissance des problèmes de circulation. C'est donc sans surprise qu'aucune suite n'est donnée.

Le prolongement de la rue de Rennes semble apparaître officiellement pour la dernière fois dans le Plan Directeur d’Aménagement de Paris de 1953 sous forme d’une voie nord-sud empruntant le faubourg et la rue Saint-Denis avec un passage sous-fluvial débouchant au chevet de l’église Saint-Germain-des-Prés496. Cette voie n’est pas reprise dans le plan d’urbanisme directeur (PUD) de Paris de 1959, qui pourtant fixe les grandes lignes des voies périphériques et pénétrantes. Au contraire, le PUD de 1959 classe comme « zone de protection des sites et quartiers historiques » le secteur du VIe arrondissement compris entre le boulevard Saint-Germain et la Seine497. Le plan d’urbanisme directeur de 1962 renforce encore et étend la protection des quartiers des zones protégées. D’après l’enquête d’utilité publique, il ressort « que de nombreux Parisiens ne veulent pas que la reconquête de Paris touche certains quartiers qui sont le témoignage du passé de notre capitale »498.

La protection assurée par le zonage du quartier Saint-Germain-des-Prés n’écarte pourtant pas complètement l’idée d’éventrer le vieux quartier pour prolonger la rue de Rennes. Un débat oppose en effet la direction de l’Urbanisme et celle des Services techniques de la préfecture de la Seine entre 1961 et 1963. Anticipant sur l’abandon du projet de prolongement, le groupe 14 de la commission de réforme administrative demande en 1959, puis en 1960, au directeur de l’Urbanisme, Captier, d’étudier l’aliénation éventuelle des immeubles acquis entre la rue de l’Abbaye et les berges de la Seine. Captier produit son rapport le 2 décembre 1961499. Il rejette l’aliénation notamment parce qu’il estime que la Ville de Paris perdrait les avantages de la politique foncière. Pour autant, l’auteur du rapport écarte formellement l’idée du prolongement de la rue de Rennes au nom de la préservation des monuments et vestiges du passé. Il propose au contraire le déclassement des alignements décrétés en 1866 et émet le souhait qu’un éventuel axe nord-sud ne soit créé qu’en recherchant une solution par un « passage sous-fluvial »500. Par ailleurs, Maurice Berry, architecte en chef des Monuments historiques, architecte en chef du gouvernement et urbaniste, est mandaté par contrat du 9 janvier 1960 par le préfet de la Seine Benedetti pour réaliser une étude sur l’aménagement et la protection du VIe arrondissement de Paris501. L’architecte rend son rapport en 1963. Il y exprime son intérêt pour l’axe nord-sud souterrain proposé par Laprade entre la place Denfert-Rochereau et la gare du Nord et entérine l’abandon du projet de prolongement de la rue de Rennes en surface. Réagissant à ces deux rapports, le directeur général des Services Techniques de la préfecture de la Seine repousse le 14 juin 1963 la solution de voie souterraine et propose au contraire de réactualiser le prolongement de la rue de Rennes502, en raison de l’insuffisance marquée des axes nord-sud et estimant « fort délicate » la situation actuelle de la circulation dans le secteur. Il craint que la situation n’empire « lorsque l’opération Maine-Montparnasse sera achevée, amenant par la rue de Rennes un afflux renforcé de véhicules vers le centre (…) »503. Le directeur de l’Urbanisme s’y oppose fermement, arguant que « le prolongement de la rue de Rennes ne peut plus être envisagé en surface », et que « seule, une voie souterraine, avec traversée sous-fluviale de la Seine et émergence très au sud du boulevard Saint-Germain » est possible504. Cet échange semble marquer définitivement la fin des velléités de la Ville à prolonger en surface la rue de Rennes.

À l'occasion de la reprise d'un projet ferroviaire de déplacement de la gare, l'opération « Maine-Montparnasse » est conçue pour créer, sur la rive gauche un pôle d'animation urbain en offrant des possibilités nouvelles à des activités qui ne peuvent plus s'installer ou subsister dans les quartiers encombrés de l'Opéra et des Champs-Élysées. Le projet d’aménagement démarre en 1956 avec la création de l’agence pour l’opération Maine-Montparnasse (AOM) et de la société d’économie mixte pour l’aménagement du secteur Maine-Montparnasse (SEMMAM). Il s’agit de déplacer la gare au niveau de l’avenue du Maine et d’aménager les terrains ainsi libérés. Ces aménagements impliquent une réévaluation complète du statut de la gare, qui « perd son statut monumental et devient un élément d’un ensemble architectural qui la dépasse »505 et qui se coupe définitivement de la rue de Rennes qu’elle avait directement engendrée.


Démolition de l'ancienne gare Montparnasse. Collection Baptiste Essevaz-Roulet.

La destination et la forme des constructions qui doivent se substituer à la gare peinent à être définies formellement. Entre 1956 et 1958, une trentaine de variantes sont proposées. Elles ont en commun « un caractère abstrait, une volumétrie en rupture totale avec l’environnement existant »506. Dans les grandes lignes, une série d’immeubles doivent entourer la nouvelle gare, et, côté rue de Rennes, le « secteur III » doit comprendre un immeuble de « grande hauteur », une vaste esplanade sous laquelle l’espace doit être dédié au commerce et à la circulation des piétons507.



Variantes du projet Maine-Montparnasse, avec des tours de forme et de hauteur différentes du choix définitif. En haut : Sciences et Avenir n° 148, juin 1959 ; en bas,Archives de Paris, 2277W 66 et 68, clichés Baptiste Essevaz-Roulet.

Dans un premier temps, les concepteurs imaginent une solution mettant en continuité le niveau du sol de la rue de Rennes et de la place du 18-juin-1940 avec la gare Montparnasse. Jusqu’en 1959, l’esplanade projetée reste facilement accessible depuis le sol de la rue de Rennes, permettant une ascension progressive des piétons par des galeries et coursives « pour parvenir en hauteur, à l’air libre, donnant accès à la gare ». Mais la vocation commerciale de l’opération devenant de plus en plus déterminante dans les différents projets, la rampe d’accès continue de la rue de Rennes à la gare Montparnasse est finalement abandonnée508. Ce choix ménage un espace commercial important, mais rejette la dalle à une hauteur supérieure à celle du parvis de la gare : il y a rupture entre la rue, la dalle et le parvis de la gare. Le pôle Maine-Montparnasse apparaît alors comme le symbole de « l’anti-Paris architectural »509, « un énorme vaisseau posé sur le sol de la ville, conglomérat de volumes abstraits, reliés par un sol artificiel »510 qui n’offre qu’une façade aveugle à la perspective de la rue de Rennes, sans même que soient alignés les axes de la rue et de la Tour Montparnasse, bâtie entre 1969 et 1972.


Edification de la tour Montparnasse en 1972. Gauche : (c) RMN, droite : collection Baptiste Essevaz-Roulet.

Cependant, le pôle commercial et l’animation qu’il induit créent un véritable retournement de situation, l’ancien quartier périphérique, départ de l’axe tendu vers le centre, devenant à son tour un des grands centres de Paris.

D’une certaine façon, Michel Debré, en tant que Premier Ministre entre 1959 et 1962, incarne le renouveau de l’urbanisme parisien, rompant définitivement avec l’haussmannisme. S’il n’a pas participé à la conception de toutes ces opérations, il exécute l’ordonnance qui institue l’Établissement public du Rond-Point de la Défense, décide de transférer le marché des Halles à Rungis, poursuit et fait achever le boulevard périphérique, créé le réseau métropolitain express régional, etc. Enfin, Michel Debré s’engage pour l’opération Maine-Montparnasse dont il pose la première pierre le 16 septembre 1961511. À cette occasion, il prononce un discours dans lequel « il dénonce avec force le projet de prolongement de la rue de Rennes et condamne formellement le principe de cette opération »512. Il confirme dans ses mémoires avoir combattu le plan d’Haussmann et déclare y avoir mis un terme définitif : « J’étais résolu, du jour où j’en aurais le pouvoir, de mettre fin à ce plan. Je m’en ouvre à Benedetti, préfet de la Seine, en lui demandant de prendre les dispositions d’abord pour arrêter tout achat, ensuite pour annuler les directives de 1869 [pour 1866]. Impatient de l’exécution de mes instructions, je me vois en présence, un jour, d’un Benedetti qui m’explique les difficultés juridiques auxquelles il se heurte. Le plan d’Haussmann a été approuvé alors que celui-ci disposait de pouvoirs exorbitants que ne sont maintenant ni les siens ni même ceux du conseil municipal de Paris. J’en conclus que je peux seul mettre fin à ce plan. Je le décide et fait paraître l’arrêté au Journal officiel. Désormais, et sauf décision contraire d’un autre gouvernement, la rue de Rennes ne sera prolongée ni d’un côté ni de l’autre et les vieux quartiers de Paris resteront préservés »513. Le dépouillement des tables analytiques du Journal officiel pour les années du gouvernement de Michel Debré (1959 à 1962) ne nous a pas permis de retrouver cet arrêté. Chose étonnante, en 1963, on l’a vu, les services de la préfecture continuent encore à discuter du prolongement de la rue de Rennes, semblant ignorer l’existence de cet arrêté. Interrogés sur la question, les services actuels de la Mairie de Paris soulignent que le décret de prolongement de la rue de Rennes est plusieurs fois mentionné dans le POS de 1977 comme devant être « rapporté », c'est-à-dire supprimé. Cela tend à indiquer que la décision prise par Michel Debré est ignorée de l’administration, ou bien que le décret de prolongement de la rue de Rennes est toujours en vigueur.

285 AD de Paris, VO11 3001, Rapport du directeur des travaux de Paris au Préfet, juin 1872.

286 AD de Paris, VONC 308, Rapport au conseil municipal présenté en séance du 25 novembre 1879 au sujet de la régularisation des abords de l’église Saint-Germain-des-Prés.

287 Idem.

288 Comme nous l’avons vu plus haut, il s’agit en fait de la date à laquelle la livraison était prévue, mais qui n’a pas été respectée. Il semble que Joseph Thome profite sur ce point de la perte des archives municipales.

289 AD de Paris, VONC 308, Rapport au conseil municipal présenté en séance du 25 novembre 1879 au sujet de la régularisation des abords de l’église Saint-Germain-des-Prés.

290 Jean des Cars et Pierre Pinon, op. cit. (1991), p. 204.

291 André Morizet, Du vieux Paris au Paris Moderne, Paris, 1932, p. 325.

292 André Morizet, op. cit., p. 330.

293 AD de Paris, VONC 69, « Tableau des opérations de voirie décrétées et des opérations en projet ayant reçu un commencement partiel d’exécution », Paris, 1871, p. 2.

294 Une variante de prolongement vers le Pont-Neuf, soutenue par pétition en 1882 par les commerçants du quartier (30 avril 1882, AD de Paris, VONC 1336), est estimée en 1876 à 19 755 964 F (AD de Paris, VO20 123). Le tracé entre la place Saint-Germain-des-Prés et le quai Conti est ainsi estimé, en 1877, à 32 638 796 F en se basant sur la dépense d'expropriation du boulevard Saint-Germain entre les rues de Rennes et de l'Ancienne Comédie où la dépense moyenne au m² était de 940 F (AD de Paris, VO20 123). Dans le registre des opérations de voirie de la Ville de Paris daté de 1878, la troisième variante qui prolonge la rue de Rennes vers le pont du Carrousel est chiffrée à 17 550 266 F (AD de Paris, VONC 521). Une étude menée en 1891 par l’administration évalue enfin l’opération à 20 955 990 F (AD de Paris, V1O8 12).

295 AD de Paris, VONC 521.

296 Lettre de Mareuse, membre de la commission du Vieux Paris adressée à L’Éclair, 22 janvier 1902, transcrite dans « Le nouveau Paris », L’Éclair, janvier 1902.

297 « La rue de Rennes prolongée », Le Gaulois, 3 février 1879, n° 3753, p. 2.

298 Lettre de Mareuse, membre de la commission du Vieux Paris adressée à L’Éclair, 22 janvier 1902, transcrite dans « Le nouveau Paris », L’Éclair, janvier 1902.

299 Le conseil municipal adopte en 1879 un classement des opérations de voirie de façon à permettre à l’administration de proposer l’acquisition des immeubles situés sur le tracé des voies à ouvrir et qui se trouveraient à vendre. L’achèvement de la rue de Rennes est ainsi classé en troisième catégorie.

300 BAVP, Br 10735, A. Lahure, op. cit., p. 3.

301 AD de Paris, VONC 177, procès-verbal de la séance du vendredi 17 mars 1893 du conseil municipal de Paris, p. 381-415.

302 AD de Paris, VONC 177, Opérations de voirie demandées par MM. Les conseillers municipaux et à exécuter sur les fonds du prochain emprunt, s.d. [1892-1893].

303 AD de Paris, VONC 177, procès-verbal de la séance du vendredi 17 mars 1893 du conseil municipal de Paris, p. 394.

304 BAVP, Br 10735, A. Lahure, op. cit., p. 4.

305 Idem.

306 AD de Paris, VO11 3000, pétition d’environ 180 habitants du VIe arrondissement remise au conseil municipal le 28 octobre 1888.

307 Idem, pétition d’environ 500 électeurs des VIe, VIIe, XIVe et XVe arrondissements présentée le 17 mars 1890 au conseil municipal.

308 BAVP, Br 10735, A. Lahure, op.cit., mars 1882, p. 4.

309 AD de Paris, VO11 3000, pétition du 28 octobre 1888.

310 Paul de Beauchêne, La maison de Racine et la rue Visconti, Paris, 1933, p.47.

311 AD de Paris, D2S9 3, Laporte, Mémoire sur la suppression du viaduc du Maine et transfèrement de la gare actuelle à son ancien emplacement, Paris, 1875.

312 AD de Paris, D2S9 3, Pétition d’environ 500 propriétaires ou locataires du quartier Maine-Montparnasse, s.d. *1874 d’après Laporte].

313 Selon Laporte, mais plutôt 500 en réalité. On note parmi les signataires la présence de A. Cavaillé-Coll, « facteur de grandes orgues, propriétaire avenue du Maine, 13 et 15 ».

314 On reproche au viaduc d'isoler les XIVe et XVe arrondissements d'avec le centre de Paris, d'être propice à un dérèglement des moeurs et au manque d'hygiène. Surtout, la hauteur des arches (5 m) empêche le passage de voitures bien chargées. De son côté, l'exploitation des Chemins de Fer de l'Ouest exige sa suppression car le service est gêné par le viaduc qui étrangle tous les mouvements d'arrivée et de départ et par la gare de voyageurs, trop petite et d'accès difficile. Or la gare, entourée de rues, ne peut être commodément agrandie.

315 AD de Paris, D2S9 3, Lettre du Ministre des Travaux publics au préfet de la Seine datée du 24 février 1876.

316 AN, Min. Centr., LVIII, 936 (18 octobre 1880).

317 A. Dumas, Le Chemin de Fer métropolitain de Paris, Paris, 1901.

318 Norbert Lauriot, « La genèse d’un réseau urbain : la logique des tracés », Sheila Hallsted-Baumert, François Gasnault et Henri Zuber (dir. ), Métro-Cité, Paris, 1997, p. 33.

319 Sheila Hallsted-Baumert, « Une ligne peu académique : la ligne 4 et l’Institut de France », Sheila Hallsted-Baumert, François Gasnault et Henri Zuber (dir.), op. cit., p. 88.

320 BAVP, 205960, Antoine-Emile Letellier, Avant-projet d’un réseau de chemins de Fer dans Paris, Paris, 22 avril 1872.

321 BAVP, 206329, Le métropolitain qu'on peut faire, Paris, 1891.

322 AD De Paris, V1O8 5, anonyme, Projet de métropolitain urbain, présenté le 25 novembre 1895.

323 Sheila Hallsted-Baumert, art. cit., p. 88.

324 Il s’agit de la section du boulevard Raspail allant de la rue de Rennes au boulevard Montparnasse. À sa conception, la ligne 4 ne devait pas passer par la gare Montparnasse, mais continuait son trajet sous le boulevard Raspail depuis la station Vavin jusqu’à la rue de Rennes.

325 AD de Paris, V1O8 12, signature illisible [Architecte-Voyer en chef-adjoint de la Ville de Paris], Les opérations de voirie nécessaires au passage du chemin de fer métropolitain…, 31 mai 1897.

326 AD de Paris, V1O8 13, mémoire Ligne métropolitaine n° 4.

327 AD de Paris, V1O8 12, signature illisible [Architecte-Voyer en chef-adjoint de la Ville de Paris], Les opérations de voirie nécessaires au passage du chemin de fer métropolitain…, 31 mai 1897.

328 AD de Paris, V1O8 13, mémoire Ligne métropolitaine n° 4.

329 AD de Paris, VO20 123, F. Sauton, Rapport au nom de la commission du Métropolitain relatif à un Projet d'emprunt de 150 millions, pour l'achèvement du réseau métropolitain, 21 décembre 1901, p. 2.

330 Idem, p. 5.

331 Idem, p. 2.

332 AD de Paris, V1O8 6, Profil en long de la transversale nord-sud, dressé par l’Ingénieur en Chef F. Bienvenüe le 20 février 1896.

333 AD de Paris, V1O8 12, plan « Traversée du chemin de fer métropolitain entre la place Conti et la place Saint-Germain-des-Prés » dressé par l’architecte-Voyer en chef-adjoint de la Ville de Paris, 31 mars 1897.

334 Constant Moyaux, architecte de l’Institut, signale un projet identique formulé par l’architecte Constant Dufeux (AD de Paris, VO20 123, lettre datée du 30 décembre 1901).

335 Atlas municipal des vingt arrondissements de Paris dressé (…) sous la direction de M. Alphand, Inspecteur Général des Ponts et Chaussées…, Paris, 1888.

336 « Le vieux Paris et le Paris moderne », Le Sixième, journal politique hebdomadaire du VIe arrondissement, seizième année, n° 397, du 4 au 10 février 1902, p. 1.

337 Sheila Hallsted-Baumert, art. cit., p. 88.

338 Décret du 28 juillet 1866 « rue de Rennes et abords ».

339 BHVP, Actualités anciennes, dossier rue de Rennes, « Projet Saint-Père », 1905.

340 Edouard Bérard, « Projet pour le pont de la Monnaie sur la Seine, à Paris», L’Architecture, 18 janvier 1902, p. 20-22.

341 Musée Carnavalet, cabinet des arts graphiques, Topo-PC 104A, anonyme, Institut ; Pont des Arts, s.d.

342 « L'allégorie est simple, d'une grande intensité décorative et facile à saisir : c'est le navire parisien qui en fait tous les frais ». La pile unique sur la pointe rallongée de l'île de la Cité « représente le navire parisien garni de ses bancs de rameurs, sa proue ornée du Génie du progrès, tenant une torche ; le navire est en fête, enguirlandé (...) » (Edouard Bérard, op. cit., 18 janvier 1902, p. 20-22).

343 Eugène Hénard, Etudes sur les transformations de Paris, Paris, 1903, p. 17.

344 Anatole France, La révolte des anges, Paris, 1914, p. 348-349.

345 « Le vieux Paris et le Paris moderne », art. cit., p. 1.

346 L’Éclair, mercredi 22 janvier 1902.

347 « La rue de Rennes prolongée et pas de pont sur la Seine », L'Éclair, mardi 25 février 1902.

348 AD de Paris, VO20 123, copie du voeu adressé au directeur des services municipaux d’architecture, 7 mars 1902.

349 « La rue de Rennes prolongée et pas de pont sur la Seine », L'Éclair, mardi 25 février 1902.

350 Certains de ses aspects et enjeux ont été décrits en détail par Sheila Hallsted-Baumert, art. cit., 1997.

351 AD de Paris, VO20 123, procès-verbal du conseil municipal de Paris du 12 décembre 1902. Dans une lettre du 22 novembre 1902 citée par Duval-Arnould, Georges Picot, secrétaire général de l'académie des sciences morales et politiques et membre de la commission administrative de l'Institut, déclare que « l'Institut ne pouvait s'opposer à un projet d'intérêt public à la double condition 1° que le plan de reconstruction ayant été arrêté d'accord entre l'expropriant et l'Institut, la Ville et l'État, un traité garantissant la reconstruction des salles de séances, bibliothèques, logements et services, 2° que les services essentiels de l'Institut soient reconstruits et livrés avant la démolition de tout ou partie des bâtiments anciens. Aucune garantie n'ayant été offerte ou donnée en ce sens, je crois que l'Institut ne peut qu'approuver l'opposition très énergique faite à un projet d'expropriation qui, en portant atteinte à un service public, se ferait, contrairement aux principes les plus indiscutables du droit, sans indemnité ni garantie préalable ».

352 Idem.

353 Idem.

354 Note présentée au gouvernement au nom de la commission administrative centrale de l’Institut, 15 décembre 1902, citée par Sheila Hallsted-Baumert, art. cit., 1997.

355 AD de Paris, VO20 123, procès-verbal du conseil municipal de Paris du 12 décembre 1902.

356 Idem.

357 Sheila Hallsted-Baumert, art. cit., p. 91.

358 « L’Institut et la Ville de Paris », Le Temps, n° 15038, vendredi 5 septembre 1902.

359 AD de Paris, VO20 123, procès-verbal du conseil municipal de Paris du 12 décembre 1902.

360 On attribue parfois à M. Berthelot d’avoir fait abandonner le projet de prolongement de la rue de Rennes en 1903 tant « l’illustre savant mena le combat avec (…) ardeur » (« Les transformations de Paris », Janville, Le Figaro n° 247 du 4 septembre 1909).

361 BAVP, procès-verbal de la commission du Chemin de fer métropolitain, séance du 10 janvier 1903 présidée par M. Sauton.

362 AD de Paris, VO20 123, procès-verbal du conseil municipal de Paris du 12 décembre 1902.

363 AD de Paris, V1O8 13, mémoire « Ligne métropolitaine n° 4 ».

364 BAVP, procès-verbal de la commission du Chemin de fer métropolitain, séance du 7 février 1903 présidée par M. Sauton.

365 Idem.

366 BAVP, procès-verbal de la commission du Chemin de fer métropolitain, séance du 10 janvier 1903 présidée par M. Sauton.

367 BAVP, procès-verbal de la commission du Chemin de fer métropolitain, séance du 7 février 1903 présidée par M. Sauton.

368 AD de Paris, VO20 123, Fulgence Bienvenüe, Rapport de l’Ingénieur en Chef, 9 février 1903.

369 AD de Paris, V1O8 13, mémoire Ligne métropolitaine n° 4.

370 E. Gérards, Paris Souterrain, Paris, 1909, p. 614.

371 Procès verbal de la commission du métropolitain, séance du samedi 10 janvier 1903.

372 AD de Paris, VO20 123, Duval-Arnould, Note sur le pont du Louvre (ou des Arts) et l’achèvement de la rue de Rennes, 26 juin 1909.

373 Sheila Hallsted-Baumert, art. cit., p. 87-98.

374 BHVP, Actualités anciennes, dossier rue de Rennes, 1905.

375 Eugène Hénard, Etudes sur les transformations de Paris, Paris, 1903, p. 17-18.

376 On ne connait son prénom que par ses initiales.

377 AD de Paris, VO11 3001, P. Gallotti, Le prolongement de la rue de Rennes et le pont de l’Institut ; projet Hennebique-Binet, 1905. Voir aussi IFA, BAH-4-1905-13190.

378 F. Honoré, « Les grands travaux de Paris », L’Illustration, n° 3499, 19 mars 1910, p. 274.

379 André Morizet, op. cit., p. 331.

380 « Les grands travaux de Paris », La Croix, n° 8041, 12 juin 1909, p. 2.

381 Le Figaro, n° 102, 12 avril 1909, p. 1.

382 Janville, « À l’Hôtel de Ville », Le Figaro, n° 163, samedi 5 juin 1909, p. 5.

383 Séance du conseil municipal du 11 juin 1909.

384 Ambroise Rendu, « Proposition relative au plan de campagne à dresser pour les grands travaux », Conseil municipal, rapports et documents, 18 juin 1909, n° 60.

385 Idem.

386 Séance du conseil municipal du 11 juin 1909.

387 Janville, « À l’Hôtel de Ville », Le Figaro, n° 163, samedi 12 juin 1909, p. 3.

388 La liste complète est publiée dès le lendemain de la séance du conseil municipal du 11 juin 1909 (« Les grands travaux de Paris », La Croix, n° 8041, 12 juin 1909, p. 2).

389 M. Duval-Arnould, « Note sur le pont du Louvre (ou des Arts) et l’achèvement de la rue de Rennes », Conseil municipal, rapports et documents, n° 67, 26 juin 1909.

390 La Presse, n° 6227, 1er juillet 1909.

391 AD de Paris, VO20 123.

392 Janville, « La 3e commission municipale… », Le Figaro, n° 194, 13 juillet 1909. Les autres travaux cités sont l’achèvement du boulevard Haussmann, des rues du Louvre, de Vaugirard et Montmartre, l’agrandissement de la rue du Bac et la création de l’avenue de l’Hôtel-de-Ville empruntant les rues Beaubourg et du Renard.

393 Janville, « La 3e commission municipale… », Le Figaro, n° 194, 13 juillet 1909.

394 Janville, « À l’Hôtel de Ville », Le Figaro, n° 195, 14 juillet 1909.

395 Séance du conseil municipal du 24 juillet 1909.

396 AN, F2 2710, Prolongement de la rue de Rennes en raccordement avec la rue du Louvre au moyen d’un pont sur la Seine, s.d. [21 juin 1909]. La somme se décompose ainsi : 25 584 500 F pour l’estimation foncière, 7 497 350 F pour l’estimation locative, 331 150 F pour les honoraires et frais divers et 4 587 000 F pour la viabilité et la construction du pont.

397 Le Figaro, n° 219, 7 août 1909 et n° 238, 26 août 1909.

398 AD de Paris, VO11 3000, Service du Plan de Paris, Rue de Rennes et dégagement de l’Institut, 23 octobre 1909.

399 AD de Paris, VO20 123, Lettre du 19 janvier 1910 du service technique de la voie publique et de l'éclairage. La dépense liée à la viabilisation s'élèverait à la somme de 1 029 000 F.

400 Idem. La dépense s’élèverait à 300 millions de F de travaux en 10 ans. On exécuterait ensuite pour 150 millions de travaux faisant partie des 400 millions jugés indispensables, et encore 280 autres millions de travaux de première urgence, le tout en 20 années. Un projet d’emprunt est adopté prévoyant 800 millions à employer en 15 ans. La Ville de Paris disposera donc pour son embellissement de plus d’un milliard de F puisqu’aux 800 millions, il convient d’ajouter ceux qui seront affectés à la démolition des fortifications et aux constructions nouvelles d’écoles et de piscines.

401 F. Honoré, « Les grands travaux de Paris », L’Illustration, n° 3499, 19 mars 1910, p. 273.

402 « Le pont de la Monnaie », Le Figaro, 7 mars 1911.

403 Séance trimestrielle de l'Institut du 5 avril 1911, par la voix de M. Darboux, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences. La France, dimanche 6 août 1911.

404 AN, F21 5719, Lettre du président de la commission administrative centrale de l'Institut à sous-secrétaire d'État des Beaux-Arts, 29 mars 1911.

405 Yves Boiret, « les aménagements de la IIIe République à nos jours », Jean-Pierre Babelon (dir.), Le Palais de l’Institut, Paris, 2005, p. 100.

406 André Hallays, « En Flânant », Journal des débats politiques et littéraires, n° 189 du 9 juillet 1909, p. 2.

407 L'Éclair, jeudi 9 mars 1911.

408 Le Figaro, 7 mars 1911.

409 André Hallays, « En Flânant », Journal des Débats politiques et littéraires, vendredi 17 février 1911.

410 Par exemple, une pétition de la Société pour la Protection des Paysages de France protestant contre tout projet d'édilité comportant la construction d'un pont à la pointe de la Cité (extrait du registre des procès-verbaux des séances du conseil municipal de la Ville de Paris, séance du 31 mars 1911 (AD de Paris VO11 3000).

411 AD de Paris, VO20 123, Lettre de la commission du Vieux Paris, 1er juin 1910.

412 Société de Défense des Paysages de France, Société française d'Archéologie, Société des Antiquaires de France, Touring Club, Amis des Monuments français, Société d’Histoire de Paris et de l’Île de France, Syndicat de la Presse artistique, Société locales d'histoire parisienne, etc. (La France, dimanche 6 août 1911).

413 AN, F21 5719.

414 « Protégeons la Beauté de Paris », La France, dimanche 6 août 1911.

415 AN, F21 5719, Lettre du ministre des travaux publics au sous-secrétaire d'État des Beaux Arts, 30 mars 1911.

416 AN, F21 5719, Lettre du Préfet de la Seine au Sous-secrétaire d'État des Beaux Arts du 23 mai 1914.

417 Idem.

418 « Proposition relative à l’ouverture d’un concours… », Conseil municipal, Rapports et Documents, n° 62, 7 juillet 1911.

419 AN, F21 5719, Lettre du ministre des travaux publics (Fernand David) au Préfet de la Seine en date du 18 février 1914.

420 AN, F21 5719, Lettre du Préfet de la Seine au ministre des travaux publics au sujet de la passerelle des Arts, construction d'un pont carrossable, 24 mai 1914.

421 AN, F21 5719, Concours pour la construction d'un Pont Carrossable à l'emplacement de la passerelle des Arts.

422 AD de Paris, VO20 123, État des immeubles atteints par le projet, janvier 1929.

423 AN, F21 5719, Lettre du président de la commission administrative centrale de l'Institut au sous-secrétaire d'État des Beaux-Arts en date du 29 mars 1911.

424 AD de Paris, DQ18 1291.

425 AD de Paris, DQ18 1287.

426 AD de Paris, tri Briand 241, VO20 123, VO11 3954…

427 La « Société Immobilière Arbelot et Cie » a été formée en commandite par actions au capital du 4 millions de F pour une durée de 99 ans aux termes d’un acte passé devant Me Greban, notaire à Saint-Germain-en-Laye, le 2 décembre 1911. Son gérant est Jean-Gustave-Joseph Arbelot, demeurant à Saint-Germain-en-Laye (statuts de la Société, AD de Paris, VO20 133).

428 Par exemple : promesse du vente des propriétaires du 26, rue Jacob à la M. Arbelot datée du 1er mai et 15 juin 1913 (AD de Paris, VO20 115). Plus tard : lettre d’Arsène Perier à l’agent-voyer datée du 8 février 1914 faisant état d’une promesse de vente signée avec la société Arbelot. (AD de Paris, tri Briand 241).

429 AD de Paris, VONC 80, Joseph Arbelot, Mémoire déposé à M. le Préfet de la Seine le 31 juillet 1913 pour le prolongement de la rue de Rennes, 31 juillet 1913.

430 AD de Paris, VONC 80, Joseph Arbelot, Mémoire déposé à Mr le Préfet de la Seine le 10 janvier 1914 pour le prolongement de la rue de Rennes, 10 janvier 1914.

431 AD de Paris, 2277W 8, convention passée avec la Ville.

432 F. Honoré, « L’Institut et la rue de Rennes », L'Illustration, n° 3705, 28 février 1914, p. 162-163.

433 À partir du Sommier Foncier (AD de Paris, DQ18…).

434 AD de Paris, VONC 80, Joseph Arbelot, op. cit., 10 janvier 1914.

435 AD de Paris, 3067W 866, « Prolongement de la rue de Rennes – Affectation à l’opération des loyers des immeubles acquis à l’amiable », séance du conseil municipal du 26 mars 1915.

436 Le 9, rue de Seine sera exproprié en 1933, principalement pour être démoli afin de créer un pan coupé entre la rue Mazarine et la rue de Seine, aujourd’hui square Gabriel Pierné (AD de Paris, 3067W 866).

437 AD de Paris, VO20 123, « État des immeubles atteints par le projet », janvier 1929.

438 AD de Paris, VO20 123, « Prolongement éventuel de la Rue de Rennes – Situation locative des immeubles restant à acquérir atteints par l’opération », 24 mai 1930.

439 AD de Paris, VO20 132, Brouillon de lettre de M. Doumerc, directeur de l’Extension de Paris au directeur de l’Hygiène, du travail et de la Prévoyance Sociale, 22 février 1927.

440 AD de Paris, 3067W 866, « Visite annuelle des immeubles communaux ».

441 Pierre Champion, Mon vieux quartier, Paris, 1932, p. 401.

442 AD de Paris, VO20 132, Lettre de l’architecte Vallois à Bernheim Frères et Fils au sujet de l’état alarmant de vétusté du 7-9, rue Visconti, 6 mai 1924.

443 André Morizet, Du vieux Paris au Paris Moderne, Paris, 1932, p. 330.

444 AD de Paris, 2277W 8, lettre du directeur des Services d’Architecture et d’Urbanisme au directeur Général des Services Techniques de la Préfecture de la Seine, 21 novembre 1949.

445 AD de Paris, 2277W 8, lettre de M. Bernheim adressée au Préfet de la Seine, 17 mai 1938.

446 AD de Paris, 2276W 221, rapport de G. Captier, directeur de l’Urbanisme à la Préfecture de la Seine au préfet de la Seine, 2 décembre 1961, p. 3.

447 Jean des Cars et Pierre Pinon, Paris-Haussmann, Paris, 1991, p. 347.

448 AD de Paris, 3 AZ 161, pièces 10 et 11, lettre d’Haussmann à Villemessant du 17 mars 1870, citée par André Morizet, op. cit., 1932, p. 334-336.

449 Ces études sont réalisées par M. Vaudrey, alors ingénieur ordinaire du Service de la Navigation et des Ponts (AD de Paris, VONC 1338, « Procès-verbal de la conférence relative au projet de construction d’un nouveau pont en remplacement des ponts Royal et du Carrousel (…) », 15 septembre 1866).

450 AD de Paris, VONC 1338, « Procès-verbal de la conférence (…) relative au projet de construction d’un nouveau pont en remplacement des ponts Royal et du Carrousel (…) », 1er octobre 1866.

451 Françoise Heilbrun et Geneviève Bresc-Bautier, Le photographe et l'architecte : Édouard Baldus, Hector-Martin Lefuel et le chantier du nouveau Louvre de Napoléon III, Paris, 1995.

452 AD de Paris, D2S 6, Lettre de M. Vaudrey, Ingénieur en Chef de la 2e Section de la Navigation de la Seine et des Ponts de Paris à Monsieur Jarry, chef de Division, 3 mai 1876.

453 AD de Paris, 2276W 212, Adolphe Cherrioux, «Rapport (…) sur la reconstruction du pont du Carrousel », 1932.

454 AD de Paris, VONC 1338, « Procès-verbal de la conférence (…) relative au projet de construction d’un nouveau pont en remplacement des ponts Royal et du Carrousel (…) », 1er octobre 1866.

455 AD de Paris, VONC 69, « Tableau des opérations de voirie décrétées et des opérations en projet ayant reçu un commencement partiel d’exécution », Paris, 1871, p. 10.

456 AD de Paris, 2277W 8, lettre du préfet de la Seine au directeur général des Beaux-Arts, 2 mai 1933.

457 AD de Paris, 2277W 8, lettre de Bouly, Inspecteur général des Services Techniques de la Voie publique de l'Éclairage et du Nettoiement de la Préfecture de la Seine au directeur du Plan de Paris, 11 janvier 1935.

458 AD de Paris, 2277W 8, lettre du directeur général des Travaux de Paris au directeur du Plan de Paris, 12 juin 1934.

459 AD de Paris, 2277W 8, plan non daté.

460 AD de Paris, 2276W 212, plan « Etude générale », 1929. Voir aussi le plan de l’aménagement (AD de Paris, 2276W 213).

461 AD de Paris, 2276W 213, « Liste des propriétaires susceptibles d’être expropriés par l’ouverture de la voie projetée entre le pont du Carrousel et Saint-Germain-des-Prés », s.d. [vers1933].

462 AD de Paris, 2276W 212.

463 AD de Paris, 2277W 8, note du directeur général des Travaux de Paris à Bouly, 29 novembre 1934.

464 AD de Paris, VO20 133, dossier rue du Bac.

465 AD de Paris, VO20 133, Joseph Arbelot, « Expropriation pour l’élargissement de la rue du Bac. Mémoire sur la nécessité de cette opération et les moyens de la réaliser », sans date, reçu le 20 mai 1911.

466 AD de Paris, VO20 133, Mémoire du Préfet de la Seine au conseil municipal, copie non datée.

467 AD de Paris, VO20 133, lettre de Joseph Arbelot adressée au préfet, 29 mars 1913.

468 AD de Paris, VO20 134, lettre de Raymond Gréban, notaire à Saint-Germain-en-Laye au préfet, 11 août 1924.

469 André Morizet, op. cit. (1932), p. 331.

470 Idem, p. 343.

471 F. Honoré, « Paris dans cinquante ans », L’Illustration, n° 4022, 3 avril 1920, p. 196.

472 André Morizet, op. cit. (1932), p. 354.

473 F. Honoré, « Paris dans cinquante ans », L’Illustration, n° 4022, 3 avril 1920, p. 196.

474 Ce concours et les dossiers des candidats, illustrés de nombreux plans, sont commentés dans La vie urbaine, 1920, et dans les numéros 4022 (3 avril 1920, p. 196-198) et 4026 (1er mai 1920, p. 269-272) de L’Illustration.

475 Marcel Raval, « Haussmann contre Paris », Destinée de Paris, Paris, 1943, p. 74.

476 AD de Paris, VO20 123, « Prolongement éventuel de la rue de Rennes, situation locative des immeubles restant à acquérir atteints par l’opération », 1930.

477 AD de Paris VO20 123, deux lettres des administrateurs de l’immeuble du 21, rue de Seine au Préfet de la Seine en date du 19 avril 1930 et du 16 novembre 1931 avec la mention « refuser ».

478 « Avant-Projet du Plan d’Aménagement de Paris », L’Illustration n° 4969, 28 mai 1938. Ce plan est commenté dans Pierre Pinon et Bertrand Le Boudec, Les plans de Paris ; Histoire d’une capitale, Paris, 2004, p. 124-125.

479 La façon de procéder sera discutée de manière à ménager une perspective agréable entre l'Institut et le Sénat. (AD de Paris, 2277W 8, Lettre du directeur du Plan de Paris, 23 janvier 1935 ; Rapport de l'Ingénieur Géomètre en chef, chef du Service Technique du Plan de Paris, 27 mai 1935).

480 La voie nouvelle raccordant la rue Jacques-Callot aux rues de Nevers et de Nesle sera déclarée d’utilité publique par décret du 24 avril 1937 (AD de Paris, 2277W 57).

481 AD de Paris, 2277W 8, Lettre du directeur Général des Services Techniques au directeur des Services d’Architecture et d’Urbanisme de la Préfecture de la Seine, 13 octobre 1948. Voir aussi AD de Paris, 2277W 57.

482 AD de Paris, 2277W 8, lettre du directeur général des Travaux de Paris, Giraux au directeur du Plan de Paris, 23 janvier 1935.

483 AD de Paris, 2277W 57, Lettre de l’Ingénieur en Chef section sud de la direction générale des Services Techniques de la Préfecture de la Seine au directeur Technique de la Voirie Parisienne, 3 juillet 1941.

484 Georges Pillement, La Destruction de Paris, Paris, 1941, p. 147.

485 Anonyme, « Le pont du Carrousel », L’Illustration, n° 4938, 23 octobre 1937, p. 233.

486 Léandre Vaillant, « Le nouveau visage de Paris », L’Illustration, n° 4969, 28 mai 1938, non paginé.

487 Georges Pillement, op. cit., p. 141.

488 Jacques Lassaigne cité par Georges Pillement, op. cit., p. 147.

489 Marcel Raval, « Haussmann contre Paris », Destinée de Paris, Paris, 1943, p. 76.

490 Eugène Hénard propose en 1909, dans ses Études sur les Transformations de Paris, une « Nouvelle Grande Croisée de Paris », un axe nord sud. Son grand axe passe à proximité de la gare Montparnasse, croise la rue de Rennes au carrefour qu’elle forme avec la rue de Vaugirard, passe par le carrefour de la Croix-Rouge puis atteint le pont du Carrousel et les Guichets du Louvre avant de traverser la rive droite.

491 André Gutton, « Aménagement du quartier Saint-Germain-des-Prés », L’Architecture Française, n° 1, novembre 1940, p. 11.

492 Idem, p. 13.

493 Simon Texier, Paris contemporain, Paris, 2005, p. 115.

494 AD de Paris, 2276W 128, Mémoire du Préfet de la Seine au conseil municipal, s.d. [20 juin 1955].

495 Idem. Ce souterrain doit notamment intégrer une éventuelle extension jusqu’à la place de Rennes et avoir des débouchés aux abords de la gare du Nord et de part et d'autre du quartier des Halles centrales.

496 AD de Paris, 2276W 221, rapport de G. Captier, directeur de l’Urbanisme à la Préfecture de la Seine au Préfet de la Seine, 2 décembre 1961.

497 AD de Paris, 2276W 28, Plan d’Urbanisme Directeur de la Ville de Paris, 1959.

498 Préfet Benedetti, séance du conseil municipal de Paris du 19 juin 1962.

499 AD de Paris, 2276W 221, rapport de G. Captier, directeur de l’Urbanisme à la Préfecture de la Seine à au préfet de la Seine, 2 décembre 1961.

500 Idem.

501 Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Fonds Maurice Berry, 95/35/14.

502 AD de Paris, 2276W 221, Lettre du 23 septembre 1963 du directeur de l’Urbanisme au directeur général des Services Techniques de la Préfecture de la Seine.

503 AD de Paris, 2276W 221, lettre du 3 décembre 1963 du directeur général des Services Techniques au directeur de l’Urbanisme de la Préfecture de la Seine.

504 AD de Paris, 2276W 221, Lettre du 23 septembre 1963 du directeur de l’Urbanisme au directeur général des Services Techniques de la Préfecture de la Seine.

505 Simon Texier, op. cit. (2005), p. 150.

506 Virginie Lefebvre, Paris-Ville moderne ; Maine-Montparnasse et la Défense – 1950-1975, Paris, 2003, p. 197.

507 Discours d’inauguration prononcé par M. Hébert, président directeur général de la SEMAMM le 16 septembre 1961, cité par Gérard Le Provost, op. cit., p. 27.

508 Virginie Lefebvre, op. cit., p. 202.

509 Marcel Cornu, La conquête de Paris, Paris, 1972, p. 227.

510 Virginie Lefebvre, op. cit., p. 196.

511 Gérard Le Provost, op. cit., p. 27.

512 AD de Paris, 2276W 221, Rapport de G. Captier, directeur de l’Urbanisme à la Préfecture de la Seine adressée à Monsieur le Préfet de la Seine datée du 2 décembre 1961.

513 Michel Debré, Gouverner – Mémoires III - 1958-1962, Paris, 1988, p. 173.



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La rue de Rennes est une opération emblématique de l’urbanisme parisien des cent cinquante dernières années. Son percement et son prolongement faisaient partie des entreprises auxquelles Haussmann attachait le plus d’importance. L’histoire du premier tronçon révèle l’attentisme de l’administration, adoptant une attitude timorée, caractéristique du préfet Berger. Elle hésite à s’engager dans l’ouverture d’une simple rue en raison de l’abandon, un temps envisagé, de l’embarcadère et de la complexité des modalités du financement. Le second tronçon, d’une toute autre ambition, porte en revanche la marque d’Haussmann. L’administration se donne les moyens de faire vite et se montre efficace. Il s’agit de la pousser au moins jusqu’au noeud primordial du futur boulevard Saint-Germain. Cette percée caractéristique ne sera entachée vers la fin que par l’effondrement du système financier mis en place par le célèbre préfet. L’analyse comparée des périodes de construction des immeubles de ces deux tronçons révèle la différence de dynamique (voir fig. ci-dessous). Le troisième tronçon, enfin, a fait travailler en vain l’administration pendant un siècle. Chaque début de réalisation a été sapé, soit par les guerres, soit par des oppositions farouches. La rue de Rennes n’a jamais atteint l’objectif pour lequel elle avait été commencée : devenir une véritable avenue joignant la gare Montparnasse à la rive droite, les Halles, le quartier de l’Opéra et peut-être même la gare du Nord. Plusieurs causes peuvent expliquer l’apparente malchance du projet. Le tracé, par exemple, peut faire débat. Celui du premier tronçon est limpide, joignant la gare Montparnasse à un carrefour important de la rive gauche au milieu du XIXe siècle. En revanche, le second tronçon ignore le maillage urbain qu’il traverse, ne mettant pas en réseau la place Saint-Sulpice ni le carrefour de la Croix-Rouge. Dans l’esprit de l’administration du XIXe siècle, la rue de Rennes devait tendre vers les Halles et ce, le plus directement possible. C’est peut être cette obstination qui a conduit la rue de Rennes… dans une impasse. Entre la place Saint-Germain-des-Prés et la Seine, le parcours est semé d’embuches. Le quartier Saint-Germain-des-Prés « n’est pas un quartier quelconque du XIIIe ou du XXe arrondissement, dans lequel on peut tailler à sa guise »514. Le coût élevé des expropriations dans ce quartier central de Paris, l’opposition politique de l’État au remaniement forcé de l’Institut, la révolte des défenseurs du vieux Paris ont affaibli la motivation de ceux qui étaient favorables au prolongement.


Taux de parcelles bâties des premier et second tronçons de la rue de Rennes. Après l’ouverture de la voie en 1855, douze années sont nécessaires pour que la moitié des parcelles du premier tronçon soient bâties, mais il ne faut pas plus de trois années, après 1867, pour atteindre la même proportion dans le second tronçon. La grave crise politique et financière que traversent la France et Paris dans les années 1870 semble figer ou ralentir les chantiers de la rue de Rennes. Cependant, vingt ans après l’ouverture du second tronçon, la quasi-totalité des immeubles sont édifiés. Il faut un demi-siècle pour que le premier tronçon atteigne un taux similaire. Schéma Baptiste Essevaz-Roulet.

L’histoire du prolongement de la rue de Rennes est également emblématique de la difficulté de l’administration à s’affranchir du dogme haussmannien. Jusqu’après la Seconde Guerre Mondiale, soit environ quatre-vingts ans après avoir été conçu, c’est toujours le même réseau voyer qui est programmé, sans être véritablement remis en cause. L’administration « suit les traditions ou les directives qu’on lui donne (…) persuadée que toute maison qui a plus de cent ans sue les bactéries par tous ses pores, qu’on y meurt de tuberculose en raison directe de l’âge de la maison »515, persuadée qu’elle fait le bien en aménageant des quartiers entiers. La figure tutélaire du grand préfet semble paralyser l’administration jusqu’au début des années 1960 où le pouvoir est suffisamment fort pour la remettre en cause516. L’opération Maine-Montparnasse fait partie de ces chantiers qui portent les stigmates des tâtonnements post-haussmanniens. Le projet reprend en l’ignorant la proposition faite soixante-dix ans avant (projet Laporte), mais sans la mise en correspondance directe de la rue de Rennes avec le boulevard de Vaugirard et l’avenue du Maine. Le pôle commercial créé dynamise le secteur sud de la rue de Rennes, parfois jusqu’à la saturation des circulations piétonnes et automobiles. Prolongeant ces réflexions, la mairie de Paris lance en 2006 une consultation sur l’aménagement « en espace civilisé »517 de la rue de Rennes, complétée par d’autres analyses, menées par la mairie du VIe arrondissement. Il s’agit de revaloriser cette artère locale majeure, très commerçante au sud, touristique au nord. Boris Vian avait écrit : « C’est agréable, des arbres ; s’il y en avait quelques-uns rue de Rennes, ce serait déjà moins horrible »518. La pollution, le bruit, l’encombrement des trottoirs et le manque d’arbre constituent en effet les principaux griefs519. La concertation passionnée dans laquelle les riverains s’impliquent est signe de la vitalité de la rue de Rennes et de l’intérêt que ses habitants et usagers lui portent. Cette concertation permet aussi de renouer avec des usages que l’on avait peut-être perdus de vue. On constate jusqu’au début du XXe siècle que particuliers, commerçants ou propriétaires n’hésitaient pas à s’emparer des questions d’aménagement urbain pour pétitionner, proposer, élaborer des projets d’une grande pertinence. Ces idées étaient complétées par des études spontanées d’architectes et d’ingénieurs, le tout relayé par la presse. Ce foisonnement permanent d’idées, les enjeux politiques, commerciaux, historiques aussi, ont ainsi forgé les décisions qui ont présidées à son destin. La rue de Rennes porte en elle, tel un palimpseste, ce foisonnement et tous les stigmates des grands débats de l’histoire de l’urbanisme parisien.



Yoann Brault et Baptiste Essevaz-Roulet (courriel :
b.essevaz-roulet@ruevisconti.com)



ANNEXE

Lettre d'Haussmann adressée à Eugène Rouher, Ministre de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux Publics520



Préfecture du Département de la Seine.

Le 13 mars 1856



Monsieur le Ministre



Votre Excellence m'a rappelé par la dépêche qu'elle m'a fait l'honneur de m'adresser le 6 de ce mois, l'invitation qui m'a été faite par Mr le Ministre des Travaux Publics de soumettre au conseil municipal les mesures propres à dégager les abords de la gare du Boulevard du Montparnasse, en élargissant les voies qui font suite à la rue de Rennes.

La Ville de Paris a déjà, Monsieur le Ministre, fait d'assez grands sacrifices pour l'ouverture même de la rue de Rennes qui relie directement la gare du Montparnasse au carrefour des rues de Vaugirard, du Regard et Notre Dame des Champs. Dans l'origine, elle s'était refusée à cette dépense qui semblait devoir concerner exclusivement l'État. En effet, la rue de Rennes n'est devenue nécessaire que par la translation de la gare du chemin de fer de l'Ouest au boulevard du Montparnasse.

Toutefois, le conseil municipal se détermina à entreprendre l'opération sur la proposition faite par Mr le Ministre des Travaux Publics de fournir la somme nécessaire pour parfaire avec une subvention de 40 000 F offerte par la Compagnie de l'Ouest, le tiers de la dépense nette. Par suite de cet arrangement, l'État a payé une somme de 210 437 F 23 qui avec la subvention de la Compagnie, a formé un total de 250 437 F 27. Le surplus de la dépense s'élevant à 500 874 F 46 est resté à la charge de la Ville de Paris. Si la rue de Rennes, percée dans la plus grande partie de son parcours à travers des terrains nus, dans un quartier excentrique, où les propriétés n'avaient pas une grande valeur, n'a coûté en tout que 737 311 F 69. Pour continuer cette rue et l'amener au centre du faubourg St Germain, à travers des propriétés bâties, fort chèrement louées, il faudrait faire des dépenses énormes que ne comporte pas l'état des finances de la Villes, consacrées, comme vous le savez, Monsieur le Ministre, pour plusieurs années à des opérations de voirie de premier ordre, déjà décrétées d'utilité publique.

J'ai donc lieu de penser que le conseil municipal se refuserait à entreprendre aucun élargissement ou aucun percement de rue se rattachant à la rue de Rennes, à moins que l'État ne voulût concourir à la dépense dans une très forte proportion.

Quoiqu'il en soit, je n'ai pu mettre le Conseil à même de s'en expliquer, parce que je n'ai encore aucun projet complet ni par conséquences aucune appréciation quelconque de la dépense du prolongement demandé par Mr le Ministre des Travaux Publics. C'est ce que je vous prie d'expliquer à son Excellence, en attendant que je puisse lui faire savoir le résultat des études que je fais faire.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'hommage de mes sentiments respectueux.

Le préfet de la Seine,

Haussmann










514 Georges Pillement, op. cit., p. 143.

515 Georges Pillement, op. cit., p. 16.

516 Simon Texier, op. cit. (2005), p. 142.

517 Mairie de Paris, La rue de Rennes (VIe arr.) – Demain, un espace public embelli et mieux partagé, Lettre d’information n° 1, février 2007, p. 1.

518 Boris Vian et Noël Arnaud, Manuel de Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1974, p. 272.

519 Maire de Paris, plaquette Projet d’aménagement de la rue de Rennes - Suite de la concertation, 2009.

520 AN, F2II Seine 33.